Le gouvernement a élaboré un premier projet pour modifier les règles actuelles de la négociation collective et de la représentativité syndicale. Mal pensé et contesté, ce projet devra être revu et corrigé.
Passé quelque peu inaperçu pour cause de réforme des retraites, un autre dossier important a été ouvert en ce début d’année par le ministre du travail sur le terrain social, celui de la réforme de la négociation collective. Recevant les partenaires sociaux en février 2003, M. Fillon leur a fait part de son intention de déposer un projet de loi destiné notamment à reconsidérer la place respective de la loi et de la négociation collective, les conditions de validité des accords collectifs, l’élection des représentants du personnel dans l’entreprise ou la détermination de l’audience et de la représentativité des syndicats. Autant de sujets délicats, qui, malgré la signature d’une “ Position commune ” le 16 juillet 2001 par le patronat et une majorité de syndicats, divise encore profondément les organisations syndicales. Ainsi, la CGT, la CFDT et l’UNSA voudraient modifier radicalement les critères de représentativité syndicale et les conditions de validité des acccords collectifs, alors que FO, la CFTC et la CFE-CGC se prononcent pour un simple toilettage des principes et règles actuellement en vigueur. Au cours d’une première rencontre de concertation sur ces questions, le ministre a remis à ses interlocuteurs un document de travail révélateur de la vision actuelle du gouvernement sur ces sujets.
I - Les orientations actuelles du gouvernement pour la réforme de la négociation collective
Les objectifs énoncés n’offrent pas de surprise par rapport aux orientations maintes fois déclinées par le président de la République et le Premier ministre en la matière, à savoir :
- donner un nouvel élan à la négociation collective,
- trouver un nouvel équilibre entre l’Etat et les partenaires sociaux,
- agir davantage par le dialogue social que par la loi. Seule nouveauté, la volonté affichée de respecter la “ Position commune ” de juillet 2001.
1.1 - Conditions de validité des accords d’entreprise
Aux termes du projet remis aux partenaires sociaux de nouvelles règles seraient envisagées pour la négociation collective dans l’entreprise, subordonnant la validité des accords à leur adoption selon l’un des modes suivants :
- signature par le ou les syndicats majoritaires dans l’entreprise, à savoir les syndicats ayant obtenu au moins 50% des suffrages lors des dernières élections professionnelles,
- absence d’opposition des syndicats majoritaires,
- signature par un (ou des) syndicat minoritaire, mais après approbation de la majorité du personnel par un référendum à l’initiative des signataires.
Le choix de l’une ou l’autre de ces formules serait laissé à la négociation de branche professionnelle, mais, en l’absence d’accord de branche sur ce point, la signature des accords d’entreprise par les seuls syndicats majoritaires s’imposerait.
Dispositif paradoxal, dans la mesure où il induirait de profonds changements de fond, touchant à la nature même de la négociation collective, tout en offrant des mécanismes propres à garantir pratiquement le statu quo dans de nombreuses branches professionnelles. L’audace prudente chère au Premier ministre n’aurait-elle pas fait plutôt attendre le contraire : davantage de circonspection sur les principes et des réformes plus effectives si elles s’avèrent réellement nécessaires ?
A la décharge du ministre, toutefois, on peut observer que cette ambiguïté procède de la “ Position commune ” elle-même, que le document de travail ne fait que respecter. C’est d’ailleurs à la faveur de cette contradiction implicite relative au principe majoritaire que la CFDT avait pu être rattrappée in extremis pour figurer au nombre des signataires. Et c’est au nom de cette même contradiction que la centrale de Nicole Notat avait pu sans même attendre que l’encre de sa signature soit sèche, partir à nouveau en campagne contre l’économie de la position commune pour tenter d’obtenir, du législateur cette fois, la mise en oeuvre du principe majoritaire.
C’est ce principe majoritaire qu’entérine précisement le document de travail en faisant reposer la validité des accords collectifs sur une expression majoritaire des salariés, sous une forme ou sous une autre. Apparemment innocent et procédant de la plus indiscutable exigence de légitimité, ce glissement, déjà amorcé avec les lois Aubry, modifie pourtant profondément la nature même de la négociation collective, sans d’ailleurs que toutes les conséquences d’une telle évolution n’aient été véritablement mises en lumière et débattues.
