Adhérent au parti communiste plus par précaution que par conviction, Bernard THIBAULT n?est pas moins empêtré dans la tutelle qu?entend encore exercer le PCF sur la CGT.
En publiant, dans une collection nouvelle, un petit livre intitulé « Qu’est-ce que la CGT ? » (Editions L’ Archipel, 2002) où il lui était permis de s’exprimer avec un peu plus de liberté, puisque son éditeur n’était ni la CGT ni le PCF mais une société privée, Bernard Thibault a voulu faire savoir qu’entre dans le Parti communiste et la CGT les choses n’étaient plus comme avant, qu’une page était « définitivement tournée » (p.75).
Ce petit ouvrage (128 pages) commence par une biographie du secrétaire général de la CGT, signée Stanislas Maillard dont on peut être sûr que pas un mot n’a été publié sans l’approbation de Thibault. D’entrée de jeu, il nous est rappelé qu’il y a déjà deux ans que Thibault avait annoncé au 31ème congrès du Parti communiste (octobre 2001) que « d’accord avec Robert Hue » (ô, cette discipline du parti communiste qui ne permettait pas à ses membres de refuser ou de se démettre sans y avoir été autorisé !) il ne solliciterait pas le renouvellement du mandat (de membre du Conseil national, ex Comité central) qui lui avait été confié « en même temps qu’il était porté (en février 1999) à la tête du premier syndicat de France ».
C’était en effet une nouveauté majeure car, jusqu’à cette date, les communistes français étaient restés fidèles à cette règle fondamentale du « marxisme-léninisme » qui veut que les « organisations de masse » et d’abord l’organisation syndicale, la plus importante de toutes, soient dirigées non seulement par des militants communistes, mais par des militants qui soient aussi des dirigeants du Parti, des dirigeants du Parti ayant dans leur fonction de dirigeants du Parti la direction de l’organisation de masse, la direction de la CGT.
Tel avait été le cas de Krasucki, Séguy, Frachon, membres du Bureau politique en même temps que secrétaires généraux de la CGT, et ne faisant rien d’important en tant que secrétaires de la CGT sans avoir reçu au préalable l’avis, très exactement les directives du Bureau politique. Viannet avait commencé à rompre avec cette règle. Il n’avait pas été membre du Bureau politique durant son secrétariat confédéral, mais seulement membre du Conseil national du PCF.
C’est ce même mandat, disons de second rang, que le Parti avait confié à Thibault après sa nomination au secrétariat de la CGT, mais Thibault, qui alors n’avait pas refusé, tient à nous faire savoir que, membre du Conseil national communiste, il ne l’était qu’en titre : il n’a jamais pris la parole dans cette instance (p.9), sans toutefois aller jusqu’à « sécher » les réunions. Du moins ne nous dit-il rien de tel, et l’on se souvient d’ailleurs d’images de la télévision où l’homme à caméra avait visiblement voulu souligner sa présence.
Au demeurant, si l’on en croit les détails qu’il a donnés à son biographe, et l’on ne voit pas pourquoi on le ne croirait pas, il n’aurait tenu que peu de place dans la vie du Parti, et que le Parti n’en aurait pas occupé beaucoup dans la sienne.
Il fut sollicité d’adhérer au PCF dès 1977, à l’âge de 18 ans, lors de son entrée au travail au dépôt de la Villette où la cellule communiste était très active. Il n’avait pas vu en quoi cette adhésion aurait pu lui être utile, et ce fut sans être « encarté » au Parti qu’il monta les premiers degrés de la hiérarchie syndicale : secrétaire du syndicat du dépôt de la Villette en 1980, secrétaire à l’organisation du secteur fédéral de la région Paris Ouest de la Fédération des cheminots en 1982, rien ne permettant de penser que, dans cette période de formation, il ait suivi une école du parti.
- Les coordinations de 1986 -
Ce ne fut qu’en 1986 qu’il se décida à sauter le pas - parce que, dit-il, « le long conflit de décembre 1986 » (celui des agents de conduite) l’aurait « convaincu de la nécessité de s’engager aussi en politique » (p.16).
