Réunis à Montpellier du 14 au 18 février 2011, les 2700 délégués au 22ème congrès de la CGT-Force Ouvrière ont multiplié les références historiques au syndicalisme libre et indépendant. Ce leitmotiv du congrès est important pour comprendre le positionnement actuel de FO, dans les entreprises comme au plan national.
Les cinq résolutions adoptées par le 22ème Congrès de Force Ouvrière à l’unanimité, émaillées de formules comme « le congrès dénonce... », « le congrès exige... » ou « le congrès condamne... », se montrent particulièrement critiques à l’encontre de plusieurs lois récentes.
Parmi les lois dont le congrès exige l’abrogation, la loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale est mentionnée six fois dans les différentes résolutions, avec ses héritières : la loi du 5 juillet 2010 sur la représentativité syndicale dans la fonction publique et celle du 15 octobre 2010 sur la mesure de la représentativité syndicale dans les TPE (moins de 11 salariés). Tout le positionnement de Force Ouvrière ces derniers mois, et pour les années à venir, est conditionné par son refus de la loi du 20 août 2008, qu’elle dénonce comme contraire à sa lecture des relations sociales et aussi comme une entreprise de la CGT et de la CFDT pour faire disparaître les confédérations concurrentes. « Pour des raisons de fond liées à nos conceptions en matière de syndicalisme et de négociation collective, nous n’acceptons pas le contenu de la loi du 20 août 2008 résultant de la position dite commune (CGT, CFDT, MEDEF, CGPME) que la CGT-Force Ouvrière a condamné et continue de contester pour son caractère liberticide. L’objet de cette loi est bien de restreindre la liberté syndicale, de favoriser les interlocuteurs privilégiés et un syndicalisme d’accompagnement. » Cette phrase de la résolution générale, intitulée « Résister et revendiquer pour le progrès social et la République », donne le ton de l’ensemble des débats du congrès, dont les actes ressemblent à un cahier de doléances.
Une longue liste de refus
Sur les retraites, le congrès réclame l’abrogation des réformes de 1993, 2003, 2008 et 2010, en des termes à la fois prudents et ambigus : « Le congrès s’inscrit dans une démarche volontariste de reconquête sociale qui passe par le retour du droit à la retraite à 60 ans, à taux plein et la perspective du retour aux 37,5 ans de cotisations, en créant le rapport de force qui le permette. »
Sur l’emploi, FO se félicite d’avoir obtenu l’abrogation du Contrat nouvel embauche (CNE) à la suite d’une plainte déposée auprès de l’Organisation internationale du travail. Le congrès réclame l’abrogation de la loi du 13 février 2008 fusionnant les Assedic et l’ANPE. Sur le temps de travail, le congrès réclame la suppression des autorisations d’accords dérogatoires aux conventions collectives prévues par la loi du 20 août 2008. Sur la liberté syndicale, FO dénonce successivement les lois de 2004 et de 2008 sur la négociation en entreprise et réclame un retour strict aux lois de 1950 sur la politique contractuelle, de 1968 sur la liberté d’expression et d’activité syndicale dans l’entreprise, de 1971 sur la négociation collective. Les positions de la confédération semblent hésiter entre la défense de la politique contractuelle et de l’autonomie des partenaires sociaux, et l’appel à l’intervention publique dans la vie économique et sociale, qui passe même par des nationalisations !
Nulle surprise, donc, à ce que le congrès ait décidé d’annexer un texte de référence à sa résolution générale : la charte d’Amiens de 1906 sur l’indépendance syndicale. Force Ouvrière fait en effet une lecture très critique des évolutions législatives et contractuelles de ces dernières années. Les références des résolutions renvoient souvent à la loi de 1884 sur la liberté syndicale, à la charte adoptée par le congrès d’Amiens de la CGT en 1906, ou encore à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, pour affirmer son attachement à la laïcité.
