Enfin la publication des comptes ! C'est une bonne chose. Il faut aller plus loin et dresser l'inventaire de toutes les ressources syndicales : financières, matérielles et humaines.
Où sont passés les 20 millions du comité central d’entreprise d’Air France ? Les millions du comité d’entreprise d’EDF ? Ceux de l’UIMM ? Bien malin qui saurait répondre à ces questions. Un rapport de la Cour des comptes de 2005 dénonçait déjà la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) d’EDF pour des "subventions déguisées aux syndicats" et on connait tous les on-dit et les rumeurs qui circulent sur les subventions accordées par l’UIMM ou le CE d’Air France. Au-delà de ces scandales étalés sur la place publique, cette situation malsaine vient en grande partie du fait que, jusqu’au vote de la loi du 20 août 2008, les syndicats français - de salariés ou patronaux - pouvaient se prévaloir de la palme de l’opacité en ce qui concerne leurs comptes. Rien, en effet, ne les obligeait antérieurement à présenter et publier leurs comptes. Le décret d’application de cette loi vient de sortir (Journal officiel 30 décembre 2009). En mai 2006, le rapport du conseiller d’Etat Raphaël Hadas-Lebel déplorait que les chiffres donnés par les syndicats sur leurs budgets, même financés en très grande partie par des deniers publics, fussent, au vu des données disponibles, invérifiables. Les questions les plus simples sur les finances syndicales ne trouvaient pas de réponse : combien de permanents syndicaux sont mis à disposition par les administrations, les collectivités et les grandes entreprises ? Quel montant de subventions publiques ?
Des règles communes
Dorénavant, les syndicats, leurs unions, leurs fédérations seront tenus d’établir et de publier leurs comptes. Les comptes annuels des organisations syndicales dont les ressources sont supérieures à 230.000 euros comprendront dorénavant un bilan, un compte de résultat et une annexe. On peut se féliciter de cette mesure, directement inspirée des règles qui ont naguère permis de clarifier les finances du monde associatif. On peut être satisfait aussi de l’obligation de publicité des comptes avec mise en ligne sur le site de la Direction des Journaux Officiels des comptes des syndicats dont les ressources sont supérieures à 230.000 euros et sur leur site Internet pour les autres.
L’entreprise Air France dote son comité central d’entreprise de quelque 87 millions d’euros, chaque année, pour financer les activités sociales et culturelles. Un trou estimé entre 20 et 25 millions d’euros vient d’être découvert, causé par une mauvaise gestion et pouvant révéler des pratiques irrégulières
L’obligation de ce dépôt ne sera malgré tout applicable que progressivement : en 2010 pour les confédérations et les fédérations, en 2011 pour les régions et les départements, en 2012 pour tous les syndicats. Encore deux ans à attendre pour avoir une cartographie exacte du financement des syndicats en France.
Le montant exact des financements publics accordés aux syndicats de salariés devrait enfin être connu. Selon nos estimations et celles d’autres chercheurs (Gérard Adam et Hubert Landier jadis, Dominique Andolffato et Dominique Labbé naguère), environ 20 % des ressources des syndicats de salariés viennent des cotisations des adhérents quand 80 % sont issues de ressources extérieures. Un rapport inverse à ce que l’on constate dans les pays nordiques. Entre 200 et 700 millions d’euros de subventions diverses iraient irriguer les comptes syndicaux tous les ans.
Il faut aller plus loin
Les mesures prises étaient nécessaires. Elles ne sont pas suffisantes. La notion de subvention peut être étendue à tout versement d’argent public, d’argent privé (fonds du paritarisme) ainsi qu’aux contributions en nature : mises à disposition d’immeubles ou de personnels. Les textes actuels prévoient seulement une information qualitative et non quantitative, avec le nombre de personnes mises à disposition par l’Etat, les collectivités et les entreprises publiques, la nature et l’identification des biens quand ce sont des immeubles ou locaux mis à disposition.
Si l’on veut aider les syndicats à sortir du clair-obscur qui nuit à leur image, il faut aller plus loin.
Disons-le : il est juste de reconnaître les missions d’intérêt général que les organisations syndicales conduisent, au-delà de leurs adhérents, au service de tous : négociations collectives, gestion d’organismes paritaires (formation, chômage, retraites, etc.). Autant de missions que l’Etat n’a pas à assumer. Cela peut signifier un soutien - public ou privé- extérieur aux cotisations, soit par soutien matériel (locaux des Bourses du travail par exemple) soit par mise à disposition de permanents.
Régulièrement, la presse d’information générale ou spécialisée rédige de grands dossiers sur « l’argent trouble » des syndicats. Ces dossiers de « révélations » alimentent la suspicion sur le syndicalisme dans son ensemble. Les faits dénoncés surprennent et troublent les nombreux militants syndicaux qui vivent leur engagement dans une démarche sincère et honnête. L’absence de règles comptables claires est pour beaucoup dans l’origine des comportements déviants. La mise en place de normes de gestion et la transparence des comptes permettront de réduire fortement ces dérives et par contre-coup, de réhabiliter l’image du syndicalisme en France.
Indépendance et transparence
Cependant, il est nécessaire, en contrepartie, de respecter deux exigences :
l’indépendance des syndicats par rapport à l’Etat et aux pouvoirs publics. Un financement assuré à plus de 80 % par des ressources extérieures ne peut pas être considéré comme un signe d’indépendance.
la transparence complète. A ce jour, aucun ministre de la République n’est capable de fournir le nombre exact de permanents syndicaux mis à disposition par son ministère. A l’Éducation nationale, l’estimation se fait par milliers. De la même façon, aucun trésorier de confédération ne peut aujourd’hui connaître le nombre de permanents dont disposent telle ou telle fédération syndicale si celle-ci ne le lui indique pas, à supposer qu’elle-même les connaisse tous. A EDF par exemple, l’estimation se fait par centaines.
Responsabilité des syndicats
Il sera souhaitable que la loi détaille l’effectif brut et l’effectif en équivalent temps plein (ETP) des collaborateurs mis à la disposition du syndicat par des organismes extérieurs ainsi que l’origine et le coût budgétaire complet par catégorie de ceux-ci. Ces emplois ont une valeur budgétaire non négligeable d’autant plus qu’ils pèsent pour la plupart sur des budgets nationaux ou locaux financés par l’impôt. Si l’on convient que l’organisation du marché du travail relève d’abord de la responsabilité des partenaires sociaux, si l’on veut réduire l’interventionnisme de l’Etat dans la vie sociale, il importe de renforcer la capacité des syndicats - salariés et patronaux - à agir. Cela passe par un regard clair sur leurs moyens d’action.
Notre analyse vient d’être reprise en version allégée par Le Figaro du 14 janvier 2010, rubrique débats et opinions
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