Dans la conception classique de la négociation collective, en effet, l’employeur négocie et signe les accords avec des syndicats, à savoir des associations loi 1884 de salariés, juridiquement extérieures à l’entreprise, lesquelles, en rigueur de termes, ne revendiquent et ne signent que pour leurs adhérents. Si, chez nous, à l’inverse de ce qui se passe chez la plupart de nos voisins européens, l’accord est appliqué à tous dans l’entreprise, syndiqués ou non, adhérents ou non à un syndicat signataire, c’est uniquement à l’employeur qu’on le doit : notre ordre juridique lui impose de le faire dans un souci d’unité de statut social des salariés. L’inconvénient d’une telle solution saute aux yeux dès lors que peu de salariés d’une entreprise sont syndiqués : des accords leur sont appliqués qui sont pris en dehors d’eux par des institutions qu’ils n’ont nullement mandatées et qui ne les auront peut-être même pas consultés avant de signer. Raison pour laquelle un droit d’opposition des “ syndicats majoritaires ” s’est peu à peu imposé dans les esprits et dans le droit, en lien notamment avec l’apparition dans notre édifice juridique de notions telles que l’ordre public dérogatoire ou l’accord du même nom, capables le cas échéant d’imposer à telle ou telle catégorie de salariés des clauses moins favorables que celles du code du travail. Un droit d’opposition qui mériterait sans doute aujourd’hui d’être élargi à l’ensemble des accords collectifs, et rendu plus aisé dans sa mise en œuvre ; ce dont conviennent actuellement tous les partenaires sociaux.
La notion d’accord majoritaire, elle, irait non seulement beaucoup plus loin, mais également dans une tout autre direction. Si l’approbation d’une majorité du personnel est requise pour la validité d’un accord, cela signifie, volens nolens, que désormais l’employeur ne négocie plus avec des associations syndicales, personnes morales et juridiques extérieures, mais en réalité avec son personnel, ou en tout cas avec l’expression majoritaire de celui-ci, pour imprécise et fluctuante qu’elle puisse être. En d’autres termes, l’accord majoritaire créerait pour la première fois dans l’entreprise une autre légitimité collective que celle de l’employeur, qui plus est démocratique celle-là : la volonté majoritaire du personnel ! Bref, à défaut de l’utopie autogestionnaire chère à la CFDT des années 1970, on pourrait se retrouver bientôt, si ce projet devait prospérer, dans une réalité cogestionnaire n’ayant rien à envier à celle des Allemands ; et ce, sans que ni les salariés, ni le patronat, ni le gouvernement, ni les syndicats de ce pays n’en aient fait le choix conscient et réfléchi et ne soient prêts à en assumer les conséquences de tous ordres.
Une telle révolution sur le plan des principes, voire un tel aventurisme idéologique, ne laissent pas d’étonner de la part d’un gouvernement de droite... Sauf à les mettre en relation avec les conditions retenues par le projet pour la validité des accords de branche, qui en neutraliseraient effectivement les effets à brève échéance.
1.2 - Conditions de validité des conventions et accords de branche professionnelle
Aux termes du projet évoqué, la validité des accords de branche serait subordonnée à l’absence d’opposition de la majorité des syndicats représentatifs.
Ce qui revient à dire, à fortiori, que la signature d’une majorité de syndicats représentatifs dans la branche assurerait la validité des accords ; une majorité de syndicats, autrement dit, déciderait du contenu des accords de branche, indépendamment du caractère majoritaire ou non de leur audience dans les entreprises.
Certes, le projet prévoit qu’un accord de branche adopté dans ces conditions pourra fixer des règles différentes ; décider, par exemple, que l’accord de branche lui-même pourrait être soumis à une règle majoritaire après une mesure d’audience des organisations syndicales dans la branche. Jusqu’ici , toutefois, les trois organisations réformistes qui ont assuré aux salariés la construction progressive d’avantages collectifs dans la plupart des professions (FO, CFTC et CGC), n’ont pas recueilli pour autant la majorité des suffrages aux élections professionnelles dans nombre d’entreprises.