L’axe FO - FO
Ce positionnement affirme donc la volonté d’indépendance de Force Ouvrière, au risque de la crispation. Jean-Claude Mailly a, en effet, affirmé dans sa réponse aux cinquante interventions des congressistes sur le rapport d’activité : « En réponse à l’ensemble de ces interventions, j’ai voulu plus particulièrement mettre l’accent sur notre attachement à la liberté et l’indépendance syndicales, ainsi qu’au nécessaire développement de notre organisation, condition indispensable afin de conserver l’axe FO-FO, n’en déplaise à ceux qui pourraient s’interroger sur d’autres axes, FO-CGT ou FO-CFDT. Il n’y a, et il n’y aura, que l’axe FO-FO ». Et pour confirmer cet axe unique, les résolutions adoptées mentionnent dans deux documents différents le refus par FO d’une stratégie d’intersyndicale permanente, ou - en reprenant plus spécifiquement le vocable cégétiste - de « syndicalisme rassemblé » : « Le congrès ne confond pas « l’intersyndicale » avec l’action commune librement décidée. Il rejette toute forme de syndicalisme rassemblé ou « d’intersyndicale permanente » qui ne vise qu’à « encadrer » les travailleurs et à porter atteinte à la démocratie et au pluralisme syndical ».
Dans les élections d’entreprise
Il faut donc s’attendre, dans les mois qui suivent, en particulier dans les entreprises qui vont connaître des élections du personnel, à une surenchère de Force Ouvrière sur le thème de l’indépendance syndicale. Toute politique sociale d’entreprise qui pourra être perçue comme une recherche de partenariat avec la CFDT ou d’établissement d’un pacte de non agression avec la CGT, sera comprise comme une volonté délibérée de la direction d’éliminer FO et dénoncée comme telle. Dans les entreprises comme au plan national, le positionnement adopté par FO pousse ses militants à faire cavalier seul. Cela ne signifie pas que, ponctuellement, des stratégies d’entente ne seront pas possibles. Mais la logique dominante restera celle du développement de FO au son de l’indépendance syndicale.
Ce thème sous-tend toute la résolution consacrée au développement. Texte peu fréquent pour FO, cette résolution donne des indications concrètes pour assurer le développement de l’organisation, en rappelant les prochaines échéances : élections dans la fonction publique du 20 octobre 2011, dans les TPE en 2012 et mesure de la représentativité dans les branches et au plan national en 2013. Le congrès fixe trois priorités aux syndicats :
la défense des contractuels comme des statutaires dans la fonction publique et la défense de
tous les salariés y compris les précaires dans le privé,
le développement de la présence sur le terrain,
l’expression de vraies revendications et l’effort à faire sur l’adhésion.
Enfin, FO réclame le respect du bon fonctionnement des structures de la confédération, où les syndicats affiliés à une fédération reçoivent le plus souvent leur mandat d’une union départementale, considérée comme le pivot du développement syndical de proximité. Quant aux fédérations, elles ont pour consigne d’apporter un soutien régulier aux syndicats en matière d’information sur la branche et sur l’entreprise.
La simplification annoncée par Jean-Claude Mailly du circuit de remontée des cotisations a fait l’objet d’une évidente satisfaction des délégués, prouvant que la question du développement et des structures internes méritait bien une résolution du 22ème congrès.
Stratégie pour 2013
La feuille de route de Force Ouvrière est fixée pour trois années importantes, qui verront la première mesure nationale de la représentativité, issue d’une loi de 2008 dont FO continue de demander l’abrogation.
FO affiche sa volonté de développement. Le congrès a salué avec satisfaction l’annonce de l’affiliation de plusieurs syndicats autonomes ou rattachés jusqu’à présent à une autre confédération. L’affirmation forte de la ligne d’indépendance syndicale est un message propice au ralliement de syndicats indépendants, quitte à concurrencer l’UNSA sur ce terrain. On saura en 2013 si la stratégie de l’axe FO-FO aura été payante. En maintenant sa représentativité nationale et dans les branches, FO aura remporté son pari, et sera en position de force pour imposer ses propres règles de « syndicalisme rassemblé » à ceux qui, issus de la CFTC, de l’UNSA ou de la CFE-CGC, voudront conserver leur représentativité en se rapprochant de la confédération. Mais si c’est l’inverse qui se produit, et que des syndicats FO désertent leur organisation pour éviter de disparaître sous la barre des 10% dans les entreprises, le volontarisme de FO l’aura définitivement isolé.
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