Par-delà la querelle des chiffres sur le nombre de manifestants du 23 septembre 2010, le rejet de la réforme des retraites est nettement perceptible... sur internet. C'est ce qu'indique une étude réalisée par deux sociétés spécialistes de l'usage des nouvelles technologies dans le champ social : Adverbe et Inférences. Elles ont en particulier analysé la tonalité des messages postés via un support de publication sur le web qui s'apparente aux réseaux sociaux : le réseau Twitter.
Le résultat de l’étude reflète l’opinion d’une classe sociale composée d’innovateurs sociaux, férus de technologie et qui entretiennent des relations denses avec un grand nombre de « suiveurs », avec lesquels ils interagissent sur internet via des commentaires d’actualité librement exprimés. Il apparaît que cette classe sociale technologiquement avancée a transformé volontairement ses médias électroniques en plateforme de mobilisation en faveur de la manifestation du 23 septembre.
Du 30 août au 17 septembre 2010, les conversations, messages et articles comportant le mot-clé « retraites » ont été extraits sur quatre corpus Internet : Twitter (150.344 signes, environ 1000 messages), blogs politiques (quinze personnalités de gauche, quinze personnalités de droite, 54.277 signes), sites syndicaux (sites et blogs influents parmi 700 sources, toutes centrales syndicales confondues, 1.027.811 signes). Le contenu sémantique de ces messages a été analysé en traitement semi-automatisé du langage.
Seuls les résultats concernant Twitter ont été examinés dans la première étude réalisée par Adverbe et Inférences. Ce réseau de « microbloging », où des personnalités très diverses adressent des messages de quelques dizaines de caractères à leurs abonnés, qui les reçoivent sur leur PC ou même leur téléphone portable, génère un flux continu d’informations, de prises de position et de commentaires que des outils électroniques peuvent capter et analyser. Alors que l’on pensait que les organisations syndicales n’étaient pas à la pointe de la technologie numérique, si l’on en juge par l’usage très inégal qu’elles font usuellement d’internet, l’étude révèle qu’elles ont trouvé des relais d’influence inattendu dans la communauté de « Tweetter ».
Xavier de Mazenod (Adverbes) et Jean Laloux (Inférences) expliquent : « Le web social a connu une progression rapide depuis le milieu des années 2000, qu’il s’agisse de sites communautaires comme Facebook ou de microblogging comme Twitter. Ses usagers l’utilisent de plus en plus souvent pour exprimer leurs opinions sur l’actualité du moment, sur leurs expériences quotidiennes, sur leurs choix de consommation ou de style de vie. Le volume important des données ainsi échangées et leur accessibilité en mode texte en font un matériau idéal pour une analyse quantitative et qualitative d’opinion en traitement semi-automatisé du langage. Plusieurs études nord-américaines ont déjà montré que Twitter est un outil fiable d’analyse de l’opinion publique. » On ne peut raisonnablement considérer une analyse des tweets comme un reflet fidèle de l’opinion publique générale, comme peuvent y prétendre les sondages ayant recours à la méthode des quotas. Il s’agit plutôt d’une mesure complémentaire aux sondages d’opinion, concernant un segment influent du public. Mais par rapport à ces sondages, les sites comme Twitter et Facebook présentent plusieurs avantages : les internautes s’expriment librement (indépendance vis-à-vis de la question de l’enquêteur) et assez longuement (richesse de l’expression par rapport à un choix binaire oui/non ou réponse un QCM préformaté).
Les substantifs négatifs les plus fréquents relayés par Twitter à propos de la réforme des retraites.
Sur la période analysée, c’est le mot « mobilisation » qui occupe l’espace sémantique de Twitter. Souvent qualifiée de massive, la mobilisation se présente tantôt comme un élan positif (se mobiliser pour les manifestations des 15 et 23 septembre - journées de mobilisation), tantôt comme un appel à la résistance (mobilisation contre la réforme des retraites). Accompagnant le succès du mot mobilisation, le terme de pénibilité apparaît également parmi les substantifs les plus relayés dans le corpus analysé. Pénibilité de certains métiers ou évocation de la pénibilité en général dans l’entreprise, le mot paraît à lui seul légitimer la présence de mobilisation.
Les syndicats, bénéficiaires de la cyber révolte ?
En tête des citations, les syndicats occupent très largement le devant de la « scène lexicale » de Twitter sur la période analysée, Parmi les émotions, deux familles négatives dominent : la colère et le conflit (bataille, tension, hostilité, victoire, combat : 6%), le danger et l’anxiété (péril, menace, stress : 4%). La mise en avant d’un vocabulaire conflictuel fait clairement écho à la mobilisation syndicale.
L’opinion d’un public ciblé comme celui des adeptes de Twitter retient donc l’attention des organisations syndicales, qui opèrent lentement leur mutation vers cet usage des technologies de mobilisation. Déjà, dans certaines entreprises, des équipes syndicales ont adopté Twitter pour relayer en temps réel leurs messages aux salariés via leur téléphone mobile ou leur poste de travail connecté à l’internet. La loi qui permet à l’employeur de réglementer l’usage de la messagerie d’entreprise est ainsi en passe d’être contournée. On a souvent décrit les nouvelles technologies de la communication comme génératrices d’un comportement individualiste. Elles semblent aussi pouvoir favoriser la mobilisation collective.
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