Alors qu'une réforme « par le haut » du syndicalisme fut un des thèmes de la récente campagne pour l'élection présidentielle, il est intéressant d'observer les prémices de ce qui pourrait être une réforme « par le bas ». Suite à un article publié sur notre site, l'IST a reçu ce courriel d'une jeune militante syndicale. Il mérite d'être lu et ouvre des pistes de réflexion.
Monsieur, J’ai lu avec un grand intérêt votre article du 27/10/06"Le rendez vous manqué des jeunes et du syndicalisme". Je me permets de vous écrire car j’ai un projet sur ce thème et je souhaiterais des conseils de votre part. J’ai 28 ans, et je suis syndiquée et militante depuis deux ans. Je m’occupe également de la section jeune de l’UD de mon syndicat, et ma "bataille" c’est l’information des jeunes et pas la propagande et la syndicalisation à tout prix. Cependant pour pouvoir les informer, il faut, soit qu’ils viennent vers nous, ce qu’ils ne font pas, soit que nous allions vers eux. Or les syndicats n’ont pas tellement une bonne image en France auprès des jeunes. Ce que j’ai pu observer pendant les manifs du CPE : lorsque nous leur distribuions des autocollants"Retrait du CPE", ils déchiraient la partie supérieure où était mentionné le nom du syndicat ! Par cela, ils voulaient affirmer leur indépendance et celle de leur combat et éviter toute récupération politique ou syndicale, ce que je comprends. Mon idée pour attirer les jeunes dans un lieu où ils pourraient être informés, serait d’organiser une soirée concert ou un festival type fête de l’Huma. Cependant je ne conçois cette action qu’en intersyndicale avec aussi les syndicats non représentatifs, les syndicats lycéens et étudiants mais aussi des associations. Chaque organisation aurait son stand géré uniquement par des représentants "jeunes" et chaque personne pourrait se diriger et recueillir l’information qui l’intéresse sur le stand de son choix. Je pense qu’à terme, ce genre d’actions permettrait de rajeunir l’image du syndicalisme et les lycéens et étudiants, une fois sur le marché du travail, se rappelleraient des bons conseils de telle ou telle organisation et adhèrerait ainsi plus naturellement à un syndicat. Mon gros problème est que je n’ose soumettre cette idée à mes responsables (mon responsable d’UD, le confédéral chargé de la jeunesse) car je sais qu’ils sont a priori contre l’intersyndicale. Les jeunes seraient d’abord attirés par le côté festival et les concerts et je ne pense pas que beaucoup d’artistes même engagés, ont envie qu’on leur colle l’étiquette d’un seul syndicat, d’où l’idée d’organiser cette action en intersyndicale avec aussi des associations (comme Génération Précaire). Ce que je voudrais vous demander, c’est : pensez-vous que mon idée soit une bonne idée ? quels conseils pouvez-vous me donner pour convaincre mes responsables de l’utilité de l’intersyndicale sur ce sujet ? Pour info, j’ai le soutien d’un groupe de reggae assez populaire envers les jeunes en France et même en Europe et dont le discours et les paroles de chanson vont dans le sens de mon combat. Je vous remercie de l’intérêt que vous aurez porté à ce courrier. Dans l’attente d’une réponse de votre part, veuillez recevoir, Monsieur, mes sincères salutations. NDLR : pour des raisons de discrétion, nous avons ôté de cette lettre les références explicites au département et au nom de l’organisation syndicale.
Ce que révèle ce courrier
Le syndicalisme est confronté à un double défi : celui du papy boom et du baby crash.
Pour prendre quelques exemples, la CGT annonce 100 000 départs en retraite chez ses adhérents d’ici 2010, et 200 000 d’ici 10 ans (Source : NVO du 15 septembre 2006 et site internet de la CGT). Par ailleurs, les 18-30 ans ne forment que 2 % de ses effectifs. Face à cela, la confédération se félicite sur son site internet d’avoir enregistré 15 600 nouveaux syndiqués en 4 mois. Or il faudrait qu’elle maintienne ce rythme d’adhésion pendant... 25 mois pour faire plus que compenser les prochains départs en retraite.
La CFDT évoque aussi une« tendance à l’amélioration »de ses effectifs, qui« ne se traduit pourtant pas par un solde positif. Les nouvelles adhésions, dont le nombre est reparti à la hausse, ne parviennent pas à compenser, entre autres, les départs à la retraite de la génération du papy boom »(Déclaration de Jacky Bontems, secrétaire général adjoint le 17 avril 2007). La confédération cite, sans détail, le chiffre de 20 000 adhésions nouvelles depuis janvier 2007.
Quant à FO, son message de recrutement ciblé en direction des jeunes se résume à ce slogan« 3 protections valent mieux qu’une ! », avec dans l’ordre : la carte vitale, le préservatif et la carte syndicale...
Si la perception de l’urgence d’un renouvellement syndical est partagée, la manière d’y parvenir reste peu novatrice. Or les formes de recrutement doivent évoluer parce que les formes d’engagement collectif ont évolué. C’est l’autre leçon de ce courrier.
