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Photo du rédacteurBernard Vivier

Retraites : à quoi servent les manifestations ?

Sur fond de manifestations de rue, la réforme des retraites occupe le devant de la rentrée sociale. La difficulté de la réforme consiste moins à en maîtriser les aspects financiers et techniques qu'à gérer le jeu des acteurs (syndicats, patronat, forces politiques), sur fond d'inquiétude générale.


Pas moins de cinq appels à manifester et à faire grève durant toute une journée, entre le 7 septembre et le 12 octobre : les syndicats français sont passés maîtres dans le rituel de la grève.


Les journées de manifestation des 7 et 23 septembre, celles du 29 septembre (organisée par la Confédération européenne des syndicats) et du 2 octobre, celle enfin du 12 octobre auront fait l’objet de nombreux commentaires sur le nombre de manifestants, jusque dans les communiqués publiés par les confédérations. Cette attention portée au nombre de manifestants se sera illustrée par l’inévitable querelle entre les évaluations menées « selon les organisateurs » et celle établies « par la police ».


Plusieurs journaux auront expliqué, dessins à l’appui, les différentes méthodes de comptage.


L’accent mis sur le nombre de manifestants devient-il une fin en soi ? Est-il vraiment important, comparé au contenu même des revendications syndicales ? La réponse spontanée est évidemment négative : les moyens mis en œuvre (une manifestation) apparaissent, en bonne logique, toujours ordonnés à l’objectif à atteindre (le cahier de revendications).


Et si, en cet automne 2010, il en allait différemment ? L’hypothèse mérite d’être examinée.

La réforme est inévitable

Sur le fond du dossier des retraites, la partie semble - contrairement aux discours et aux postures - largement achevée. La réforme des retraites va se faire... parce qu’il ne peut pas en être autrement.


L’accord est général entre tous les partenaires sociaux pour conserver dans notre pays le système de retraites par répartition et pour maintenir les pensions à leur niveau actuel. Le MEDEF, qui aurait pu avancer des propositions en rupture sur ce point (en pronant la logique de la retraite par capitalisation ou, tout au moins, une amorce en ce sens), ne l’a pas fait.


Les cotisations ne pouvant pas être relevées, la réforme ne pouvait qu’agir sur la durée de cotisations et/ou sur le relèvement de l’âge de départ en retraite. C’est bien ce que sont en train d’organiser le gouvernement et le Parlement.


Les aménagements revendiqués par les syndicats relèvent davantage des revendications de « la dernière ligne droite » avant le vote parlementaire que d’une contestation radicale de la réforme.

Le gouvernement a soigneusement évité l’affrontement avec la CGT (les fonctionnaires et les régimes spéciaux ne sont pas concernés comme le sont les salariés du secteur privé). Il a, depuis mi-juin, c’est-à-dire depuis la fin de son congrès, porté attention aux demandes de la CFDT : pénibilité, carrières longues, poly-pensionnés.



Chacun sait qu’étant entrés dans une phase durable de déficit - de l’ordre de 10 milliards d’euros par an - nous n’avions guère le choix. Les projections démographiques et les difficultés nées de la crise économique imposent des décisions incontournables. Le Parti socialiste, par-delà son discours d’opposition, converge assez bien avec la logique de l’UMP. En 2012, il est clair que le retour éventuel de la gauche au pouvoir ne conduirait pas à un retour de la retraite à 60 ans... à taux plein.


Patronat, syndicats et partis politiques savent même que d’ici quelques années, une nouvelle réforme devra être conduite, les mesures actuelles ne pouvant pas donner des réponses durables au problème du financement des retraites.

Les manifestations, utiles en soi ?

Pourquoi alors, dans notre pays (il en va différemment ailleurs en Europe), la manifestation syndicale apparaît-elle comme utile en soi ?


La réponse se trouve probablement dans notre système de régulation sociale. Celui-ci a toujours accordé une place centrale à l’Etat et une place secondaire aux partenaires sociaux. Les manifestations de rue permettent aux syndicats de rappeler leur capacité de blocage à un Etat traditionnellement tenté de mener des réformes sans eux. L’ombre des manifestations anti-CPE de 2006 plane toujours sur les discours actuels comme une sorte de modèle espéré. Les manifestations permettent aux syndicats de déployer leur puissance. Dans un pays où le taux de syndicalisation est tombé à 7% des salariés (trois fois moins qu’il y a trente ans), les syndicats existent moins par le nombre d’adhérents que par celui des manifestants qu’ils convoquent régulièrement. A l’approche d’élections politiques, le nombre de manifestants se convertit plus aisément en nombre d’électeurs que celui des adhérents : la menace de voir défiler des millions de manifestants interpelle davantage un gouvernement que les déclarations des états-majors syndicaux dont on a vite estimé le nombre d’adhérents réels qui les entoure. Dit autrement : pour le pouvoir en place comme pour l’opposition, 2 ou 3 millions de manifestants, c’est aussi 2 ou 3 millions d’électeurs potentiels pour 2012.

Relation Etat - syndicats

La relation Etat - syndicats se trouve ainsi rééquilibrée dans un rapport de forces installé sur la manifestation, quand, dans d’autres pays, ce rapport de forces s’exprime davantage sur le terrain de la négociation raisonnée.


Ce faisant, il est utile de noter qu’en valorisant les manifestations, les syndicats ne se situent pas obligatoirement en opposition systématique au gouvernement. Ces manifestations permettent au pays d’exprimer son inquiétude, sa lourdeur, ses craintes face à la dureté de la crise économique.

Et de le faire dans un cadre tenu par les syndicats. Dans un contexte politique et social où les risques de dérive populiste sont réels, la gestion syndicale des inquiétudes et de la lourdeur sociale participe à une régulation hautement préférable à celle que pourraient conduire des partis politiques extrémistes, à droite comme à gauche.



Dès lors, les syndicats sont appelés à jouer un rôle très réel de co-gestionnaires de la crise, évitant les risques d’une confrontation directe, par la rue, entre le peuple et son gouvernement.

Notre pays, qui a connu de multiples moments de renversement ou de tentatives de renversement du pouvoir par la rue (1830, 1848, 1870 au XIXème siècle, sans compter les appels à la grève générale lancés par la CGT jusqu’à la première guerre mondiale) se trouve aujourd’hui heureusement doté de syndicats qui remplissent un rôle de corps intermédiaires, dans une logique réformiste et non pas révolutionnaire.

Sur ce registre, la CGT et la CFDT tiennent à distance les discours maximalistes de certaines tendances syndicales (notamment les syndicats SUD), lesquelles appellent à des manifestations élargies à des thèmes et à des acteurs plus politiques que professionnels et syndicaux. Sur ce registre toujours, l’ensemble des syndicats contiennent les partis politiques situés à l’extrême-gauche.

Les manifestations participent ainsi, sous conduite syndicale, à une gestion des tensions nées de la dureté de la crise économique.



Libération, 23 septembre 2010 : les méthodes pour compter les manifestants.

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