A la dernière élection présidentielle, comment ont donc voté les sympathisants des organisations syndicales françaises ? Deux enquêtes nous apportent un éclairage intéressant sur les choix politiques des salariés qui, par ailleurs, expriment une sympathie syndicale.
A la suite du 1er tour de l’élection présidentielle (22 avril 2012), deux enquêtes ont été publiées croisant les choix politiques effectués lors de ce scrutin avec la proximité syndicale des électeurs. Précisons d’emblée, pour lever toute ambiguïté, qu’il ne s’agit pas de déterminer les choix politiques des militants syndicaux ou des adhérents mais, plus largement, des électeurs exprimant une proximité avec une organisation syndicale, autrement dit des sympathisants de ces organisations. On notera que ces deux enquêtes sont parues dans L’Humanité et dans Liaisons sociales quotidien, deux publications au lectorat bien différent : communiste ou post-communiste pour l’une, DRH, gestionnaires des ressources humaines et représentants du personnel pour l’autre.
Les méthodes de ces deux enquêtes - réalisées par deux instituts de sondage - ne se recoupent pas exactement et leurs résultats montrent des différences parfois assez sensibles, même si certains ordres de grandeur sont le plus souvent respectés.
Dans les deux cas, les enquêtes n’ont pas été réalisées en face-à-face mais en ligne (par « questionnaire auto-administré en ligne » indique l’IFOP). Les échantillons interrogés ont été construits sur la base de la méthode des quotas pour être représentatif de la population française de 18 ans et plus, inscrites sur les listes électorales.
L’institut Harris Viadeo Interactive (HVI) a enquêté auprès des électeurs le jour même du vote. L’étude est basée sur un échantillon de 2 935 personnes (mais on ne connaît pas la proportion de ceux qui ont déclaré une sympathie syndicale). Le second institut, l’IFOP, a constitué un échantillon beaucoup plus large (6 210 personnes) dont ont été extraites 3 610 personnes en activité (salariés ou chômeurs ayant déjà travaillé), parmi lesquelles 1 342 se sont déclarés proches d’une organisation syndicale. L’enquête n’a pas eu lieu le seul jour du vote, mais du 21 au 23 avril 2012.
- Une minorité de salariés -
Une première remarque s’impose : pour établir une relation entre choix politique et sympathie syndicale, il est nécessaire de constituer des échantillons bien supérieurs à ceux sur lesquels sont bâtis habituellement les enquêtes d’opinion (échantillons d’un millier de personnes). Pour obtenir des résultats significatifs, des échantillons 3 à 6 fois supérieurs doivent être ici construits (3 fois supérieurs aux échantillons habituels pour HVI et même 6 fois supérieurs pour l’IFOP). Cela s’explique par la faible syndicalisation des salariés français ou, plus largement, par une « rencontre » entre syndicats et salariés qui ne caractérise qu’une proportion assez faible de ces derniers : la construction de ces échantillons démontre que seule une minorité des salariés expriment une sympathie syndicale.
Cela est particulièrement clair dans le cas de l’étude de l’IFOP : pour trouver un peu plus de 1 300 personnes déclarant une sympathie syndicale (soit un échantillon de « répondants » qui produira des résultats significatifs), il a été nécessaire de se baser sur un échantillon près de 5 fois supérieur. C’est dire la pénétration assez faible des syndicats dans la population (même lorsqu’il ne s’agit de la seule population active).
Rappelons, au passage que, selon l’INSEE, la France compte près de 24 millions de salariés et qu’il y avait plus de 46 millions d’inscrits lors de l’élection présidentielle de 2012. Autrement dit, la population potentiellement concernée par le phénomène syndical (ou sensible à l’action des organisations syndicales de salariés et déclarant une sympathie à leur égard) représente un peu plus de la moitié de la population électorale. Certes, on pourra estimer que cette proportion est en fait supérieure à la réalité car la population salariée comprend des jeunes de moins de 18 ans ou des étrangers qui ne peuvent prendre part au vote. On considérera dès lors que la population salariée représente un peu moins de la moitié de la population électorale. Or, la construction de l’échantillon de l’IFOP évoqué plus haut, montre que sur 5 personnes inscrites sur les listes électorales, une seule (ou un peu plus) exprime une sympathie syndicale. C’est finalement beaucoup moins que ce que laisserait attendre le rapport de 1 à 2 existant entre la population salariée et la population électorale.