La lettre de notre jeune militante comporte trois enseignements : 1. les jeunes s’engagent d’autant plus volontiers qu’ils éprouvent un sentiment de liberté dans l’acte d’engagement :« lorsque nous leur distribuions des autocollants "Retrait du CPE", ils déchiraient la partie supérieure où était mentionné le nom du syndicat ! Par cela, ils voulaient affirmer leur indépendance et celle de leur combat et éviter toute récupération politique ou syndicale, ce que je comprends » ;
2. leur engagement exige d’être porteur de sens et la dimension collective semble la meilleure garantie « démocratique » qu’un projet a du sens :« je ne pense pas que beaucoup d’artistes, même engagés, ont envie qu’on leur colle l’étiquette d’un seul syndicat, d’où l’idée d’organiser cette action en intersyndicale, avec aussi des associations » ;
3. « faire la fête » est un moyen de relier l’engagement individuel et sa dimension collective :« Mon idée pour attirer les jeunes dans un lieu où ils pourraient être informés, serait d’organiser une soirée concert ou un festival type fête de l’huma.(...) Les jeunes seraient d’abord attirés par le côté festival et les concerts. »
Sur ce dernier point, la récente « fête de la Concorde » organisée le 6 mai au soir pour célébrer la victoire du nouveau Président de la République donne raison à notre interlocutrice. La fête est un vecteur politique. Certains analystes parlent même de « plaisir-politique » pour qualifier cette forme particulière d’expression d’un engagement militant :« Dans ce type de politique, le sens n’existe pas sans émotion, le sens est émotion. Le plaisir-politique est fondé sur une certaine forme d’expérience partagée et ne devient réalité que dans le cadre de cette expérience. »(Tim Jordan S’engager - Editions Autrement 2003).
Les organisations syndicales devraient réfléchir à cette composante de l’engagement. Elles doivent affronter le paradoxe de leur posture réformiste, c’est-à-dire qu’elles critiquent le présent au nom d’un autre présent pour tenter de donner forme au futur. L’engagement des jeunes est d’essence plus radicale : ils partent d’un futur à créer selon une vision différente pour critiquer le présent. Or le risque d’un syndicalisme vieillissant est de délaisser même le réformisme pour s’enfermer dans la nostalgie : critiquer le présent au nom d’un passé mythique qui n’offre plus aucun débouché sur l’avenir.
Quelques pistes
Difficile, dans ces conditions, de répondre à ce courrier. Voici les quelques pistes que nous avons suggérées :
Tout d’abord, nous vous remercions de votre message et du témoignage que vous donnez.
1. Concernant votre première question : oui, l’idée d’un festival de musique ouvert au monde des étudiants, lycéens et jeunes professionnels est une excellente idée. Les jeunes sont aujourd’hui formatés par ce phénomène affinitaire que le mouvement altermondialiste a bien compris. Cela veut dire que c’est par "groupes d’affinité" qu’ils se retrouvent pour s’engager, souvent ponctuellement, dans une action. Ce phénomène de "tribu" librement choisie correspond à la fois : à une volonté d’agir ensemble pour le changement, à une volonté d’autonomie pour éviter la récupération. Ces deux points peuvent sembler en contradiction, mais ils correspondent à une culture qui combine l’exigence morale de l’engagement responsable, le respect du débat selon le principe de la démocratie directe, la méfiance envers les structures de pouvoir, un certain "zapping" militant et... le goût de la fête.
2. Est-ce un modèle pour l’action syndicale ? Pas forcément.
Le syndicalisme correspond au besoin de défendre dans la continuité des intérêts collectifs, matériels et moraux. On y trouve donc de la convivialité, mais plus rarement le goût de la fête ; du débat, mais encadré par le principe de la démocratie syndicale ; et une culture de l’action revendicative fondée sur la négociation qui inscrit l’action dans la durée. Les réserves de votre organisation sont compréhensibles : qu’avons-nous à gagner dans ce projet ? Telle est la question que doit se poser votre secrétaire d’UD et le responsable confédéral...
3. Concernant votre question sur l’intersyndicale, notre réponse est plus nuancée.
On comprend que votre organisation n’a rien à gagner à un rassemblement de jeunes en intersyndicale, surtout avec des organisations dont elle conteste la représentativité. Une confédération se présente comme une organisation ayant sa propre identité, forgée par des années de luttes syndicales, mais aussi parfois de luttes internes. Cela pèse sur la mémoire collective et le sentiment d’appartenance ne laisse pas beaucoup d’espace au dialogue intersyndical, sauf dans une action revendicative unitaire comme le conflit du CPE en 2006.
Notre conseil serait donc de proposer à vos instances un festival "jeunes et engagés" avec des ONG et des associations étudiantes et lycéennes. Vous pouvez éventuellement inviter les syndicats étudiants et lycéens, mais attention aux liens de certains avec des organisations syndicales concurrentes de la votre... Il ne s’agit pas de vous faire doubler en donnant l’idée à l’extérieur ! En revanche, vous pourriez trouver un terrain d’entente avec des ONG de solidarité qui ont souvent des antennes dans le monde étudiant.
De plus, cette jonction vous ouvre au thème de la "responsabilité sociale d’entreprise" qui peut être un vrai thème d’action conjointe jeunes-syndicats sur un sujet à définir (organisation d’un débat, montage d’une opération de solidarité avec la participation de syndiqués, partage de la recette du concert avec une ONG humanitaire, etc...). Un tel projet a l’avantage de ne pas exclure les syndicalistes "d’âge mur" de l’opération "jeune", de vous donner un positionnement nouveau et pas exclusivement "ouvrier" vis-à-vis de votre cible étudiante et lycéenne, et de laisser de côté les autres syndicats qui ne vous auraient pas renvoyé l’ascenseur de toute façon.
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