S'appuyant sur une position commune à quatre organisations syndicales et professionnelles (CGT, CFDT, MEDEF, CGPME), le gouvernement a élaboré un projet de loi « portant rénovation de la démocratie sociale ». La loi doit être votée dans le courant de l'été.
Paul-Henri Antonmattei, doyen de la faculté de droit de l'Université Montpellier 1 et directeur du Laboratoire de droit social, livre ici une lecture critique de la position commune du 9 avril 2008.
1.- Les calculettes sont sorties et, à la lumière des résultats des dernières élections professionnelles, chaque organisation syndicale de salariés fait ses comptes. Qui va survivre, qui va mourir ? Déjà, les plus menacées envisagent des regroupements surprenants pour se sauver. Curieuse façon de célébrer une position commune historique qui notamment décapite la présomption irréfragable de représentativité. On aura vite compris qu’au-delà de changements fondamentaux, les non-dits l’ont emporté : le syndicalisme français est trop émietté : il faut regrouper...et donc tuer ! Résultat : une réforme taillée sur mesure pour certains qui expliquent le refus de signer des autres. Dommage, car la volonté de réformer était partagée et qu’il y avait mieux à faire pour la représentativité syndicale.
2.- Le décryptage politique doit vite céder la place à l’analyse juridique. Partons du plus spectaculaire : la disparition de la présomption irréfragable de représentativité (art. 3-1 de la position commune). Historique, mais pas surprenant tant les critiques fondées étaient largement partagées. La justification retenue est toutefois curieuse : « la redéfinition de la représentativité à partir d’un ensemble de critères incluant l’audience s’accompagne de la disparition de la présomption irréfragable de représentativité » (art. 3-1 de la position commune). C’est en elle-même que la présomption irréfragable est contestable indépendamment des critères de représentativité retenus. Mais peu importe, l’essentiel est atteint.
3.- La position commune en tire des conséquences évidentes : « la représentativité n’emporte d’effets qu’aux niveaux où elle est reconnue » (rat. 3-1 de la position commune) ; c’est la fin de la représentativité d’emprunt [1]. C’est aussi la fin programmée du fameux arrêté du 31 mars 1966. Mais quand ? On peut hésiter à la lumière du calendrier retenu. On a bien compris que « la disparition de la présomption irréfragable de représentativité implique de procéder à une appréciation périodique de la représentativité des organisations syndicales sur la base de l’ensemble des critères de représentativité. Cette appréciation intervient à chaque nouvelle élection dans les entreprises et tous les 4 ans, à compter de la première prise en compte de l’audience, au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel » (art. 3-2 de la position commune). Mais, « cette première prise en compte de l’audience, au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel, interviendra à l’issue d’un cycle électoral de 4 ans suivant la conception, la mise en place, le test à l’échelle réelle et la validation d’un système de collecte et de consolidation des résultats électoraux et au plus tard 5 ans après l’entrée en application de la présente position commune ». A suivre la position commune, le changement du paysage syndical n’est pas pour demain à ces deux niveaux.
4.- La position commune ne s’en tient pas à ce seul calendrier. Elle affirme aussi qu’ « à titre transitoire, la reconnaissance de la représentativité d’une organisation syndicale au niveau national interprofessionnel suivant les nouvelles règles précitées, lui confère une présomption simple de représentativité -hors critère d’audience- au niveau des branches professionnelles. Ainsi, outre les organisations syndicales reconnues représentatives dans la branche, sont admises à négocier à ce niveau, à titre transitoire, les organisations syndicales affiliées à une confédération reconnue comme représentative au niveau national interprofessionnel, qui n’aurait pas franchi le seuil d’audience au niveau de la branche et dont les critères de représentativité hors audience, ne seraient pas contestés » (art. 4-1, al. 2 de la position commune). Et une note de rajouter que « ce caractère transitoire pourra être prolongé dans les branches où l’absence d’élection professionnelle en raison de la taille des entreprises ne permet pas une mesure de l’audience à leur niveau » (note 3, page 4 de la position commune). On veut bien croire aux vertus d’un scénario de transformation dans le droit fil des propositions du rapport Hadas-Lebel, mais méfions-nous du provisoire qui dure. Ce maintien temporaire d’une présomption simple traduit surtout la faiblesse du critère de l’audience tel qu’il a été retenu par la position commune.
