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Référendum Michelin : moderne ou hasardeux ?

Évolution novatrice et significative du dialogue social ou bien, au contraire, contournement aux dimensions hasardeuses de la représentation syndicale ? Le référendum du 29 mars dernier chez Michelin sur les 35 heures constitue une entorse à la tradition syndicale.


Comme l’avaient fait déjà, en 1998 et 2000, certains articles des lois Aubry sur la réduction du temps de travail, le référendum auquel il vient d’être procédé aux usines Michelin appelle à nouveau la réflexion sur la consultation directe du personnel des entreprises et, par suite, sur l’un des aspects fondamentaux de ce qu’on peut appeler la philosophie du mouvement syndical, sur sa conception de la démocratie. Sur ce point, le désaccord est grand entre la démocratie syndicale et la démocratie politique, mais la pratique de celle-ci ne présentant pas à tous les égards l’image de la perfection, on ne voit pas pourquoi la démocratie syndicale, pour être authentiquement démocratique, devrait se calquer sur elle.


La consultation directe du personnel ne figurait pas, naguère encore, parmi les outils de l’action syndicale et l’on peut avancer sans crainte qu’il est contraire à l’esprit du syndicalisme classique de laisser la décision à la base inorganisée, de se soumettre à la règle de la majorité. Les travailleurs " conscients et organisés ", selon l’ancienne et significative formule, ne sont et ne peuvent être qu’une minorité et pourtant l’organisation prétend, non d’ailleurs sans raison, être mieux à même de connaître et d’exprimer les besoins, de défendre les intérêts communs des travailleurs d’une profession ou d’une entreprise que la masse de ceux dont elle s’est, en quelque sorte, constituée l’avocat.


Il arrivait à Léon Jouhaux de dire que si les syndicalistes avaient attendu d’avoir la majorité avec eux pour agir, on en serait encore à la journée de douze heures. Du reste, c’est par surprise que, le 7 juin 1936, à l’hôtel Matignon, lors de la conclusion du célèbre accord, le même Jouhaux a accepté la proposition patronale de faire élire dans les entreprises des délégués ouvriers, nos délégués du personnel. L’élection était contraire à la pratique syndicale et d’ailleurs Jouhaux et ses camarades n’eurent de cesse qu’ils n’aient obtenu que fût corrigée cette concession faite à l’élection, au suffrage universel, par l’institution du monopole des candidatures au profit des organisations syndicales les plus représentatives afin que les délégués élus fussent à peu de chose près des représentants syndicaux.


Au temps où la CFDT avait rejoint (et dépassé) la CGT dans l’agitation révolutionnaire, ces deux organisations parlèrent abondamment de consultation de la base. On opposait alors la démocratie ouvrière à la démocratie syndicale : selon celle-ci on ne devait consulter, en cas de besoin, que les syndiqués alors que selon celle-là on consultait tout le monde.


Selon la démocratie syndicale, un responsable syndical est habilité à prendre, en accord avec son bureau, les décisions qu’il juge bonnes : il en rendra compte, le jour venu, devant le congrès qui l’a élu. S’il hésite, s’il doute, il peut et même il doit consulter l’ensemble des syndiqués : en aucun cas, il ne doit consulter les non-syndiqués, la base inorganisée. Ce serait donner une prime à la non-syndicalisation (à quoi bon se syndiquer, si l’on a quand même voix au chapitre ?). Ce serait aussi, et peut-être surtout, sous le fallacieux prétexte d’une démocratie ouvrière directe, s’en remettre aux réactions irrationnelles d’assemblées générales (ou présentées comme telles) auxquelles, avec un peu de talent oratoire et quelque sens de la manipulation des foules, on peut faire adopter à main levée à peu près n’importe quoi, sans que d’ailleurs personne ne soit dans le fond véritablement engagé.


Cette démocratie de masse est à l’opposé de la démocratie syndicale, pour laquelle il ne saurait y avoir d’avis valablement exprimé et de décision valablement prise que dans le cadre d’une organisation soumise à des règles de réunion, de discussion, de vote et de discipline, qui permettent à chacun de ses membres et à tous d’analyser les questions en profondeur et de s’exprimer avec sang-froid, en personne responsable.


Jusqu’à présent, jusqu’à ce que les deux lois Aubry ne lui ait apporté une certaine consécration, on ne connaissait guère que deux sortes de recours à la consultation directe :

- dans le cas de grèves prolongées et sans issue dont on ne savait comment sortir, aucun des syndicats n’osant donner le premier l’ordre de reprise du travail. Alors, généralement à la demande de l’organisation la plus modérée, on consulte le personnel, on le consulte à bulletins secrets et, le plus souvent, la lassitude générale qui n’osait pas s’avouer en public, s’exprime en toute sincérité dans les urnes, à la grande satisfaction des militants syndicaux qui peuvent ainsi dire qu’ils n’ont fait que s’incliner devant la majorité.

- en cas de blocage des négociations, comme on vient de le voir chez Michelin, quand les syndicats n’ont pas tous, ou n’ont pas en nombre suffisant, donné leur accord à un projet de convention ou de contrat. C’est généralement, dans les cas de ce genre, la direction de l’entreprise qui prend l’initiative de la consultation, et, quels que soient ses sentiments à l’égard des organisations syndicales, favorables ou non, il est permis de penser que, ce-faisant, elle n’est pas fâchée de jouer le personnel contre les syndicats ou contre certains d’entre eux, de mettre en évidence que ces porte-parole patentés n’en expriment pas toujours la pensée, bref de souligner la relativité de leur " représentativité ".


Il arrive aussi que la demande d’une consultation directe émane d’une organisation syndicale, qui, soit pour justifier l’approbation qu’elle entend donner à l’accord en question, soit au contraire pour appuyer son refus de le signer, cherche à montrer que son crédit auprès du personnel l’emporte sur celui de sa ou de ses rivales.


Dans ce cas là aussi, la question du référendum rejoint celle de la représentativité. Si l’on a recours à la consultation directe, c’est parce que le dispositif mis en place au cours des ans pour confirmer les organisations syndicales dans leur fonction de porte-parole des salariés a soudain révélé des faiblesses. Sans doute, la minceur de ses effectifs y est-elle pour quelque chose : elle n’est pas nouvelle mais il semble que l’opinion y soit plus sensible ou en ait mieux conscience. Sans doute aussi les conflits intersyndicaux n’améliorent-ils pas l’autorité des uns et des autres, mais eux non plus ne datent pas d’hier. Le malaise vient de ce que le mouvement syndical est confronté à des responsabilités nouvelles, et que sa compétence, la légitimité de certaines de ses interventions sont de ce fait remises en cause.

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