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Photo du rédacteur François Charpentier

Retraites : pourquoi un régime universel et pourquoi des points ?

Journaliste estimé dans le monde de l’information sociale, François Charpentier est un spécialiste des systèmes de protection sociale et de retraites en France et dans le monde.


Auteur, notamment, d’une volumineuse Encyclopédie de la protection sociale (Economica-Liaisons sociales, 2000) et d’un bref et synthétique Que sais-je sur Les Retraites complémentaires Agirc-Arrco (PUF , 2016), il publie aujourd’hui Une nouvelle Sécurité sociale, de Bismarck à Macron (Economica, 254 pages, 2019, 25,-€).

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La vocation à l’universalité de la sécurité sociale était clairement affirmée par le Conseil national de la Résistance et par ses fondateurs. Mais cette ambition initiale a été contrariée par des facteurs historiques et politiques - une impossible mutualisation avec les régimes antérieurs existants - et économiques -un pays ruiné par la guerre. Aujourd’hui les temps ont changé. Non seulement, expliquait Emmanuel Macron dans son programme, il faut mettre en place un système « plus clair et plus lisible », mais « la retraite ne devrait pas, à terme, dépendre du statut du travailleur, salarié, indépendant ou fonctionnaire, mais de la réalité de son travail. Et c’est sur cette base que la question de durée de cotisation doit être posée et non de manière uniforme » (Révolutions. Réconcilier la France, Emmanuel Macron, Pocket, 2016.)


Pour dire les choses autrement, l’objet du débat est de passer d’un système qui était à l’origine, en 1945, fortement « redistributif » à un système moins « redistributif », « un système de retraite n’a pas vocation à être la « voiture-balai » de toutes les inégalités », expliquait à Orléans un participant à un débat sur les retraites, organisé par l’université de droit et la Fondation Jean Jaurès - à un système plus fortement « contributif ». Moins de droits au travailleur et plus de droits à la personne. Moins de Bismarck, plus de Beveridge. Cette évolution correspond bien à celle du marché du travail. A ce détail près que, contrairement à la santé, ce système doit continuer à être financé principalement par des cotisations sur salaires et géré avec le concours des partenaires sociaux. S’ils le jugent utile et s’ils le souhaitent encore...



La technique des points, dans cette perspective, est préférable à celle des annuités pour plusieurs raisons. D’abord, nous l’avons vu, parce qu’en 1945 le recours aux annuités, dans le contexte de l’époque, permettait de maintenir les pensions à un niveau « soutenable » au regard d’une économie dévastée, donc à un montant très bas. Ce sont bien les points, dans les vingt années suivantes qui, grâce à la détermination de la CGT, à l’activisme d’une CGC naissante, mais aussi à l’habileté du ministre du Travail communiste de l’époque Ambroise Croizat, vont permettre aux salariés cadres d’améliorer très sensiblement le montant de leur pension, jusqu’à en représenter les deux tiers. De la même façon, ce sont bien les points attribués dans les régimes de non-cadres, avant la constitution de la fédération Arrco en 1961, sous la houlette de Force Ouvrière cette fois, qui en assure la gestion jusqu’en 2014, qui ont permis aux retraités non-cadres de disposer d’une pension décente.


- Les points : une idée CGT ? -


Dans les deux cas, il faut le souligner, les points attribués au titre des régimes complémentaires, Agirc à partir de 1947 et Arrco en 1961, ont été un vecteur majeur d’amélioration des pensions. Sans qu’on sache très bien d’ailleurs qui, entre le 8 août 1946, date du vote de la « loi de généralisation » de l’assurance vieillesse, et le 14 mars 1947, date de naissance officielle de l’Agirc, a « inventé » la technique des points. Certains attribuent la paternité de ce système à Francis Netter, polytechnicien, actuaire, collaborateur direct de Pierre Laroque, auteur des ordonnances de 1945. Bruno Gabellieri, dans une thèse publiée en 1987, penche plutôt - ironie de l’Histoire ! - pour le représentant de la CGT, l’ancien résistant, Andréjean, signataire des accords Agirc du 14 mars 1947... (Le régime complémentaire de retraite et de prévoyance des cadres, Université de Nice, 1987.).