Dans ces conditions, on voit mal pourquoi ces organisations syndicales se priveraient elles-mêmes de la possibilité de continuer leur oeuvre, au niveau de la branche déjà, en décidant de se soumettre au critère “ majoritaire ”, et au niveau des entreprises ensuite, en permettant aux “ majoritaires ” d’imposer également ce critère pour la validité des accords d’entreprise ou d’établissement.
De fait, pour peu “ démocratique ” qu’elle puisse paraître à première vue, la position des centrales syndicales précitées n’est pas dépourvue d’arguments sérieux. Historiques déjà. Si la négociation de branche et d’entreprise avait jusqu’ici été soumise au critère “ majoritaire ”, au sens d’une majorité de suffrages du personnel, des générations de salariés dans de nombreuses professions et entreprises auraient été privés du moindre avantage conventionnel, la CGT et même la CFDT jusqu’à une époque récente, n’ayant guère brillé par leur capacité à négocier et à signer des accords.
Plus profondément et de portée plus actuelle, comme on l’a évoqué plus haut, l’idée de faire reposer in fine la validité d’un accord collectif sur un vote majoritaire des salariés ne va pas de soi tant elle affecte la nature de l’accord collectif et même, pourrait-on dire, l’essence du syndicalisme. Le syndicalisme, en effet, repose sur la volonté d’un certain nombre de salariés d’une profession de se regrouper au sein d’une association (loi 1884) afin de négocier collectivement leurs conditions d’emploi et de rémunération. On peut aisément se convaincre que, de soi, ni la légitimité, ni l’intérêt, d’une telle négociation collective n’ont le moindre rapport avec le seuil de 50% des travailleurs d’une profession ou d’une entreprise. Dès qu’il revêt une certaine importance, un tel groupement acquiert une utilité pour négocier avec les patrons. Sa crédibilité s’accroît proportionnellement à sa capacité de mobiliser adhérents et sympathisants, à sa compétence, à son sens de la responsabilité, à son respect de la parole donnée, etc.. Quant à sa légitimité, elle ne dépend en rien du nombre de ses adhérents, mais de la liberté d’association et à sa reconnaissance par les pouvoirs publics.
II - Des orientations étonnantes pour l’élection des représentants du personnel et la mesure d’audience des syndicats
L’actuel monopole de présentation des candidatures réservé aux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise pour le premier tour des élections professionnelles apparaît de plus en plus choquant ; d’autant plus qu’il n’évite nullement l’apparition dans certaines entreprises ou établissements de représentations syndicales contrôlées par l’employeur. Des réformes s’imposent donc. On peut se demander pourtant si la solution évoquée par le document de travail tient suffisamment compte de tous les aspects du problème.
La solution retenue consiste, en substance, à ouvrir les candidatures - pour les élections des délégués du personnel et des représentants des salariés au comité d’entreprise - à tous les syndicats légalement constitués. Avec pour corollaire que les élections se feraient par un scrutin à un seul tour.
Il est vrai qu’une telle réforme mettrait fin, comme l’indique le document, à l’actuelle différence de traitement entre les syndicats dont la représentativité est présumée et ceux qui doivent en apporter la preuve. Mais quid des candidatures non syndicales qui peuvent aujourd’hui se présenter au deuxième tour des élections ? Les concepteurs du projet se sont-ils rendus compte qu’à promouvoir une telle solution sous le prétexte éminemment légitime de favoriser l’équité entre les syndicats, ils privaient le personnel des entreprises d’une liberté qui ne semble pas déraisonnable, même si elle aujourd’hui encore difficile à exercer : celle de confier leur représentation élue à d’autres candidats qu’à ceux présentés par les syndicats ?
Objets de différentes critiques par les partenaires sociaux à l’issue d’un premier tour de consultation, ces orientations initiales du gouvernement sur la réforme du dialogue social devaient être amendées. Un nouveau projet a été promis par M. Fillon pour servir de base à de nouvelles consultations.
Nul doute qu’on en reparlera début avril, après le congrés de la CGT.
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