La raison, de prime abord, n’est guère convaincante. La grève en question - qui fut spectaculaire - n’avait été ni lancée ni menée par la fédération CGT des cheminots ni par aucune autre, mais par des « coordinations » d’agents de conduite fatigués de voir que les organisations syndicales officielles négligeaient les intérêts propres à leur métier. « Désemparés et ulcérés par les méthodes qui font peu de cas d’années de travail patient d’implantation, de jeux subtils d’équilibre entre les logiques d’appareil et les revendications », - propos à moitié mystérieux qui mèneraient loin si l’on cherchait à les expliciter- les cadres (communistes) de la Fédération jetèrent l’anathème sur les meneurs de la grève, refusant avec eux tout contact. Thibault, au contraire, serait resté en contact avec la base, n’hésitant pas à se rendre aux assemblées générales des coordinations, allant « même jusqu’à discuter avec les responsables » (p.15).
On n’en a rien su alors à l’extérieur mais c’est parce que le nom de Thibault n’était pas encore connu. On ne mettra donc pas en doute le caractère peu orthodoxe de son comportement lors de cet événement. Mais, de toute évidence, la constatation que Thibault fit de la désaffection d’une masse de cheminots à l’égard de la Fédération apparemment privilégiée par eux dans les élections aurait dû conduire à incriminer la politisation de l’action syndicale, une politisation à deux degrés, si l’on peut dire, l’utilisation de l’action syndicale par le Parti pour les besoins de son action immédiate et à long terme, mais aussi la conception tant abstraite que le marxisme a donnée aux communistes de la classe ouvrière, qui a conduit la CGT et sa fédération cheminote (et bien d’autres) à ne plus prendre en compte les particularités professionnelles (la classe ouvrière est une !) ou du moins à les tenir pour secondaires et accessoires.
Bref, le conflit de 1986 aurait dû convaincre Thibault de la nécessité de ne pas s’engager politiquement, si l’on voulait rendre aux organisations syndicales leur crédibilité.
Or c’est précisément à ce moment-là que Thibault aurait décidé d’entrer au Parti. A-t-il cru que le Parti qui, après coup, essayait de se faire attribuer la paternité du mouvement s’engageait cette fois dans la voie d’un renouvellement de la doctrine et de la pratique ? Peut-être. Mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est en cette même année 1986, donc peu avant le conflit, que Thibault était entré au Bureau de la fédération CGT des cheminots. Il a dû comprendre ou l’on a dû lui faire comprendre qu’il n’était pas possible d’exercer une telle fonction dans une telle fédération - bastion traditionnel de l’influence communiste - sans entrer dans le Parti : rester au dehors aurait constitué un acte de méfiance, voire d’hostilité envers le Parti.
- Une adhésion de précaution -
Selon toute apparence, son adhésion au Parti communiste fut de précaution plus que de conviction.
Ne nous dit-il pas qu’il ne partageait pas sur le monde socialiste les mêmes illusions que ses camarades du Parti ? « Pour avoir participé à des délégations syndicales dans les pays de l’Est ou reçu en France leurs délégations », il avait pris conscience du « décalage » qu’il y avait entre la situation (ouvrière) en France et dans les pays socialistes, « des dégâts occasionnés par la confusion des rôles, par la main mise du Parti sur les syndicats ».
Il ne l’a point dit alors, que l’on sache, et sans doute eut-il été imprudent de le dire car, malgré tout, ses camarades de Parti croyaient encore que le bilan du socialisme soviétique était « globalement positif » selon le mot de Marchais. Il est cependant fort possible qu’il y ait longtemps déjà commencé à comprendre.
On ne sera pourtant pleinement convaincu de sa conversion affichée à l’indépendance syndicale que lorsqu’il aura pleinement fait ou fait faire la lumière sur la façon dont le Parti dirigeait la CGT, l’usage de l’imparfait relevant ici de l’acte de foi plus que de la parfaite conviction.
Dire, comme il l’a fait, que « l’idée d’un syndicat courroie de transmission d’un parti, quel qu’il soit, n’était pas sa tasse de thé » (p.16) à lui, Thibault, cela aurait fait scandale il y a quinze ou vingt ans et attiré sur l’irrévérencieux les foudres du Parti. Aujourd’hui, c’est un peu léger, et presque l’aveu qu’on ne tient pas à étudier la question en profondeur. Comme s’il ne s’agissait que d’un incident de parcours.
Nulle part on ne trouve dans cet opuscule ne serait-ce que l’amorce d’une analyse du mécanisme savant qui a assuré pendant un demi-siècle la domination du Parti communiste sur la CGT. Le mot noyautage n’apparaît pas une fois dans ces cent vingt huit pages. Le mot fraction pas davantage.
Comment être certain qu’un homme ne retombera pas dans ses erreurs passées tant qu’il n’a pas mis au jour, pour les autres et pour lui-même, les racines de ces erreurs.
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