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Photo du rédacteurBernard Vivier

Regard d'ensemble sur le syndicalisme français

Par delà les difficultés qu'il traverse, le syndicalisme français est en train d'évoluer. Dans une période de grave crise économique et d'inquiétude sociale généralisée, sa capacité à contribuer à assurer la régulation sociale est déterminante.


Sur la crise du syndicalisme, bien des analyses ont été tenues qui, toutes, soulignent les difficultés d’un mode d’organisation sociale reconnu en France par la loi du 21 mars 1884, après un siècle d’interdiction (loi Le Chapelier de 1791). En plus de douze décennies, le syndicalisme a conquis droit de cité et a joué un rôle essentiel dans la construction du dispositif actuel de régulation sociale : systèmes de protection sociale (assurance-chômage, assurance-vieillesse, assurance-maladie, allocations familiales), formation professionnelle, négociations collectives (20 000 accords d’entreprise chaque année environ), entraide professionnelle, justice du travail (200 000 affaires traitées chaque année dans les conseils de prud’hommes).


Ce développement du syndicalisme s’est effectué selon ses différentes traditions, en valorisant la rupture, la grève (syndicalisme révolutionnaire) ou en pratiquant la négociation et la recherche de l’équilibre social (syndicalisme réformiste, syndicalisme d’inspiration chrétienne).


Le regard que l’on peut poser en 2009 sur le syndicalisme français est riche des multiples réalisations sociales qu’il a contribué à installer dans le pays et dans les entreprises.


Ce regard est, tout aussi lucide, celui posé sur ses difficultés actuelles.

- Des difficultés réelles -

Le syndicalisme français traverse, en effet, une triple crise : crise des effectifs, crise d’audience, crise de renouvellement militant.


La crise des effectifs est patente. Toutes tendances confondues, le syndicalisme français ne fédère que 8 % environ des salariés (5 % dans le privé, 15 % dans le public). C’est trois fois moins qu’il y a trente ans et trois fois moins que la moyenne actuelle de la syndicalisation en Europe.

La crise d’audience s’observe à l’occasion des élections prud’homales : en trente ans, le taux de participation a chuté de 63 % (décembre 1979) à 25 % (décembre 2008). Dans les élections d’entreprise (comités d’entreprise-délégués du personnel), la participation électorale reste significative (64 %) mais se dirige de plus en plus vers des représentants non-syndiqués. Conséquence : 39 % des titulaires des comités d’entreprise sont élus au deuxième tour de scrutin, sur des listes non-syndiquées.

Le renouvellement militant est lui aussi en situation délicate. Il y a trente ans, les moins de 40 ans représentaient la moitié des effectifs syndiqués ; ils n’en représentent plus aujourd’hui que 30 %. Le besoin d’engagement collectif ne diminue pas pour autant chez les jeunes générations mais il se déplace vers des formes moins structurées et plus réactives, à durée plus limitée et à appartenance moins vaste. Le « zapping » s’observe aussi dans l’engagement des jeunes.

- Des relations sociales en évolution -

Le système syndical français se trouve aujourd’hui confronté aux évolutions profondes de la société, du système productif et des relations sociales, qui transforment le cadre et les formes de l’action collective.

On peut ainsi citer :

  • les changements dans l’organisation du travail, qui se font dans le sens d’une plus grande autonomie des salariés entre eux. Cette autonomie croissante concerne aussi bien le travail lui-même que le lieu ou le temps de travail. Elle est source de progrès ; elle est aussi source de dissociation.

  • le recentrage des préoccupations et des engagements sur des thèmes plus précis que naguère, plus sectorisés, plus étroits. Les organisations syndicales à vocation généraliste se voient concurrencées par des démarches plus catégorielles, voire plus corporatistes. En se fragmentant,

  • la revendication sociale perd de sa capacité à considérer l’intérêt général et, plus encore, le bien commun.