Cela doit conduire à relativiser plus globalement les résultats des études - récurrentes - sur l’image ou la popularité des syndicats, popularité qui aurait pris la relève d’une syndicalisation défaillante. En fait, lorsqu’on prend la mesure de la population qui se déclare concernée par cette popularité ou sympathie, il ne s’agit que d’une minorité du salariat ou, dans l’hypothèse la plus haute, d’une moitié de celui-ci.
Ce point - le plus souvent ignoré des enquêtes d’opinion sur l’image des syndicats - étant précisé, comment se sont distribués les choix politiques en fonction des sympathies syndicales à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle ?
- Vote à gauche... et « bleu marine » -
Le tableau n° 1 montre clairement que les électeurs déclarant une proximité syndicale se positionne beaucoup plus à gauche que la moyenne des électeurs. Les résultats des deux enquêtes sont convergents. Ceux de l’institut HVI - réalisés pour Liaisons sociales - sont toutefois plus marqués à gauche que ceux de l’IFOP pour L’Humanité !
Ainsi, F. Hollande (PS) obtient 43% des voix parmi les électeurs déclarant une sympathie syndicale (une audience 1,5 fois supérieure à celle qu’il obtient auprès de tous les Français). L’écart est toutefois plus réduit selon l’IFOP (audience 1,2 fois supérieure). N. Arthaud (LO), Ph. Poutou (NPA), J.-L. Mélenchon (FG) et E. Joly (EELV) font également de meilleurs scores auprès des sympathisants syndicaux que des Français en général (l’audience de J.-L. Mélenchon est multipliée par 1,6 et on verra que, dans le cas des sympathisants de la CGT, de l’Union syndicale Solidaires ou de la FSU, elle triple).
Le 1er mai 2012 à Paris
On observe une situation contraire pour les autres candidats. Par exemple, N. Sarkozy (UMP) fait deux fois moins bien auprès des sympathisants des syndicats que des Français en général. Manifestement, les premiers ont entendu les appels à « battre Sarkozy » de la CGT, de la FSU, de l’USS (Union syndicale Solidaires qui intègre les syndicats SUD) et, si les autres organisations se disent neutres, elles n’en sont pas moins critiques à l’égard du président sortant, telle la CFDT.
Reste le cas du vote en faveur de M. Le Pen (FN). Les résultats des deux instituts de sondage sont là sensiblement différents. Sans doute - comme d’autres études le montrent - le vote en faveur du FN fait l’objet de sous-déclarations de la part des sympathisants syndicaux, comme des Français en général. Cela expliquerait que seuls 12% d’entre eux disent avoir voté M. Le Pen selon l’institut HVI. Ce pourcentage est nettement supérieur selon l’IFOP : 20%. Donc, selon cette dernière étude, M. Le Pen ferait mieux que la moyenne auprès des électeurs se disant proches d’un syndicat.
Cela ne doit pas étonner car rappelons que M. Le Pen rassemble un tiers de l’électorat ouvrier à l’occasion de ce scrutin (et, en l’occurrence, une majorité relative des ouvriers), assez loin devant F. Hollande (21% du vote ouvrier) et de J.-L. Mélenchon (18%). Le FN obtient également la majorité relative auprès des employés, avec 28% de cet électorat (chiffres issus d’un autre sondage « jour du vote » de l’IFOP, réalisé auprès d’un échantillon de 3 509 personnes constitué selon la méthode des quotas).
