Créé par la loi du 23 décembre 1982, le CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) a connu des débuts discrets, au regard des autres instances représentatives du personnel. Ce n’est plus le cas. Dans nombre d’entreprises, le CHSCT occupe une place majeure, supérieure parfois au rôle du comité d’entreprise. Les enjeux d’un bon fonctionnement du CHSCT sont grands, tant pour les directions d’entreprise que pour les organisations syndicales. Directrice de projets au sein d’Entreprise et Personnel, Michèle Rescourio-Gilabert vient de publier « CHSCT et dialogue social » (Editions Liaisons sociales), dont le sous-titre « Maîtriser les pratiques et leur donner du sens » souligne ces enjeux. Elle y décrit notamment le positionnement et l’évolution des positions des organisations syndicales sur le CHSCT.
Le CHSCT, instance représentative, n’a pas été voulu comme un lieu de présentation des revendications syndicales. Cependant, les relations sociales en France étant historiquement orientées vers l’opposition et l’affrontement, les instances représentatives, par le mode électif et le monopole syndical au premier tour, deviennent parfois le lieu de cet affrontement. Le CHSCT n’y échappe pas, notamment dans les entreprises où les relations sociales sont déjà conflictuelles, car il n’est que le prolongement des positions des acteurs en général.
- CGT : un nouvel outil de lutte -
Comment la CGT a-t-elle vu l’opportunité de la création du CHSCT après 1982 ? Le journal Le Peuple de janvier 1984, dans un dossier spécial « Des CHSCT pour la santé et la vie », présentait une synthèse de réflexions soutenues au cours des formations dispensées aux membres des CHSCT.
Jean Hodebourg de la Fédération de la métallurgie fait un constat alarmiste : « En moyenne, les ouvriers spécialisés vivent six ans de moins que les cadres supérieurs et les manœuvres huit ans de moins que les instituteurs. [...] Cette dramatique inégalité du droit à la vie n’est-elle pas aussi importante que les inégalités de revenus ? » La réponse pour la CGT consiste à mettre en place une politique de prévention pour faire disparaître cette inégalité.
A la question « La prévention de la santé au travail fait-elle partie du jardinage syndical ? », il répond sans hésitation :
« Oui [...] Nous avons des droits nouveaux importants pour la prévention de la santé, ne sont-ils pas trop l’affaire de spécialistes ? Ne sont-ils pas sous-estimés dans l’activité générale de la CGT ? Evoquons le droit de retrait des situations dangereuses pour la santé. C’est une possibilité trop peu utilisée... Il s’agit bien d’une nouvelle forme de lutte [...]. Il existe pourtant des expériences intéressantes... A noter que tous les cas de retrait de dangers pour la santé ont été organisés à la suite d’interventions de militants CGT des CHSCT et après des stages de formation aux droits nouveaux. »
Il préconise donc d’utiliser le CHSCT comme levier d’action. « L’intensification du rythme du travail, et la charge de travail constituent le principal facteur d’agression de la santé avec un glissement : l’activité physique pouvant diminuer mais l’activité mentale augmentant, notamment la conduite des nouvelles technologies qui surcharge souvent l’activité mentale, ce qui explique la montée des maladies mentales. Pour cela, il brandit le CHSCT comme outil contraignant pour les employeurs en insistant bien sur la responsabilité pénale de l’employeur.
« Nous devons avoir une stratégie juridique. La loi prévoit, en cas d’atteinte au fonctionnement du CHSCT, deux mois à deux ans de prison... les patrons craignent cette sanction... nous devons avoir une stratégie offensive. ».
Par ailleurs, la CGT affirme l’importance de la formation des élus du CHSCT. « Il appartient aux directions syndicales de veiller à ce que les élus des CE, les élus du CHSCT aient un cursus de formation syndicale générale et spécialisée leur permettant d’aborder leur responsabilité au niveau qui convient. Une formation spécialisée sur le CHSCT ne peut s’intégrer que dans le parcours militant. On est militant CGT avant tout et le mandat CGT s’exerce au sein d’une instance CE, CHSCT. » (Le Peuple, janvier 1989).
