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Syndicats : le défi jeunes

Photo du rédacteur: Michèle MillotMichèle Millot

En son temps, Diogène, armé de sa lanterne, cherchait « un homme ». Aujourd’hui, tous les syndicats cherchent des jeunes. Quelle lanterne les aidera à les trouver et à les inciter à l’adhésion ?

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Les discours incantatoires des réunions et des congrès sur la nécessité de convaincre les jeunes de venir les rejoindre n’ont aucun effet. Ne vaut-il pas mieux avoir la lucidité d’accepter l’image négative que les jeunes ont du syndicalisme, d’analyser leurs valeurs, ce qui « les fait courir » ? Il sera alors peut-être possible de trouver les moyens de dépasser l’incompréhension réciproque actuelle.


Pourtant, les initiatives des organisations syndicales restent timides ou peu efficaces. A la CGT, à la CFDT ou à FO, des structures spécifiques sont en place de longue date. A la CFDT, une commission confédérale des jeunes a été créée dès 1964. La CGT a mis en place un centre confédéral de la jeunesse rebaptisée en 2003, « Jeunes CGT ». FO a aussi une structure jeunes depuis les années 1990. Ces structures jouent un rôle important en interne pour fidéliser les jeunes adhérents, les inciter à l’engagement dans l’organisation. Utiles en interne, ces structures restent inefficaces pour améliorer le recrutement. Seuls 5% des moins de 30 ans sont syndiqués. Le chiffre tombe même à 2% pour les moins de 25 ans. Plus grave peut-être, le taux de « sympathie » vis-à-vis du syndicalisme s’installe à 4%.


Les raisons du rejet


L’image du syndicalisme n’est pas bonne chez les jeunes. (...) La « concurrence managériale » ne facilite pas le travail des représentants du personnel. De plus en plus d’entreprises forment leurs cadres à la dimension humaine de leurs responsabilités. Du coup, les salariés hésitent moins à s’adresser à leurs cadres. « Si j’ai un problème, j’ai facilement accès à mon chef. Je préfère aller le voir directement plutôt que de faire appel à un syndicat ». Enfin, les jeunes refusent de s’engager sur des « dogmes préétablis » que, pensent-ils, les organisations leur imposeraient.


La manière dont les jeunes rencontrent et vivent le travail peut-elle leur permettre, malgré les a priori négatifs, de croiser le chemin du syndicalisme ? Le premier contact avec le monde du travail reste le plus souvent négatif. Une enquête de la BNP sur les 15-20 ans montre que l’entreprise paraît « dure, compliquée, impitoyable ». La même enquête indique que parmi les jeunes diplômés (qui ont plus d’atouts), un sur deux quitte son premier emploi en moyenne vint et un mois après son entrée. Raisons invoquées : manque d’accompagnement et de reconnaissance. Les moins dotés d’atouts universitaires savent qu’ils vont enchaîner les emplois précaires, les CDD de plus ou moins courte durée. Ils ont le sentiment que « la société française ne leur donne pas les moyens de montrer ce dont ils sont capables. Ils se sentent abandonnés, pas reconnus. Ils ne sont pas aux commandes de leur vie », souligne le sociologue François de Singly. Le syndicalisme devrait les accompagner. Pour la très grande majorité, le travail est important, pas seulement pour gagner sa vie, mais pour se réaliser, pour s’épanouir.




Conséquence logique, ils demandent une organisation du travail dans laquelle ils puissent disposer d’une certaine autonomie, pouvoir prendre des initiatives, développer leurs compétences professionnelles. Ils supportent mal un encadrement tatillon. Ils attendent plutôt un accompagnement. Peu, actuellement, trouvent cette hiérarchie qui les aide à grandir. Le besoin d’autonomie s’accompagne d’une demande d’aide. Ne serait-ce pas une forme de « modernisation » du soutien syndical aux salariés que les militants pourraient apporter en les assistant dans leur parcours professionnel ?

Ces jeunes plus éduqués se comportent davantage en « citoyens responsables ». La notion de responsabilité sociétale et d’entreprise (RSE) leur parle.

Les attentes des jeunes


Y aurait-il incompatibilité entre les valeurs des jeunes et celles du syndicalisme ? Ou seulement une incompréhension, un problème de « traduction » ? Si l’on reprend leurs aspirations, ne sont-elles pas au contraire les ressorts du syndicalisme pour se rénover, pour moderniser ses « fondamentaux » ?

Reprenons ces attentes qui semblent éloigner les jeunes du syndicalisme.


Se réaliser dans son travail. Le syndicalisme est né justement au début de l’ère industrielle pour défendre la dignité du métier, conserver aux qualifications professionnelles leur noblesse. C’est le taylorisme – le travail à la chaîne, avec les si mal nommés « ouvriers spécialisés » (les OS) – qui a tué la noblesse du métier. Le retour de cette exigence, portée par les jeunes, devrait ravir les syndicalistes.


