La rentrée sociale 2004 aura été l'une des plus calmes depuis longtemps. Le gouvernement n'y est pas étranger. Sa stratégie comme le contenu de ses projets ne sont pas, cette année, de nature à susciter d'importants mouvements d'opinion, ni selon toute vraisemblance, de fortes mobilisations syndicales ou corporatistes.
1. Une stratégie renouvelée adaptée à un nouveau contexte
Depuis la rentrée, le gouvernement semble avoir adopté une nouvelle manière de faire en matière sociale. La stratégie à l’ordre du jour apparaît assez différente de celle qui présidait jusqu’à l’été à la réforme des retraites, de l’assurance maladie ou du statut d’EDF. A l’évidence soucieux de ne pas perturber la rentrée la plus calme sur le plan social et la plus prometteuse sur le plan économique, le gouvernement procède plus en douceur. Une nouvelle approche manifestée par quelques principes aisément décelables :
- s’intéresser surtout à des dossiers à moyen terme (comme celui de la pénibilité et des salariés âgés),
- adopter la méthode des petits pas,
- affirmer haut et fort que le statu quo est impossible mais laisser la champ ouvert sur les modalités de la réforme,
- pratiquer la concertation ouverte : écouter plutôt que de dévoiler un projet, pour la réforme des 35 heures notamment,
- renvoyer les sujets les plus risqués à la négociation des partenaires sociaux (lesquels d’ailleurs, se montrent aujourd’hui peu empressés de s’entendre pour négocier et, paradoxalement, en appellent volontiers les uns ou les autres à la loi) :
* emploi des seniors,
* santé, sécurité et pénibilité au travail,
* modification du Code du travail,
* restructurations (le gouvernement, après un premier report doit légiférer avant le 4 janvier 2005 en l’absence d’accord national interprofessionnel),
* financement du paritarisme.
2. Les projets du gouvernement pour cette rentrée 2004
Si la loi de programmation pour la cohésion sociale et la loi sur l’école sont affichées comme les deux priorités de la rentrée, d’autres dossiers à forte incidence économique et sociale viennent compléter le menu. En réalité, ce ne sont pas moins de six dossiers importants, chauds pour certains, qui figurent au menu du gouvernement pour cet automne :
- le budget 2005,
- la loi de programmation sur la cohésion sociale,
- la réforme des 35 heures,
- le service minimum dans les transports publics,
- la négociation salariale dans la fonction publique,
- le projet de loi sur l’Education nationale.
2.1. Le budget 2005 pour les salariés et les entreprises : pas de nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu, mais des mesures ciblées pour les particuliers et pour les entreprises, des mesures fiscales classiques et un plan anti-délocalisations.
Pour les particuliers
Impôts : pas de nouvelle baisse, seulement un barème actualisé pour tenir compte de l’inflation (évaluée à 1,7%).
Droits de succession : exonération totale pour la transmission d’un patrimoine de 100.000 euros (patrimoine moyen des français).
Prime pour l’emploi : les seuils sont rehaussés de 4% pour tenir compte de l’inflation et suivre la hausse du Smic.
Accession à la propriété : le dispositif actuel du prêt à taux zéro transformé en un mécanisme de prise en charge des intérêts d’emprunt pour porter de 100.000 à 250.000 le nombre des bénéficiaires.
Résidence principale : deux nouveaux crédits d’impôt sont créés pour les dépenses d’équipement (orientés l’un en faveur du développement durable, l’autre de l’aide aux personnes).
Emplois à domicile : une réduction supplémentaire de l’impôt sur le revenu pour l’emploi d’un salarié à domicile est décidée (passage du plafond annuel des salaires ouvrant droit à réduction de 50% de 10.000 à 15.000 euros en 2006 pour les dépenses engagées en 2005).
Jobs d’été : exonérés d’impôt à partir de 2005 pour les moins de 18 ans pendant les congés scolaires.
Pour les entreprises
Baisse de l’impôt sur les sociétés : la contribution additionnelle dite surtaxe Juppé est supprimée en deux ans.
Taxe professionnelle : le dispositif de dégrèvement au titre des nouveaux investissements est prorogé de 6 mois.
Crédit d’impôt export pour les PME : instauré à hauteur de 50% des dépenses de prospection et plafonné à 15.000 euros.
Apprentissage : augmentation de la taxe d’apprentissage par une contribution supplémentaire progressive de 0,06% de la masse salariale jusqu’à 0,18% en 2007.
Capital-risque et impôt de bourse : la cible éligible aux fonds communs de placement dans l’innovation est élargie aux entreprises comptant jusqu’à 2000 salariés.
Assurance-vie : de nouveaux contrats remplacent les DSK. Ils sont plus faiblement investis en actions et davantage orientés vers les sociétés non cotées.