Quoi qu’il en soit trois autres éléments militent en faveur des points.


1. On l’a oublié, mais en revenant aux affaires en 1958, le général de Gaulle charge son vieux .compagnon de route Pierre Laroque, dans le cadre d’une commission d’études préparatoire au IVème Plan, d’un rapport sur « Les problèmes de la vieillesse ». Deux ans plus tard, le rapport est prêt et déjà son auteur, qui s’inquiète de la charge à venir des pensions dans un contexte de vieillissement de la population, note que « la généralisation à l’ensemble des régimes du système des points pourrait constituer le moyen de réaliser une certaine unification de ces régimes - régime général et régimes complémentaires -s’il était possible de réaliser une valeur uniforme du point de retraite pour l’ensemble des régimes de vieillesse »... Pour quantités de raisons, ce rapport visionnaire sur l’arrivée d’une société du vieillissement et ses conséquences sur le monde du travail restera dans les tiroirs.


2. Le 27 janvier 2010, est voté le 7ème rapport du Conseil d’orientation des retraites qui s’intitule « Annuités, points et comptes notionnels ». Dès cette époque en effet, Nicolas Sarkozy, qui avait amorcé une timide réforme des régimes spéciaux et qui envisageait une réforme systémique, qui se réduit en 2011 à une nouvelle réforme paramétrique, entrevoyait un possible basculement des annuités en points. Le COR d’ailleurs, présidé à l’époque par Raphaël Hadas-Lebel, n’y faisait pas obstacle constatant qu’un tel scénario est « techniquement possible ». « Les conséquences pour les assurés dépendent principalement des modalités de la transition, notamment de sa durée, et du choix des paramètres du nouveau système ». Le rapporteur ajoute que ce passage « nécessite au préalable des choix politiques qui ont trait, notamment, à l’architecture du système de retraite, aux objectifs que l’on souhaite atteindre en priorité (pérennité financière, équité entre les générations et degré de redistribution), enfin au calendrier et au mode de transition pour passer d’un système à l’autre ».

- Solidarité entre générations -

Le COR, présidé ensuite par Pierre-Louis Bras, approfondit sa réflexion le 7 février 2018 sur ces trois techniques de constitution, puis de liquidation des droits à pension : - une promesse de pension de 50% d’un salaire plafonné à un certain âge et pour une certaine durée de cotisation, pour les annuités ; - pas de promesse d’un pourcentage du salaire, mais des droits sous forme de points, dont le nombre, la « valeur de service » et l’âge de la liquidation déterminent le montant de la pension, dans un système par points ; - des droits accumulés, affectés d’un coefficient de conversion en fonction de l’espérance de vie de la génération de l’assuré à l’âge de départ à la retraite, dans les comptes notionnels. En résumé, dans les deux premiers systèmes se met en place une « solidarité « intergénérationnelle », infiniment plus robuste que la solidarité « intra générationnelle » des comptes notionnels.


3. Troisième facteur et non des moindres : alors que la France a eu un rôle pionnier en 1947, en étant le premier pays du monde à « inventer » la formule des points, elle est restée un peu « les deux pieds dans le même sabot » quand d’autres pays se convertissaient aux points ou aux comptes notionnels pour faire face aux aléas démographiques et économiques. Certes, les contextes étaient différents. L’Allemagne, par exemple, du fait d’un taux de fécondité au plus bas depuis les années 1950, devait d’urgence trouver une solution. Ce fut le basculement dans un système par points en 1992 et l’introduction d’un zeste de capitalisation en 2001, le tout combiné avec un relèvement de l’âge de départ à la retraite. L’Italie avait un système en faillite en raison de droits à la retraite très avantageux, mais non financés.


En 1995-1997, elle opte pour des comptes notionnels. Tout comme la Suède qui n’attend pas la catastrophe annoncée pour 2015. Pendant plus de 10 ans, elle travaille au basculement de son régime universel, contributif et fonctionnant avec une réserve permettant de combler les déficits jusqu’en 2015. Elle opère le basculement en pleine crise économique de 2007-2008 et doit très vite revoir son mécanisme d’équilibre qui se déclenche dès que les recettes et les réserves financières du régime se révèlent insuffisantes pour honorer les engagements du régime. Pologne, Estonie… on pourrait encore allonger la liste de ces pays qui, pour toutes sortes de raisons, sont passés aux points ou aux comptes notionnels.