Pouvoir prendre des initiatives. Si l’entreprise classique y répugne, le management de « l’entreprise libérée » découvre ce gisement d’efficacité et de performance. Le monde syndical se trouve confronté au même dilemme. Il peut continuer à vouloir insérer ses adhérents dans une structure finalement assez pyramidale où l’ancienneté et les combats menés confèrent l’autorité et ainsi faire fuir les jeunes. Il peut aussi avoir le courage de créer un climat où les initiatives même inhabituelles sont encouragées. En témoigne, la démarche de ce jeune militant CFDT du technocentre SNCF de Dijon qui envoie un SMS d’un coup à cinq cents adhérents pour leur donner une information qu’il juge urgente.


Assumer ses responsabilités. Les jeunes possèdent le goût de l’engagement. Ils le satisfont le plus souvent dans des associations. Les militants syndicaux manifestent plus de réticence à laisser des jeunes s’occuper de missions jugées importantes. Pourtant l’attraction exige ce sacrifice des traditions où l’on n’accède à des responsabilités qu’avec l’ancienneté. Une révolution culturelle reste à faire : les obstacles relèvent plus du tempérament des personnes que de la pensée syndicale. Celle-ci veut aider les adhérents à grandir.


Être informé. L’exigence vis-à-vis de l’entreprise, les reproches de rétention de l’information par l’encadrement s’appliquent out autant au monde syndical. Celui-ci a encore moins de raisons que la ligne managériale de ne pas diffuser toutes les informations sur la vie de la section, du syndicat, de la fédération. La nature même du syndicalisme appelle la transparence.


Donner son avis. Les jeunes ne supportent plus une organisation du travail qui les réduit au seul rôle d’exécutant. Ils veulent « débattre », autre moyen d’exister. Il n’est donc pas question qu’un « bureau » de section prenne des décisions en vase clos. De même, pour la conduite d’une négociation, le débat sur les objectifs, sur les étapes et sur la décision de signer ou non doit être l’affaire de tous. Il serait d’ailleurs paradoxal que des syndicats (il est vrai que ce n’est pas le cas de tous) se battent pour l’expression des salariés ou la création d’espaces de paroles et la refuse à leurs adhérents. Le syndicalisme est par nature le lieu du débat, de la parole.


Respecter la séparation vie professionnelle/ vie privée. La revendication monte en entreprise avec le développement du numérique. La bataille pour le droit à la déconnexion en apporte la preuve. La comparaison avec la vie syndicale peut être inappropriée et pourtant ! Jusqu’à une époque encore récente, l’engagement syndical empiétait souvent sur la vie familiale. Les réunions le soir les sessions de formation ou les congrès le week-end ont disparu. L’engagement se déroule pendant les heures de délégation. Les congrès syndicaux régionaux, fédéraux et confédéraux ont lieu en semaine et se terminent le vendredi après-midi.



Le bimensuel de la CFTC novembre-décembre 2020 consacre un dossier à l’engagement professionnel et syndical des jeunes salariés.

Trouver un sens à son action. Dans la vie de l’entreprise monte l’exigence d’un travail qui ait du sens. Pour les jeunes, l’engagement doit aussi être porteur de sens, d’où la priorité donnée par les jeunes aux associations dont on voit clairement les objectifs : Restos du cœur, aide aux sans-papiers ou accompagnement de défavorisés en réinsertion. Le syndicalisme s’est construit sur la générosité, l’entraide, la solidarité avec les plus mal lotis. Pourtant, l’image qu’il véhicule aujourd’hui ressort plus à la défense de ceux qui ont un emploi. L’action syndicale bien comprise est porteuse de sens à court terme pour ceux qui ont besoin d’aide, de soutien, et à long terme pour une société plus juste et plus solidaire.


Vivre avec son temps. Les « millenials » sont nés dans le numérique. Moyens de communication, de mobilisation, les nouvelles techniques ringardisent les tracts et les panneaux d’affichage. Organiser un débat collectif à distance avec une trentaine d’adhérents grâce à Skype convient parfaitement aux jeunes. Ils assument volontiers la création puis la vie du site de la section. Ils savent très bien transmettre les informations, les réponses obtenues au cours des réunions du CSE ou d’une de ses commissions. « Ces réponses et ces moyens de les transmettre fidélisent les adhérents », autre avantage de ce mode de communication. Les salariés hésitent parfois à accepter de prendre le tract que leur tend le militant. « Ils peuvent redouter une réaction d’un chef ou de collègues syndiqués dans une autre organisation », note un responsable syndical bourguignon. L’e-mail est évidemment plus discret. On le consulte quand on veut sur son écran. Les réseaux sur Internet permettent d’avoir son propre groupe d’amis avec lesquels on peut échanger de pair à pair (peer to peer). Un moyen qui convient parfaitement aux jeunes. Ils pourront contribuer à la diffusion de la présence du syndicat, de ses idées.