Aide aux transporteurs : doublement du dégrèvement de la taxe professionnelle et extension aux véhicules de plus de 7,5 tonnes, assorti de la pérennisation de la ristourne de TIPP ramenée à 2,5 euros par hectolitre.
...et au titre du plan anti - délocalisations
Crédit de taxe professionnelle : jusqu’en 2009, un crédit de taxe professionnelle de 1000 euros par salarié employé depuis au moins un an est institué dans 20 zones où l’évolution de l’emploi est défavorable et 10 zones connaissant des restructurations industrielles importantes.
Crédit d’impôt sur les sociétés : de 2005 à 2007, un crédit d’impôt sur les sociétés est accordé aux entreprises qui relocalisent en France.
Pôles de compétitivité : ces nouveaux territoires désignés sur appel à projet entraîneront pour les entreprises qui s’y implanteront des subventions, et des exonérations d’impôts sur les bénéfices, de taxe foncière et de taxe professionnelle pendant 5 ans dans la limite de 100.000 euros par période de trois ans.
Paradis fiscaux : le taux de détention de parts dans une société étrangère entraînant le paiement séparé de l’impôt passe de 10% à 50% avec possibilité de mutualiser profits et pertes.
2.2. La loi de programmation sur la cohésion sociale.
Cher à M. Borloo, le projet de loi comporte trois piliers : emploi, logement, égalité des chances et se veut très ambitieux avec 12,7 milliards d’euros de crédits programmés sur 5 ans (2005 - 2009). Ne recevant qu’un accueil mitigé des partenaires sociaux, il suscite surtout des critiques pour son volet emploi en raison de ses dispositions relatives au contrôle des chômeurs (graduation des sanctions, toujours réservées à l’administration) et à la réforme de l’apprentissage (crédit d’impôt pour l’entreprise, augmentation du salaire des apprentis et augmentation de la taxe d’apprentissage). Côté logement il comprend un plan sans précédent de relance et de construction de logements sociaux. Pour le Medef ce plan a le défaut d’alléger le contrôle des chômeurs, tandis que la CFDT estime que les mesures retenues visent le traitement social du chômage, pas l’emploi. La CGT pour sa part critique à peu près tout dans une note de 40 pages.
2.3. La réforme des 35 heures.
M. Gérard Larcher, ministre des relations du travail, a achevé ses consultations. Il se hâte lentement sur un sujet aussi difficile et aussi encadré entre les indications du Président de la République (les 35 heures acquis social sur lequel on ne reviendra pas) et celles du Premier ministre (permettre à ceux qui le veulent de travailler plus).
Sur ce sujet, il existe sans doute une marge de manoeuvre : les sondages montrent que les Français sont prêts à une augmentation de la durée du travail, par exemple face à un risque de délocalisation ou de perte d’emploi (comme dans les cas de Bosch ou de Doux).
Mais le gouvernement ne semble pas disposé à donner satisfaction au Medef et à la CGPME qui réclament la possibilité pure et simple de déterminer la durée du travail par accord d’entreprise. Une revendication qui aujourd’hui, avec l’application de la loi Fillon poserait d’ailleurs quelques problèmes de faisabilité, au niveau de l’entreprise et peut-être même au niveau des branches professionnelles : éviter l’opposition à un nouvel accord sur la durée du travail suppose de s’assurer d’une majorité d’organisations signataires (branches professionnelles) ou d’une majorité électorale (accords d’entreprise) ; ce qui explique sans doute que la plupart des organisations syndicales se montrent actuellement peu soucieuses d’aviver la polémique sur le sujet.
Côté syndicats, au-delà d’une opposition de principe unanime à une nouvelle réforme, aucune confédération ne tient à alimenter la polémique sur le sujet. Si bien que seule la multiplication des chantages à la délocalisation de la part d’entreprise, pour revenir à la hussarde sur les accords 35 heures, pourrait obliger les organisations syndicales à réagir plus vivement.
Côté employeurs, pour les grandes entreprises tout au moins, la même prudence paraît de rigueur. Des compensations obtenues, l’annualisation du temps de travail ou la modulation par exemple, n’incitent pas à rouvrir des négociations au risque de créer une nouvelle période de tension et d’instabilité dans l’entreprise. La loi Fillon a d’ailleurs ouvert aux branches professionnelles la possibilité de négocier sur la rémunération des heures supplémentaires et cette opportunité n’a été saisie que par très peu de fédérations patronales. Quoi qu’il en soit, le gouvernement dans les décisions qu’il arrêtera dans les prochaines semaines ne devrait pas aller beaucoup plus loin que la piste proposée par M. Raffarin de généraliser à toutes les entreprises la règle instaurée pour les moins de vingt salariés d’une majoration à 10% plutôt qu’à 25% des heures supplémentaires entre 35 h et 39 heures.