- Trois arguments en faveur des points -


On se contentera de retenir que trois arguments plaident en faveur des points. D’abord, tous ces pays qui ont basculé vers des systèmes en points ou en comtes notionnels - c’est aussi le cas de la France – restent attachés pour leur régime de base à la répartition. La technique des points permettrait donc de rassurer les jeunes générations, qui cotisent pour leurs aînés, sur la solidité financière à long terme de ces régimes quand leur tour viendra d’en bénéficier.


Ensuite, dans un monde du travail devenu extrêmement « fluide », le passage d’une entreprise à une autre, d’une branche à une autre, expose le salarié bénéficiant d’un système par annuités à un risque d’abattements sur chacun des régimes traversés, donc de minoration de la pension finale. Ce risque, évidemment, n’existe pas dans un régime en points courant sur toute la carrière.


Enfin, compte tenu de la mobilité croissante des actifs, un « compte de points » donne plus de visibilité sur la constitution des droits en cours et sur les opportunités à saisir pour les compléter par des formules d’épargne individuelle ou collective. En revanche, il ne renseigne, pas plus que les annuités, sur le montant de la pension puisque la valeur du point se définit chaque année.

- Le débat n’est pas clos -

Pour autant, le débat est loin d’être épuisé et il oppose en permanence partisans et adversaires des deux formules. Jean Jacques Marette, en raison de ses fonctions passées à la tête du GIE Agirc Arrco, est un ardent défenseur des points. D’abord, parce que cette technique permet de « piloter » un régime. « L’expérience a prouvé, expliquait-il devant des cadres de direction de la sécurité sociale, qu’entre 1993 et 2013 le pilotage des régimes complémentaires de retraite des salariés a été efficace. Ils ont accumulé 60 Mds€ de réserves sur la période, alors que, si rien n’avait été fait, ils auraient affiché un déficit de -230 Mds€. 68% de l’effort accompli sur la période a résulté d’une augmentation des ressources. ». (« Les grands dossiers de la sécurité sociale », EN3S, Reims, octobre 2017.).


Ensuite, « dès lors qu’on vise à satisfaire le principe d’universalité, que s’efface la notion de retraite attachée à un statut et que tout doit être mis en œuvre pour répondre à l’exigence de soutenabilité qui n’est rien d’autre que la garantie de pérennité du système, les points sont très utiles (…).


Ainsi, tous les quatre ans, on vérifie à l’Agirc et à l’Arrco cette soutenabilité à 15 ans qui n’est rien d’autre dans un régime par points que la vérification que la somme actualisée des cotisations et des réserves, rapportée à la somme des prestations, permet de tenir les promesses de pension ».


Enfin, sur la faisabilité d’un basculement, Jean-Jacques Marette rappelle que dans un tel système « la solidarité est mieux assurée » et qu’ « entre 1961 et 1999, nous sommes passés à l’Arrco de 45 régimes, pour certains en annuités, à un régime unique par points ».


Henri Sterdyniak, économiste et conseiller à l’OFCE, se montre, quant à lui, plus interrogatif. Non seulement parce que la promesse « d’un euro cotisé offrant les mêmes droits quel que soit le statut, cela peut paraître sympathique. Mais c’est contraire au principe des assurances sociales et à la distributivité ». Mais aussi parce que, selon lui, la technique finalement importe peu. Tout en estimant qu’un système de décote-surcote est plus juste que des comptes notionnels, il ajoute : « La vérité c’est qu’on a un système de retraite généreux qu’on veut rendre moins généreux en faisant payer la facture par les retraités ». Sur le même sujet, on lira dans la revue Futuribles, n°430, mai-juin 2019, les points de vue opposés de Jean-Claude Angoulvant, ancien directeur de caisse de retraite, attaché au système bismarckien, et Jacques Bichot, professeur émérite à l’université de Lyon, farouche partisan de l’avènement d’un régime universel par points.

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