Bras de fer ou surchauffe ? La manifestation du 13 octobre pour la reconnaissance de la pénibilité du travail et surtout la grève annoncée le 18 octobre dans les transports s'annoncent comme un moment de vérité pour les réformes et les négociations en cours. Cela va permettre de compter les forces en présence, de mesurer la détermination de chacun, de tester en grandeur réelle l'efficacité de la méthode Sarkozy dans le domaine social.
La méthode des réformes à l’épreuve
Cette méthode peut se décrire selon le triptyque suivant :
en premier lieu, la réhabilitation du travail, permettant de dépasser un modèle social jugé figé sinon négatif, en redonnant des perspectives de promotion individuelle et collective tout en restaurant la confiance et le dynamisme.
en deuxième lieu, une concertation développée avec les partenaires sociaux, qui passe par une solide empathie du pouvoir avec ces derniers ainsi qu’un travail de conviction sur la nécessité de réformes. C’est aussi renouer avec une conception à la française des relations entre les partenaires sociaux et l’Etat, conception théorisée naguère par Chaban-Delmas et Jacques Delors, à travers la « nouvelle société », que semble réincarner aujourd’hui la figure de Raymond Soubie, conseiller social du président de la République. Ce dialogue offensif a semblé surtout privilégier trois organisations syndicales : la CFDT, elle-même convertie au thème du réformisme et aux logiques de l’économie de marché (mais qu’il faut ménager et rassurer après ses déboires de 2003, qu’il faut tenter de recomposer dans une alliance plus large) ; FO, dont il importe de consolider le « réformisme militant » (aux dépens de la contestation) afin d’obtenir une sorte de soutien non-dit ; la CGT, dont il paraît évidemment impensable d’obtenir le ralliement mais dont la reconnaissance de son rôle premier sur l’échiquier syndical et, sans doute, l’octroi d’aides ou de facilités - à travers, par exemple, la réforme future de la représentativité syndicale - peuvent garantir une certaine neutralité de sa part. D’autant plus que la CGT ne présente plus la même homogénéité qu’autrefois - à l’époque du communisme syndical - et que son appareil peut apparaître fragile.
en troisième lieu : un tourbillon de réformes : heures supplémentaires, début de service minimum dans les transports, mise en cohérence de l’assurance chômage et de la politique de l’emploi, conditions de travail, salaires et pouvoir d’achat, égalité professionnelle hommes-femmes, assurance maladie et, bien sûr, retraites... premier sujet véritablement délicat. Sans doute, un tel activisme gouvernemental a-t-il aussi pour objectif de canaliser, sinon de cristalliser, les énergies syndicales, afin d’éviter ce qu’on appelle parfois un troisième tour social (comme en 1995). L’histoire contemporaine montre également que les gouvernements qui ont réussi à réformer l’ont fait en début de mandat, dans la foulée de leur arrivée au pouvoir.

Transformation du syndicalisme
La mise à l’épreuve n’est pas seulement celle de l’équipe au pouvoir. D’une certaine manière, le syndicalisme aussi - surtout les confédérations traditionnelles - se trouve interpellé le 18 octobre.
On rappellera que les syndicats sont devenus, dans une large mesure, des entreprises de militantisme, avec leurs professionnels - permanents souvent mis à disposition par les fonctions publiques ou entreprises à statut -, disposant de ressources d’origine pas toujours transparente mais assez abondantes.
Du coup, les syndicats n’ont plus besoin de faire de prosélytisme, ni même de convaincre. Ils n’ont pas besoin de beaucoup d’adhérents. Ils existent en tant qu’institutions reconnues par la loi. Cela explique pour beaucoup la faiblesse de la syndicalisation en France.
De leur côté, les salariés ne s’intéressent pas beaucoup aux syndicats. Les divisions syndicales, la politisation ou l’absence d’avantages spécifiques pour les adhérents expliquent ce désintérêt.
Les salariés ne se tournent vers les syndicats que lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés professionnelles, lorsqu’ils sont dans une impasse, lorsqu’ils ont certains intérêts - souvent personnels - à faire valoir. Mais les syndicats se montrent rarement enthousiastes face ces adhérents aux exigences trop précises. Ils déclarent plutôt rechercher des adhérents qui ont de fortes convictions.
Curieusement, la grève du 18 octobre paraît les mettre mal à l’aise. Seraient-ils convaincus par la nécessité des réformes ? Ne craignent-ils pas plutôt de perdre beaucoup en s’engageant trop précisément. Ils préfèrent finalement miser le minimum sur un mouvement qu’ils semblent tout autant redouter que le pouvoir politique.
Par exemple, on est étonné qu’à quelques jours du mouvement, la CGT n’annonçait toujours pas la grève du 18 octobre sur son site confédéral. Des dirigeants fédéraux faisaient même preuve de beaucoup de discrétion. Même le secrétaire confédéral, interviewé par le journalLes Echosle 4 octobre sur la grève annoncée préférait buter en touche... et privilégier l’appel à manifester pour la reconnaissance des métiers pénibles, le 13 octobre. Il est vrai que la CGT veut porter un regard plus global sur la réforme des retraites et ne veut pas apparaître camper sur la défense de régimes particuliers, qui apparaîtraient inéquitables aux yeux de l’opinion. Finalement, une grève dite « carrée » semble un bon compromis pour beaucoup : 24 heures de grève, pas plus mais pas moins. Une sorte de baroud d’honneur... ou un soupir... avant de discuter de la question de la représentativité et des moyens du syndicalisme.

Les jeunes salariés en arbitre
Ces dernières années, les entreprises à statut - directement concernées par les régimes spéciaux de retraite - ont beaucoup renouvelé leur personnel. Le 18 octobre, beaucoup dépendra de l’attitude et de la détermination de ces nouveaux salariés. Le principal changement par rapport à 1995 se trouve probablement dans ce renouvellement générationnel.
L’impact de ce dernier sera d’autant plus important que les syndicats ne parviennent guère pour ce qui les concerne à échapper aupapy boom. Avec les jeunes, la rencontre intervient en effet plus difficilement qu’autrefois. Non pas que le syndicalisme soit devenu plus impopulaire à leurs yeux. Mais celui-ci est surtout moins visible, absorbé par de multiples tâches institutionnelles (et surtout réduits à des militants qui font carrière). Dès lors, le syndicat n’est plus un vecteur d’identité professionnelle comme autrefois. De surcroît, les plus jeunes ne se reconnaissent guère dans l’histoire du mouvement ouvrier et les logiques qui ont conduit à l’éclatement du paysage syndical leur échappent. Il y a chez eux une forte demande d’unité et des attentes très ciblées à l’égard des syndicats. Des mouvements plus ou moins sporadiques de rage collective restent toutefois possibles. Qu’en sera-t-il le 18 octobre et dans les jours suivants, face à un enjeu - la retraite - qui peut leur apparaître relativement lointain et théorique ?
A lire aussi dans les Etudes sociales et syndicales : Un tourbillon de réformes sociales. 29 septembre 2007 Rentrée sociale : la pression élyséenne. 6 septembre 2007 Comment organiser la rupture sans créer de cassure sociale. 26 mai 2007 Les risques d’un troisième tour social. 17 mai 2007
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