5.- C’est la seconde innovation majeure tant espérée : l’introduction de l’audience électorale. La satisfaction est toutefois de courte durée car on pouvait s’attendre à une valorisation plus forte de ce nouveau critère. Il n’en est rien : l’audience électorale cohabite avec six autres critères et les sept sont désormais cumulatifs... et appréciés « dans un cadre global » ! Qui plus est, l’audience n’est établie qu’à partir des résultats aux élections professionnelles et le même vote sert donc pour les trois niveaux de négociation.
Curieux assemblage quantitatif et qualitatif. On passe de cinq (en réalité quatre si on fait légitimement fît de l’attitude patriotique sous l’occupation) à sept alors que la chambre sociale de la Cour de cassation avait justement ramené l’analyse à deux critères essentiels : l’indépendance et l’influence du syndicat [2]. Ou bien il y a redondance et confusion ou bien, pendant des années, des critères essentiels nous ont échappé. Vérifions.
6.- Le critère obsolète de l’attitude patriotique pendant l’occupation cède la place au respect des valeurs républicaines qui « implique le respect de la liberté d’opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance » (art. 1-6 de la position commune). Ce critère s’impose mais certainement pas dans une recherche de représentativité. Il en va de la qualité même du syndicat professionnel comme l’a justement affirmé la Cour de cassation dans le contentieux « Front national » [3]. La position commune érige, du reste, le respect des valeurs républicaines en condition d’accès aux élections professionnelles (art. 8), ce qui prouve bien que ce critère précède l’examen de la représentativité. Le critère s’apprécie à la lumière de l’objet du syndicat mais aussi des comportements. Comportements de qui ? Des dirigeants, des adhérents ? Comportements isolés, comportements collectifs ? Quelle appréciation aux différents niveaux ? N’écartons pas toute joute judiciaire sur le respect des valeurs républicaines singulièrement pour une appréciation de la représentativité au niveau de l’entreprise : il pourrait y avoir des surprises !
7.- L’exigence de la transparence financière est également légitime. Mais quel rapport avec la représentativité ? Ce critère devrait plus volontiers concerner l’existence du syndicat. Idem pour l’indépendance comme l’a, depuis longtemps affirmé J.-M. VERDIER [4]. Et que dire de l’ancienneté ? C’est seulement un critère d’aptitude à la représentativité et ce d’autant qu’il est n’est plus accolé à l’expérience. Qui plus est, l’ancienneté, désormais fixée à deux ans, ce qui évitera toute discussion, est aussi érigée en condition d’accès aux élections professionnelles.
Il reste alors trois critères : les effectifs d’adhérents et les cotisations, l’influence caractérisée par l’activité, l’expérience et l’implantation géographique et professionnelle du syndicat et l’audience établie à partir des résultats aux élections professionnelles.
8.- La mise en valeur de l’influence récompense l’analyse jurisprudentielle. Mais pourquoi dissocier ce critère de celui des effectifs et des cotisations alors que la Cour de cassation impose fort justement une appréciation de l’influence au regard des effectifs, des cotisations de l’expérience et de l’ancienneté du syndicat ? Un seul critère suffit donc, celui de l’influence.
Mais que devient ce critère dès lors que l’audience entre en scène ? Il devrait être inutile car le vote des salariés confère une légitimité qui transcende la représentativité. Au même titre que la démocratie politique, la démocratie sociale n’a besoin que de l’élection pour sélectionner les représentants des collectivités concernées. Que dirait-on si l’élection d’un député était subordonnée non seulement à un vote majoritaire mais à une vérification de son influence par son activité, son expérience... ? C’est pourtant le scénario annoncé pour la représentativité des organisations syndicales.