« Guide CGT des membres des CHSCT, 2007 »
La CGT rappelle que « les membres des CHSCT ont un rôle primordial à jouer dans le cadre de leur mission et pour bien mener leur tâches, il importe qu’ils aient toutes les informations nécessaires sur la nouvelle législation, le rôle et les méthodes d’actions du CHSCT mais aussi en tant qu’élus CGT sur les orientations de l’organisation syndicale en ce qui concerne le rôle de ses élus et la politique de santé définie par la CGT. Bref, nous avons besoin de membres CHSCT formés syndicalement pour accomplir une mission syndicale » (Le Peuple, janvier 1985).
L’action syndicale a certes changé depuis les années 1980, les élus dans l’entreprise semblent moins contraints et rappelés à l’ordre par leur syndicat que dans ces années-là. Une plus grande autonomie et un plus grand pouvoir d’initiative reviennent aux élus. La relation salariale a changé, la relation syndicale aussi.
La CGT exprime ces toutes dernières années le souhait de réinvestir le CHSCT à travers ses membres élus... n’est-ce pas un aveu de perte d’influence depuis 1982 ?
- CFDT : agir sur les conditions de travail -
Selon la CFDT, « l’extension du rôle du CHSCT en fait désormais une pièce maitresse pour l’action sur les conditions de travail. Encore faut-il bien savoir ce qu’il représente, qui en sont les acteurs, quels sont les missions et les moyens d’action » (Guide de l’élu CHSCT, 1988).
La CFDT insiste beaucoup sur le nouveau droit à l’information du CHSCT. L’employeur a des obligations d’informer le CHSCT pour l’exercice de sa mission et l’expertise y est présentée comme un moyen du CHSCT pour s’informer sur une situation particulière.
Par ailleurs, le CHSCT n’est pas brandi comme un outil de revendication syndicale mais comme un outil au service de la prévention et de la santé au travail.
« Les gens n’adhèrent pas au syndicat. Ils adhèrent à ce que fait le syndicat. Et quand le syndicat diminue le bruit de l’atelier, réduit et élimine des risques, obtient qu’une machine soit moins dangereuse, qu’un bureau soit plus confortable, qu’un ordinateur leur parle convenablement, les salariés voient et adhèrent à un syndicat utile, proche d’eux parce que proche de leurs préoccupations (...) Convenons que parmi les problèmes des adhérents, ceux de leurs conditions de travail sont parmi les plus évidents, les plus concrets, les plus immédiats. Pour « changer le monde », il faut être capable d’abord de changer un atelier, un bureau, une machine. Le thème du travail reste parmi les thèmes d’action le plus « syndicalisant », notait Jean-Paul Jacquier, secrétaire national de la CFDT en 1988, dans la préface au Guide de l’élu CHSCT.
Guide CFDT de l’élu CHSCT, 1988
Pour cela, de nombreuses formations pour les élus sont proposées dès 1983, ce qui fait dire en 1993 à Marguerite Bertrand, secrétaire national : « Ces dernières années, nous avons pu constater un fort investissement de leur part [élus du CHSCT]. Plus nombreux et motivés, mieux formés, donc plus efficaces, ils ont obtenus des résultats significatifs. Malgré ces résultats, il reste beaucoup à faire en matière de prévention des risques professionnels. Plus que jamais donc, l’amélioration des conditions de travail est un des objectifs prioritaires de la CFDT » (Liaisons CE n° 118, avril 1993).
La CFDT encourage ses militants à être le plus proche des salariés : « Les comités ont de plus en plus leur mot à dire sur tout ce qui fait la vie quotidienne des salariés dans l’entreprise ».