l’effacement des frontières et la recherche d’un nouvel ordre économique et social, à l’échelle internationale. Notre réglementation sociale a été presque entièrement construite dans un cadre national. Ce temps s’achève. Les statuts ne sont plus protecteurs et les Etats-nation ne sont plus régulateurs. Le marché du travail se mondialise davantage encore, à l’instar du marché des capitaux et du marché des biens et des services. Les nouvelles règles sociales ne sont pas établies, qui éviteraient la concurrence déloyale entre pays et le dumping social.

les inquiétudes sociales nées de la crise mondiale. Ces inquiétudes sont, bien évidemment, celles de l’emploi et du pouvoir d’achat. Elles sont aussi, plus profondes, celles nées de la déconnection observée entre logiques industrielles et logiques financières, celles nées de la disproportion qui s’est installée entre la rémunération du travail et la rémunération des placements financiers, celles nées de la déconnection entre propriété des entreprises et devoir d’un développement durable de la production.

la réorganisation de la négociation collective qui tend à privilégier la négociation d’entreprise et à voir se réduire la négociation de branche, qui assure jusqu’à présent la cohérence sociale d’un ensemble d’entreprises sur un territoire bien défini.

- Vers le tripartisme -

Le rôle des syndicats dans la gestion des grandes institutions sociales (protection sociale, formation, retraites, etc.) est amené à évoluer. Nombre d’institutions créées et gérées conjointement par le patronat et les syndicats (le célèbre paritarisme, cher à André Bergeron, l’ancien secrétaire général de Force ouvrière) se trouvent progressivement contrôlées par l’État. Le rapprochement récent entre l’UNEDIC (paritaire) et l’ANPE (institution publique) pour créer Pôle emploi en est une illustration.


L’État ne peut pourtant pas tout gérer. Sans pratiquer un véritable tripartisme Etat-patronat-syndicats, que nombre d’autres pays européens connaissent, notre pays se trouve en recherche d’une nouvelle répartition des rôles entre acteurs du progrès social. La pratique des sommets sociaux (voir encadré) et la concertation régulière avec le patronat et les syndicats permettent au dirigisme traditionnel de l’État de prendre en compte les attentes et les capacités d’action des corps intermédiaires.

Un sommet social à l’ElyséeLe 18 février 2009, lors d’un sommet social à l’Élysée, gouvernement, patronat et syndicats ont débattu des mesures financières susceptibles de répondre aux inquiétudes salariales et aux situations des plus modestes. L’ensemble des efforts a été chiffré à 2,6 milliards d’euros et apparaît comme le complément social du vaste plan de relance annoncé le 2 février par le Premier ministre, pour un montant de 26 milliards d’euros. Au cours de cette réunion, les partenaires sociaux ont aussi été invités par le chef de l’État à débattre du partage de la valeur ajoutée et des profits (une « mission d’analyse » a été confiée à Jean-Philippe Cotis, directeur de l’INSEE), à débattre aussi de la place des syndicats dans les dispositifs de restructurations et de plans sociaux. Le rôle des représentants du personnel dans la gouvernance des entreprises (thème cher à la CFDT, à la CFTC qui y voit une actualisation de son projet « participation » et aussi, avec une autre approche, thème cher à la CGT) a été annoncé comme sujet de négociation dans les mois à venir. Les discussions s’annoncent dès à présent très délicates, le MEDEF exprimant son inquiétude à traiter au niveau national et de façon globale des questions qui se débattent dans les entreprises avec, selon Laurence Parisot, plus d’efficacité.

- Les bienfaits de la construction européenne -

Ces évolutions, nées pour la plupart de l’effacement des distances et de l’ouverture des frontières, ne sont pas toutes source d’inquiétude. Elles portent aussi des signes d’évolution positifs.


La construction européenne commence à produire des effets sur la culture de relations sociales et sur le système syndical français.


L’évolution la plus significative est, sans nul doute, celle qui concerne la définition même de l’action syndicale. La chute du communisme en Europe produit ses effets en France. Aujourd’hui marginalisé, le Parti communiste n’est plus en mesure de contrôler, comme il le faisait depuis 1947, la première organisation syndicale, la CGT. Celle-ci, rendue à elle-même, amorce - lentement encore - une évolution qui peut lui faire retrouver les fondamentaux de l’action syndicale, à savoir la défense des intérêts professionnels à l’écart de préoccupations de rupture politique.