Une organisation syndicale qui obtiendrait plus de 10 % des suffrages valablement exprimés au 1er tour des élections au comité d’entreprise (seuil fixé par l’article 2-2 de la position commune) pourrait ainsi voir sa représentativité contestée au motif d’une influence insuffisante, cette dernière se caractérisant notamment par l’activité qui « s’apprécie au regard de la réalité des actions menées par le syndicat considéré et témoigne de l’effectivité de la présence syndicale » (art. 1-3 de la position commune). On imagine la difficulté de l’appréciation judiciaire ! Et que dire de cette appréciation au niveau de la branche ou au niveau national interprofessionnel quand on sait, de surcroît, qu’« outre l’atteinte de ces seuils et la réunion des autres critères, la reconnaissance de la représentativité est subordonnée, au niveau des branches professionnelles, à une présence territoriale équilibrée au regard de l’implantation géographique de la branche et, au niveau national interprofessionnel, à la reconnaissance de la représentativité dans des branches à la fois de l’industrie, de la construction, du commerce et des services »(art. 2-1 de la position commune) ?
9.- Ce n’est pas la seule erreur commise par la position commune. Pour que l’audience électorale soit légitimement le seul critère de représentativité, l’élection doit porter sur cette question et associer l’ensemble des salariés. Or que nous propose-t-on ? De mesurer l’audience « sur la base du pourcentage de suffrages valablement exprimés par chaque liste au 1er tour des élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou, à défaut, des délégués du personnel, dans les entreprises où elles sont organisés » (art. 2-1 de la position commune) [5].
Quelques objections. Plus le niveau est important, plus le système perd en légitimité car on écarte les salariés des entreprises où il n’ y a pas d’élections professionnelles : au niveau national interprofessionnel, ce sont des millions de salariés exclus ! On comprend alors que, dans la position commune, l’audience cohabite avec l’influence. Mais quel bricolage ! Qui plus est, on utilise les élections professionnelles alors que souvent le salarié vote plus pour des personnes que pour une étiquette syndicale. Et même quand cette dernière détermine le vote, on sait bien que tel syndicat d’entreprise ne partage pas toujours les convictions de la confédération ou de la fédération. A nouveau, que dirait-on si ce système était utilisé dans les élections politiques ?
Quant à la consolidation des élections pour mesurer l’audience au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel, on souhaite bien du courage au groupe de travail « chargé de définir les outils et les procédures de recensement » (art. 2-1) et aussi au ministère du travail, chargé « du recensement de ces résultats et de leur consolidation » (art. 2-1). Quand on sait que, depuis plusieurs mois, l’application de la jurisprudence sur la prise en compte des salariés mis à disposition suscite de sérieux remous dans de nombreuses entreprises [6], on mesure la fragilité supplémentaire de la technique retenue. Et quid de la jurisprudence Adecco [7] puisque seuls les résultats du 1er tour comptent ? Vous avez dit sécurité juridique ?
10.- Il y avait pourtant plus simple et plus efficace à faire. Puisque le critère de l’élection, légitimement promue, exprime une exigence démocratique désormais assumée, il doit être totalement valorisé. L’élection doit porter directement sur la représentativité. Et dès lors que la représentativité « n’emporte d’effets qu’aux niveaux où elle est reconnue » (art. 3-1 de la position commune), c’est à chaque niveau qu’une élection spécifique doit être organisée. Une telle audience rend alors inutile tout appréciation de l’influence : la représentativité tient dans la légitimité née de l’élection sachant que la fixation d’un seuil (10 %) est compréhensible.
On entend déjà les critiques sur l’organisation de telles élections. Au niveau national interprofessionnel, le risque serait de favoriser des joutes politiques et des surenchères sociales dangereuses. Le risque n’est pas plus grand que pour d’autres élections. L’exigence démocratique n’impose-t-elle pas la présentation d’un programme de politique sociale nourrie d’un bilan des actions réalisées pour celui qui aspire à représenter les autres ? Qu’on n’invoque pas le très faible de taux de participation prévisible d’une telle élection nationale. L’élection est en soi une technique légitime dès lors chaque salarié peut s’exprimer. Parions même qu’une élection de représentativité, dont les enjeux seraient bien différents des élections prud’homales, accompagnée d’une vraie campagne, mobiliserait beaucoup plus.
Pour les branches, les critiques n’ont pas dissuadé le législateur de 2004 qui, faut-il le rappeler, permet l’organisation de telles élections [8]. Même au niveau de l’entreprise, une élection de représentativité détachée des élections professionnelles, serait plus crédible.