La proximité demeure le message principal de la CFDT. Le CHSCT est une instance de proximité au service des conditions de travail des salariés. Ce message de proximité est pérenne à la CFDT. En 2014, l’action syndicale doit être « de proximité » ; c’est le mot d’ordre rappelé en 2010 au congrès confédéral de Tours.
Ces deux positions assez différentes se retrouvent-elles de nos jours ?
- 2014 : des positions plus diffuses -
Rappelons-nous les propos d’un représentant patronal à la Conférence internationale du travail de Genève en 1928 concernant les comités sécurité : « Ils ont une valeur technique et non une valeur représentative. En somme, pour la prévention, il ne s’agit pas de faire de la politique, mais de la technique ».
Plus de 80 ans ont passé et pourtant le débat est toujours le même ! Il oscille toujours entre technique et politique. Si toutes les organisations appellent à voir dans le CHSCT une instance plus politique, le sens à donner au terme « politique » comporte des nuances. L’Anact a publié (site internet :http://www.anact.fr/web/actualite/e...) en décembre 2011 les points de vue des organisations syndicales salariées et patronales sur, d’une part, les enjeux auxquels doivent faire face les CHSCT aujourd’hui et, d’autre part, la stratégie de leur organisation en direction de ces acteurs.
Ces interviews ont été complétées en septembre et octobre 2012 sur le thème « Donner toute sa place au CHSCT » (Travail et changement, n° 345, septembre-octobre 2012).
Pour Henri Forest, secrétaire confédéral de la CFDT : Nous posons un regard terrain à partir de pratiques observées et un regard politique global restituant notre réflexion dans le cadre des récentes négociations sur les instances représentatives du personnel. Il ne peut y avoir de regard isolé sur le CHSCT : c’est la place du dialogue social dans son ensemble qui doit être revisitée ».
Pour la CFDT, le CHSCT doit être au même niveau que le CE concernant la déclinaison santé et conditions de travail de la stratégie de l’entreprise. On retrouve d’ailleurs bien la « touche » de la CFDT dans l’ANI du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail. C’est le cas notamment à l’article 3 qui préconise d’« élaborer la démarche de la qualité de vie au travail dans le cadre du dialogue social » par d’éventuelles négociations d’accords collectifs, ou de l’article 18 : « L’accord d’entreprise complétera, le cas échéant, la nature des informations qui seront communiquées aux IRP, notamment au CHSCT pour ce qui concerne ses missions. »
On retrouve ici la volonté de la CFDT si souvent exprimée d’obtenir de l’information, toujours plus d’informations.
Et Henri Forest d’ajouter : « Les CHSCT doivent quitter le statut de l’institution spécialiste à qui on délègue la résolution des problèmes d’atteinte à la santé. Les CHSCT se retrouvent mal positionnés par rapport aux lieux de décisions stratégiques qui impactent le travail des salariés. »
Pour Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT : « Dans notre stratégie consistant à mettre le travail comme élément déterminant des politiques à mener, le CHSCT deviendrait un élément moteur de notre démarche revendicative. Il s’agit de remettre le CHSCT en centralité du dialogue social. Durant longtemps, il n’a pas été considéré à sa juste place. Le CHSCT doit être remis en haut de l’affiche. L’enjeu du CHSCT est bien aujourd’hui d’inscrire son action dans l’action syndicale et ainsi de faire grandir le syndicalisme sur les questions du travail. »
La CGT est pour partie toujours sur la tradition de positionner le CHSCT dans la démarche revendicative, mais avec une ouverture désormais assumée : le dialogue social. Pour Bertrand Neyrand, assistant confédéral chargé de la santé au travail à FO : « Les CHSCT doivent sortir d’une approche technique de la prévention pour en avoir une vision plus large, intégrant l’organisation du travail. Il s’agit d’un véritable tournant à prendre dans le contexte actuel. »
Pour Bernard Salengro, secrétaire confédéral de la CFE-CGC : « Notre projet est de faire évoluer la vision trop technique du CHSCT. »
Ainsi, un consensus apparaît clairement : toutes les organisations syndicales veulent un CHSCT plus politique, soit au service de l’action revendicative, soit dans une vision globale et stratégique de l’entreprise à travers les sujets dont il a la charge.