L’échantillon plus précisément défini - et manifestement plus large - de l’étude de l’IFOP, ses résultats plus probants nous semble-t-il concernant le vote des sympathisants de la CFDT en faveur de F. Bayrou (voir plus bas), constituent d’autres éléments qui plaident en faveur d’une plus grande solidité des résultats de cette étude.
Tableau n° 1 : Choix politique et proximité d’un syndicat de salariés (quel que soit le syndicat). [En %]
Le graphique n° 1 résume la distribution des votes (concernant les cinq principaux candidats à la présidentielle) en fonction des proximités syndicales. Ce graphique peut apparaître complexe mais les croisements ou inversions des courbes sont assez éclairants et quelques propositions peuvent le résumer. Il est suivi du tableau n° 2 qui précise - et clarifie -les audiences respectives.
Graphique n° 1 : Sympathie syndicale et vote en faveur des principaux candidats du 1er tour de la présidentielle de 2012 (écart à la moyenne du vote des sympathisants ; en points de pourcentage sur la base des données du tableau n° 2). Le graphique se lit comme suit : le vote des sympathisants de la FSU en faveur de J.-L. Mélenchon est de 20 points supérieur au vote de la moyenne des Français.
Tableau n° 2 : La distribution des votes en fonction de la proximité syndicale NB : HVI indique que les résultats pour la FSU sont à interpréter avec prudence (compte-tenu de la faiblesse des répondants).
Le graphique oppose clairement deux types de coloration politique des sympathies syndicales : d’un côté celles exprimées en faveur de la CGT, de la CFDT, de FO, de l’UNSA, de l’USS et de la FSU ; de l’autre celles exprimées en faveur de la CFTC et de la CGC.
- La distribution des choix politiques -
Le premier groupe vote plus à gauche que la moyenne des Français au contraire du second qui fait davantage confiance au président sortant. Ce second groupe apparaît également moins favorable au vote Le Pen que certains sympathisants du premier groupe, qui sur-représente la gauche et l’extrême gauche mais aussi, dans le cas des sympathisants de FO et de l’UNSA, le vote en faveur de l’extrême droite.
Au sein du premier groupe, apparaît également un rapport contrasté à la gauche socialiste et à l’extrême gauche. Les sympathisants de l’Union syndicale Solidaires et, secondairement, de la CGT et de FO sur-représente le vote en faveur de J.-L. Mélenchon et des autres candidats d’extrême gauche. Il faut sans aucun doute faire un lien avec certaines forces militantes internes qui animent ces organisations syndicales. Par contre, les sympathisants de la FSU, de la CFDT et de l’UNSA privilégient la gauche socialiste à l’extrême gauche (qui, d’ailleurs, dans le cas des sympathisants de ces deux dernières organisations votent un peu moins à l’extrême gauche de la moyenne des Français ; dans le cas de la CFDT, on peut même déceler là un impact de recentrages successifs). On notera enfin que F. Hollande convainc dès le premier tour une majorité absolue des sympathisants de la FSU (seul exemple de ce type). Manifestement, le vote enseignant demeure profondément favorable au PS.
Enfin - héritage du syndicalisme chrétien -, les sympathisants de la CFTC et, dans une moindre mesure, de la CFDT se sont prononcés un peu plus que la moyenne des Français en faveur du candidat centriste F. Bayrou.
Ces données tracent finalement une polarisation politique assez nette - et somme toute traditionnelle au regard de l’histoire du rapport entre syndicalisme et politique - des soutiens des différentes organisations syndicales. Les surprises proviennent plutôt du rapport de ces sympathisants au Front national (qui ne peut être ignoré ou escamoté au nom de quelques principes), voire de la concurrence à l’extrême gauche que semblent se livrer les sympathisants de la CGT et de l’Union syndicale Solidaires. Il reste que les sympathisants de la CGT ont préféré F. Hollande à J.-L. Mélenchon.
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