2.4. Le service minimum dans les transports.
La montagne semble en train d’accoucher d’une souris. Aux dernières nouvelles, il ne serait plus question de légiférer sur le sujet, sinon pour encadrer les accords sur le dialogue social et imposer la négociation de tels accords aux entreprises et syndicats récalcitrants...
Il est vrai que le sujet rencontre l’hostilité de principe de toutes les centrales syndicales (sauf peut-être de la CFTC). Et des décisions réelles du gouvernement obligeant à la continuité du service public ou à un service minimum pourraient déclencher grèves et manifestations organisées par les fédérations syndicales concernées, plus ou moins vivement appuyées par leurs confédérations.
Il est vrai également que les syndicats eux-mêmes risquent d’être handicapés dans une mobilisation contre un tel projet par les écarts d’appréciation existant chez eux sur ce sujet entre les fédérations du public et fédérations du privé et surtout par l’état de l’opinion, largement favorable à l’instauration d’un service minimum. A la manière de ce qui s’est produit lors de la réforme d’EDF, les grèves et mobilisations syndicales contre le projet pourraient être difficiles à maintenir très longtemps en raison de leur effet négatif sur les usagers et l’opinion publique.
2.5. La négociation salariale dans la fonction publique.
La demande de négociation salariale des fédérations de fonctionnaires s’accorde mal avec la volonté de favoriser les requalifications de métiers et les rémunérations au mérite. Les augmentations de salaires de la fonction publique, inférieures depuis deux ans au taux de l’inflation, poussent à des négociations que la rigueur du budget 2005 ne devraient pas rendre faciles. Ce qui permet de craindre quelques grèves et manifestations de fin d’année pour anticiper et accompagner ces négociations.
2.6. Le projet de loi sur l’Education nationale.
Toujours en attente, son futur contenu fait toujours l’objet de concertations au long cours. Si le gouvernement table sur le consensus et entend prolonger le climat social plutôt calme de cette rentrée des classes, son contenu risque de ne pas être très révolutionnaire.
3. Les points délicats de la politique sociale du gouvernement
On peut relever aussi dans la politique du gouvernement, ou dans sa pratique, un certain nombre de points délicats ou dysfonctionnements susceptibles de provoquer quelques troubles et mouvements sociaux. A commencer par une observation globale : après deux ans passés à Matignon et plusieurs réformes à son actif (retraites, Sécu., décentralisations) le Premier ministre semble peiner maintenant à donner à la deuxième phase de son action un contenu réel, cohérent et une direction d’ensemble ; même si la loi de programmation pour la cohésion sociale et de la loi sur l’école sont affichées comme les deux priorités de la rentrée.
Les débats de l’été sur l’utilisation des 5 milliards de ressources fiscales supplémentaires pour un pays qui dépense chaque année 20% de plus qu’il ne produit a donné l’impression d’un gouvernement qui se laisse porter au fil de l’eau.
Sur un certain nombre de dossiers sociaux comme les 35 heures ou le service minimum dans les transports, le gouvernement peut donner l’impression de prendre ses décisions au gré des équilibres politiques, parfois même internes à l’UMP, plus que des équilibres économiques.
On peut observer aussi qu’un Premier ministre qui change d’avis en trois semaines, sur l’étalement de la hausse du Smic par exemple, donne une impression de confusion.
Les grandes réformes elles-mêmes, courageuses dans leur principe, comme celles des retraites ou de l’assurance maladie, laissent un goût d’inachevé. Ainsi, le financement des retraites à moyen terme n’est-il toujours pas garanti après la réforme et c’est la même chose pour l’assurance maladie. M. Douste-Blazy paraît aujourd’hui se satisfaire d’un déficit de 10 milliards en 2005.
4. Quelles conséquences pour le climat et les relations sociales dans les entreprises ?
Parmi les dossiers traités actuellement par le gouvernement, quelques uns pourraient provoquer des mouvements sociaux dans l’entreprise ou hors de l’entreprise, susceptibles d’altérer le climat social ou de créer des difficultés, par exemple :
- la nouvelle réforme des 35 heures,
- le service minimum dans les transports publics,
- la loi qui doit intervenir en fin d’année sur les restructurations et les procédures de licenciement collectif pour remplacer les dispositions suspendues de la loi de modernisation sociale.
Plus concrètement, indépendamment des projets en cours, les réformes déjà effectuées par le gouvernement introduisent également en ce moment dans les entreprises des changements susceptibles d’animer les relations sociales et d’influer sur le climat social, tels que :
- les nouvelles règles de la négociation collective,
- le déblocage anticipé de la participation,
- la mise en place du droit individuel à la formation,
- la validation des acquis professionnels et ses répercussions par effet mécanique sur les grilles des classifications,
- les préretraites,
- la journée de solidarité du lundi de Pentecôte et ses modalités d’application.
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