- Des formations / action pour les militants -
Quoi qu’il en soit, le regard porté sur le CHSCT a changé. Au service de cette vision, toutes les organisations syndicales, au niveau confédéral, souhaitent accompagner leurs élus dans des formations appropriées et différentes, souvent en situation et peut-être moins théoriques et juridiques, à l’exemple de la CFDT :« La CFDT a conduit des formations/action sur l’analyse du travail à destination d’élus de CHSCT [...] par contre, cette approche de l’action syndicale et de la formation est très exigeante et bouscule le cadre des formations actuelles et n’a pas encore modifié nos pratiques » (Forest H., ibid). _ « Notre action consiste dans le contexte actuel à revenir aux fondamentaux : comprendre les transformations du travail, remettre en question les formes de management ayant un impact négatif sur la santé des salariés, partir du réel, des situations de travail pour construire l’action syndicale, en étant sur le terrain. » (Naton J.-F. (CGT), ibid).
Notons aussi l’initiative originale de la CFE-CGC : deux bandes dessinées sur le CHSCT, l’une intitulée « Agenda » et l’autre « Le CHSCT : parlons Lean ». Ces deux BD sont destinées à la formation des élus CFE-CGC au CHSCT.
Toutes les organisations syndicales veulent une instance plus politique, mais la définition de « politique » reste très marquée selon chacune d’elles.
- Qu’en retenir pour les entreprises ? -
Les entreprises ont-elles pris conscience de ces changements sur le fond et du nouveau regard porté sur l’instance CHSCT par les partenaires sociaux ? Il ne s’agit plus simplement de freiner tel ou tel projet, de nommer un expert, de jouer de la procédure à des fins dilatoires. Le CHSCT devient une instance à « intégrer » en amont dans une stratégie sociale, comme le CE, sur les sujets qui le concernent.
Brochure Force Ouvrière 1983
L’instance purement technique n’est plus ! Une vision globale de l’entreprise et les conséquences de sa stratégie sur la santé et les conditions de travail sont demandées par toutes les organisations syndicales. Cela change aussi le profil des représentants de l’entreprise au CHSCT : plutôt des managers que des techniciens.
Jean-François Pilliard, vice-président du Medef, indique : « J’ai la conviction que le CHSCT doit être un interlocuteur privilégié et un véritable soutien pour nos chefs d’entreprise, confrontés à des obligations de plus en plus étendues sur des sujets devenus très techniques [...]. Il est évident que lorsqu’il est le lieu d’une concertation constructive, le CHSCT peut contribuer de façon efficace à l’élaboration de la politique de prévention de l’entreprise qui reste, bien entendu, de la responsabilité de l’employeur (Travail et Changement ANACT n° 345 Septembre/octobre 2012).
Pour que le CHSCT soit dans ce contexte une instance efficace, les entreprises doivent former leurs présidents au nouveau rôle et éviter les formations classiques sur le fonctionnement de l’instance, les moyens et les droits des élus. Ce ne sont plus seulement des formations techniques juridiques, mais des formations sur les politiques de santé au travail, de conduite du changement, de l’organisation du travail. Le président du CHSCT déclinera demain encore plus qu’aujourd’hui une politique de prévention préalablement débattue. C’est de cette vision globale dont a besoin le président, vision qu’il partagera avec les membres du CHSCT et qui est propre à chaque entreprise selon son histoire, son métier, ses projets. L’enjeu consiste donc à s’ajuster au mieux pour éviter les affrontements non constructifs qui laissent penser que le public ciblé est oublié : les salariés.
CHSCT et dialogue social. Maîtriser les pratiques et leur donner du sens, par Michèle Rescourio-Gilabert, Editions Liaisons sociales, 256 pages, 2014, 29,- €.
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