Une économie qui ne détruise pas la planète. Longtemps, le syndicalisme a privilégié l’emploi à la défense de l’environnement. Aujourd’hui, il recherche les voies d’un développement durable, créateur d’emplois. Le manifeste Urgence d’un pacte social et écologique, lancé en mars 2019 par les trois organisations syndicales réformistes et cinquante-huit associations, présente soixante propositions, de quoi alimenter le désir d’engagement des jeunes. Il en est de même du collectif « Plus jamais ça » animé par la CGT et Attac, Greenpeace... avec également des propositions.

L’image que les jeunes ont du syndicalisme les en éloigne alors qu’ils pourraient y trouver un cadre porteur pour y réaliser leurs projets y vivre leurs valeurs.

Observateurs attentifs et infatigables des relations sociales en France et en Europe, Michèle Millot et Jean-Pol Roulleau viennent de publier un nouvel ouvrage sur le syndicalisme français. « Le monde change, le syndicalisme doit changer » affirmait Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, dans les années 1980. Plus de quarante ans après, le défi est loin d’être gagné. Mais le diagnostic est là, que déroulent fort bien les deux auteurs du livre et les pistes existent, qu’ils soulignent avec une réelle confiance. Leur conclusion : « Le syndicalisme n’a d’avenir que s’il fait preuve de son utilité ». Bernard Vivier Renouveau du syndicalisme : défis et perspectives. Le Passeur éditeur, 2021, 320 pages, 21,50€ (papier) et 10,99€ (numérique). www.lepasseur-editeur.com


Témoignage « A 23 ans, j’ai croisé la route du syndicalisme » par Eric Heitz, 48 ans, secrétaire général de la CFTC Quand j’avais à peine plus de 20 ans, réussir ma vie professionnelle était une priorité. Aucun carriérisme dans ce souvenir : pour moi, réussir signifiait déjà être dans l’équilibre. J’avais été élevé dans l’attachement à la valeur travail. Il fallait bosser, le faire correctement. Et concilier cet engagement avec mes engagements personnels, ma famille, mes copains : c’est comme ça que je construisais ma vie. Puis, à 23 ans, j’ai croisé la route du syndicalisme. Comme pour beaucoup d’entre nous, la CFTC est venue à moi, et non l’inverse. Adepte de la marche populaire, j’y ai rencontré celui qui allait devenir mon mentor. Au fil des pas et des conversations passionnées, je lui racontais souvent les risques que je prenais dans ma vie professionnelle par horreur de l’injustice : je défendais mes collègues de l’usine qui en étaient victimes, je le faisais naturellement. « Tu devrais être syndicaliste » ... La parole de cet homme dans lequel je reconnaissais ma façon de penser, puis la découverte des valeurs de la négociation portées par la CFTC ont fait de moi un adhérent, et trois ans plus tard, un délégué du personnel. Professionnellement, je n’ai plus été considéré de la même façon par la direction, mais, pour les raisons précédemment énoncées, jamais je n’ai eu peur que ma vie syndicale entrave ma vie professionnelle. La question était personnelle. Car même si je ne m’imaginais aucunement devenir un jour secrétaire général de la CFTC, cette opportunité, je le pressentais, allait prendre énormément de mon temps. J’y mettrais une grande énergie. Avant d’être un travail, un travail qui apporte énormément de compétences professionnelles dont nous nous battons pour qu’elles soient reconnues, le syndicalisme, c’est d’abord une passion que l’on attrape au contact de quelqu’un qui partage les mêmes valeurs. Ce fil puissant relie, j’en suis persuadé, mon engagement personnel il y a plus de vingt ans à celui de nos jeunes militants d’aujourd’hui. Mais depuis lors, la société a énormément changé et le syndicalisme avec. Loi sur la représentativité, réformes incessantes, digitalisation, nouvelles formes d’emploi... La liste est longue des changements qui témoignent d’une accélération de l’Histoire. Dès lors, il nous faut, nous aussi nous transformer pour écouter et répondre aux aspirations des jeunes et à leurs modes d’engagement.

A lire aussi dans les Etudes sociales et syndicales :

  • 11 juin 2019 : combien de syndiqués en France ?

  • 14 décembre 2009 : CGT : l’appel aux jeunes

  • 9 juin 2007 : L’engagement des jeunes et le syndicalisme

  • 27 octobre 2006 : Le rendez-vous manqué des jeunes et du syndicalisme

  • 7 avril 2006 : Les organisations étudiantes et lycéennes en France

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