Le syndicalisme français se dirige ainsi, à l’instar de ses homologues européens, vers une conception réformiste de l’action militante : négocier d’abord, faire grève en dernier ressort, à mille lieux des réflexes anciens (faire grève d’abord, négocier ensuite pour mieux reprendre le chemin de la grève).


Un danger guette, en revanche, cette évolution positive : celle du repli sur soi, que la crise économique mondiale a fait récemment se redéployer. Un peu partout en Europe, les syndicats expriment des revendications donnant une priorité à l’emploi national. En Grande Bretagne notamment, des salariés manifestent contre l’attribution de marchés à des entreprises espagnoles. Lors d’un congrès travailliste en 2007, Gordon Brown parlait « d’emplois britanniques pour les travailleurs britanniques ». En janvier 2009, devant la raffinerie Total du Lincolnshire, des syndicalistes anglais protestent contre la venue sur le site de travailleurs italiens et portugais : « British jobs for british workers » lisait-on sur les pancartes.


En fait, l’Europe entière est concernée par ces réactions. La France elle-même développait en 2005 le syndrome du « plombier polonais ».

- Recomposition syndicale -

La culture des relations sociales reste, dans notre pays, fortement marquée par la valeur donnée à la grève et au conflit dans la construction des avancées sociales. Ailleurs en Europe, ces avancées sont, pour l’essentiel, le fruit de la négociation et de l’accord collectif. Les relations nouées entre syndicats français et les autres syndicats de l’Europe contribueront à la prise de conscience de l’efficacité du modèle réformiste et à l’accélération des changements de comportement. L’histoire de la CFDT, depuis les années 1980, montre combien cette évolution est possible, même si des éléments continuent à porter en France, aux marges de l’action syndicale et politique, les drapeaux de la contestation radicale.



Cette évolution du syndicalisme français vers le réformisme, longtemps incarné par Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC, produit immanquablement un effet de « tectonique des plaques ». Les différences entre organisations syndicales, marquées naguère par l’histoire et par l’opposition réformistes/révolutionnaires, s’effacent peu à peu.


Dans le même temps, de nouvelles organisations syndicales apparaissent, qui aspirent à être reconnues des pouvoirs publics et à disposer des mêmes capacités à la négociation collective que les organisations syndicales déjà établies.


Sur fond de baisse des effectifs syndicaux, d’émergence de nouveaux syndicats et d’adaptation des règles de validation des accords collectifs, la puissance politique vient d’opérer une réforme profonde des règles de la représentativité syndicale. C’est la loi du 20 août 2008. Celle-ci est désormais assise, pour l’essentiel, sur l’audience électorale. Un processus est enclenché, qui commence à produire des mouvements de recomposition de l’échiquier syndical, dans une logique de constitution de pôles syndicaux. Tout récemment, le 26 mars dernier, les élections professionnelles à la SNCF ont fait prendre conscience à l’ensemble des acteurs des exigences de la complexité de ces mouvements de recomposition syndicale. La loi nouvelle indique que la capacité à négocier n’est plus conférée qu’aux syndicats ayant atteint 10 % des voix aux élections professionnelles. Conséquence : 4 syndicats, au lieu de 8 précédemment, ont franchi ce seuil à la SNCF. Les syndicats de taille trop modeste sont contraints à des alliances ou à des fusions.


Partout dans les entreprises en France, des mouvements comparables sont observés. Certains voient dans ce processus une démarche visant à renforcer le syndicalisme, d’autres, au contraire, redoutent un effacement des petites organisations (CFTC et CFE-CGC principalement), effacement qui ne profiterait pas aux plus grandes (CGT, CFDT, FO).


Par delà l’audience électorale des syndicats, c’est la question de sa capacité à rendre des services à des adhérents identifiés et fidélisés qui se trouve posée.


Comme ailleurs en Europe, le syndicalisme français vit les difficultés et les espoirs des nombreux corps intermédiaires qui, dans une société libre et organisée, structurent la vie sociale et assurent, entre un marché non régulé et un État trop puissant, la stabilité indispensable à l’efficacité économique et à la paix sociale.

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