La nouvelle négociation patronat-syndicats sur « la sécurisation de l'emploi » s'annonce capitale pour donner à notre pays les moyens de s'adapter aux exigences de la compétitivité. En près de vingt ans, le thème de la flexibilité n'a cessé de grandir.
Les Britanniques, c’est bien connu, ne sont guère tendres pour les Français. Dans son tout récent livre « Le déni français » (Lattès éditions), Sophie Pedder, journaliste à The Economist, relève notre incapacité à mener des réformes : « Tous les pays européens, de la Suède à l’Espagne, ont pris des mesures douloureuses. La France, aucune ! ».
C’est en partie vrai. Notre pays se trouve confronté à une exigence de première importance : gagner de façon significative des parts de compétitivité. Traduction : développer une plus grande capacité d’adaptation de l’outil de production aux variations de la demande. L’organisation du travail, le temps de travail, les rémunérations, les règles d’embauche et de licenciement se trouvent directement concernés par cette exigence. La réglementation sociale est appelée à évoluer.
- 1983 : « flexibilité » -
Le phénomène n’est pas nouveau. Pour qui est attentif au sens des mots, ceux de « mutations » et de « flexibilité » peuvent être datés. C’est à la fin de 1983 et tout particulièrement après les réorganisations de production dans l’industrie automobile (le conflit Talbot date de décembre 1983) que le mot « mutations » entre de façon massive dans notre vocabulaire.
Aussitôt après, au printemps 1984, un autre mot connait un succès certain : « flexibilité ». Lancé dans les milieux patronaux, le mot est mal perçu dans les milieux syndicaux où, près de vingt ans après, il n’est toujours pas accepté.
La méfiance à l’encontre du mot et du concept tient en grande partie à la difficulté qu’éprouve notre pays à organiser la relation de travail autrement que par celle d’un statut, le plus général et uniforme possible. Dans la fonction publique (5 millions de travailleurs) et dans les entreprises dites « à statut », l’Etat a depuis de longues décennies, installé et garanti l’emploi. Pour les entreprises privées, la relation de travail est pensée de la même façon. Le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est considéré, dans les textes et dans les esprits, comme la forme normale de la relation employeur - salarié. Les contrats à durée déterminée (CDD) ou les contrats d’intérim font l’objet d’une grande méfiance. Les juristes parlent de contrats atypiques, les syndicalistes de travail précaire. Ainsi, par exemple, l’ordonnance du 5 février 1982 sur les CDD précise : « Le contrat de travail de droit commun est le contrat à durée indéterminée, le recours aux CDD étant limités à des cas où l’emploi pourvu ne présente manifestement pas un caractère permanent ».
Le marché du travail de 2012 n’est plus celui de 1945. Il est devenu mondialisé ; les Etats ne sont plus autant protecteurs et régulateurs. Le statutcède le pas, de façon inexorable, au contrat.
- Donner force au contrat -
C’est précisément la notion de contrat, tant individuel que collectif, qu’il s’agit de redéfinir et moderniser, puisque celle de statut cesse progressivement de protéger le travailleur et de structurer le marché du travail. Autrement dit : donner force au contrat collectif plus qu’à la norme étatique.
Deux exigences, assez éloignées au premier abord, sont à conjuguer :
besoin de souplesse, d’adaptation, de réactivité des entreprises, besoin de règles sociales plus flexibles par conséquent ;
besoin de sécurité, de garanties collectives, de normes les plus générales et durables possibles, pour les salariés. Notons que les entreprises elles-mêmes ont besoin de sécuriser, dans la durée, les décisions qu’elles prennent dans le domaine de l’emploi et de la gestion du personnel (tant sont grandes les incertitudes de la réglementation et de la jurisprudence).
Pour éviter de passer d’une sur-réglementation rigide à une déréglementation débridée, notre pays cherche de nouvelles définitions de son organisation sociale.
Conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012
Dans les entreprises, de façon empirique (comme le sont très souvent les innovations sociales), des expériences ont été menées, des accords collectifs ont été signés.
Les grandes négociations nationales sont, sur ce même thème, anciennes et fournies. Une négociation interprofessionnelle s’était ainsi ouverte en mai 1984 sur l’adaptation des conditions d’emploi (autrement dit la flexibilité). Le 16 décembre 1984, un protocole d’accord était même élaboré. Il ne vit finalement pas le jour.
- Flexi - sécurité -
Depuis, des évolutions se sont produites, des accords ont été signés. Récemment, l’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail amorce une conjugaison « flexibilité - sécurité ». Il crée notamment la rupture conventionnelle, en réaffirmant aussi que « le CDI est la forme normale et générale du contrat de travail ».
D’autres pays se sont engagés dans cette même voie, souvent avant la France. Suite à une note du ministre du travail hollandais Ad Melkert en 1995 « Flexibility and Security », une loi est adoptée en 1999, « Wet flexibiliteit en Zekerheid ». La même année, en 1999, le Danemark installe un dispositif qui va être popularisé, bien au-delà du pays, sous le vocable de « flexi-sécurité » :
règles de licenciement souples,
indemnisation généreuse des chômeurs,
politiques actives de l’emploi, pour combattre le chômage de longue durée et contrôler la disponibilité et la motivation des chômeurs.
- Une négociation s’ouvre -
En février 2012, le gouvernement français invitait les partenaires sociaux à négocier la question « compétitivité-emploi ». Cette négociation était suspendue et, de fait, enterrée en avril, en pleine période d’élections politiques.
Le gouvernement issu des urnes au printemps a repris le chantier. Lors de la « grande conférence sociale » des 9 et 10 juillet dernier (où le président de la République a parlé de la compétitivité), les partenaires sociaux ont échangé sur le sujet. Et le 7 septembre dernier, le ministre du travail adressait aux négociateurs un document d’orientation. Si l’expression « compétitivité-emploi » a disparu au profit de celle visant à une meilleure « sécurisation de l’emploi », la problématique n’est guère différente.
Si l’on veut éviter que les entreprises ne fassent trop recours à la flexibilité externe (CDD, intérim), il importe de mieux organiser la flexibilité interne, de façon bien plus profonde que les mesures actuelles possibles (chômage partiel, aménagement des horaires, etc).
Quatre axes sont à l’ordre du jour de cette négociation, qu’indique le document d’orientation du ministre du travail :
travailler la question du CDI, du temps partiel et de la formation pour donner la souplesse nécessaire au marché du travail,
progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences, améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face à des aléas de conjoncture, pour éviter les licenciements,
améliorer les procédures de licenciements collectifs.
Le gouvernement souhaite une conclusion à cette négociation pour le tournant de l’année 2012-2013. Les organisations patronales se montrent ouvertes à la négociation, les organisations syndicales aussi, même si la CGT et FO ont manifesté de vives réticences.
Car l’enjeu d’une telle négociation est maintenant connu : maintenir la France dans le peloton de tête des pays compétitifs.
Depuis 1984, les esprits ont évolué.
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