Enfin, la seule prise en compte d’une élection de représentativité confère plus de sécurité dans la reconnaissance des organisations syndicales représentatives. Avec les règles proposées par la position commune, qui apprécie à chaque nouvelle élection la représentativité ? On ne peut pas se contenter d’affirmer que « les règles actuellement applicables au contrôle et au contentieux de la représentativité demeurent en vigueur » (art. 3-3 de la position commune).
Prenons le niveau entreprise : le chef d’entreprise va naturellement se fier aux résultats et au franchissement du seuil de 10 %. Mais qu’en sera-t-il des autres critères ? Il peut considérer qu’ils sont remplis ; mais si ce n’est pas le cas, le contentieux est inévitable. Le chef d’entreprise peut considérer que ces critères sont présents mais une contestation entre syndicats n’est pas à exclure. Et pour le niveau national interprofessionnel, un arrêté régulièrement actualisé est logiquement attendu ; il ne sera pas non plus à l’abri de la contestation. Et quid au niveau des branches ?
11.- Alors qu’un consensus s’était dégagé sur la nécessité d’abandonner la présomption irréfragable de représentativité et de promouvoir le critère de l’audience, la copie proposée par les signataires de la position commune n’est pas à la hauteur des enjeux. Une distinction entre critères d’aptitude à la représentativité, et critères de représentativité méritait d’être établie. Admettre l’élection de représentativité aurait permis de parler de grande réforme.
Dommage que le Gouvernement se soit précipité pour favoriser un copier-coller [9] de la position commune d’autant que ce texte, signé seulement par la moitié des négociateurs (MEDEF, CGPME, CGT, CFDT), ne se présente même pas comme un accord national interprofessionnel. Mais on aura bien compris que le Gouvernement doit donner des gages aux signataires de la position commune, car sur le thème du temps de travail, il y a déjà, à l’heure où nous écrivons, ces lignes, avis de tempête sociale !
Le doyen Paul-Henri Antonmattei lors d’une journée d’actualité de l’Institut supérieur du travail le 1er juillet 2008
[1] V. c. trav. art. L. 2122-1 : « Tout syndicat professionnel affilié à une organisation représentative au niveau national est considéré comme représentatif dans l’entreprise. La représentativité des autres syndicats est appréciée conformément aux dispositions de l’Article L2121-1 ».
[2] l’influence étant caractérisée au regard des critères énumérés par l’article L. 2121-1 du code du travail (anc. Art. L. 133-2) (Cass. soc. 3 déc. 2002, Dr. soc. 2003, 304 et l’article de J.-M. VERDIER. Adde, Cass. soc. 13 fév. 2008, n. 07-60031).
[3] Cass. ch. Mixte, 10 avril 1998, Dr. soc. 1998, 565, rapp. J. MERLIN.
[4] « Allant plus loin, il n’est pas excessif de considérer que l’indépendance des syndicats de salariés à l’égard du ou des employeurs est plus qu’un critère de représentativité, un critère du syndicat, et que l’absence d’indépendance est une cause de disqualification du groupement » (J.-M. VERDIER, Syndicats et droit syndical, Vol. I, 2ème éd., Dalloz, 1987, n. 172, p. 501).
[5] Conséquence de l’introduction du critère de l’audience : « une actualisation du mode de scrutin qui tienne compte du respect de la liberté de choix des électeurs et de la nécessité de simplifier le dispositif » (position commune). On peut se féliciter de la fin du monopole des organisations syndicales représentatives pour la présentation des candidats au premier tour : « Toute organisation syndicales légalement constituée depuis au moins 2 ans et remplissant les conditions d’indépendance, et de respect des valeurs républicaines est habilitée à présenter des candidats aux élections des représentants du personnel » (art. 8 de la position commune).
[6] V. en dernier lieu, Cass. soc. 1er avril 2008, n. 07-60.287. V. Les salaries mis à disposition au milieu du gué, Sem. Soc. Lamy, 14 avril 2008, n. 1349, p. 2 et s.
[7] Cass. soc. 20 déc. 2006, Dr. soc. 2007, 453, note P.-Y. VERKINDT.
[8] V. C. trav. art. L. 2232-6, I (anc. Art. L.132-2-2, II).
[9] Avant-projet de texte présenté aux partenaires sociaux le 27 mai 2008.
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