Il y a tout juste cent ans, en 1910, une loi créait les retraites ouvrières et paysannes. Plusieurs initiatives avaient précédé cette loi, elle-même suivie d'autres mesures, notamment en 1928-1930 et en 1941, qui sont aux origines du système actuel, établi en 1945.
Les régimes de retraite du secteur public ont été créés dans notre pays avant ceux du secteur privé. Ils sont à l’origine des « régimes spéciaux » qui perdurent aujourd’hui encore.
- 1407. Une ordonnance du 7 janvier 1407 donne au roi Charles VI la possibilité de donner une pension « à ceux qui bien et longuement l’auraient servi ». - 1673. Colbert institue une pension de retraite pour la marine militaire. - 1698. Régime de retraite de l’Opéra de Paris. - 1768. Les fermiers généraux créent un régime créent un régime de retraite conçu sur un système de cotisations. - 1790. L’Assemblée constituante consacre, par la loi des 3-22 août 1790, le droit des fonctionnaires publics à une pension de retraite. Le financement étant peu assuré, le système n’entre guère en application. - 1806. Régime de retraite de la Banque de France. - 1812. Régime de retraite de la Comédie française. - 1831. Loi du 11 avril 1831 installant le régime des retraites militaires. - 1850. La loi du 18 juin 1850, Louis Napoléon Bonaparte étant président de la République (le premier à porter ce titre), crée une caisse de retraite, à laquelle l’adhésion est « volontaire, spontanée et libre ». Il s’agit d’un système facultatif. La rente versée aux bénéficiaires est proportionnelle aux versements qu’ils ont accomplis. C’est la première loi (capitalisation) qui concerne les salariés du secteur privé. Les ouvriers, aux capacités d’épargne limitées, n’y souscrivent guère.
Le secteur public avant le secteur privé
- 1853. La loi du 9 juin 1853 (Louis Napoléon Bonaparte est devenu empereur) unifie les pensions des fonctionnaires civils et organise un régime de pension par répartition financé et géré par l’Etat. Les fonctionnaires de l’Etat étant seuls concernés, des régimes spéciaux assurent une retraite à d’autres catégories : Banque de France, Opéra, Comédie française, etc.
Cette loi établit des règles qui organisent aujourd’hui encore le régime de retraites des fonctionnaires civils, notamment la pension de reversion. - 1855. Régime de retraite des chemins de fer. - 1886. La loi du 20 juillet 1886 modifie la loi du 18 juin 1850, notamment en ce qui concerne l’âge d’entrée en jouissance. L’âge postquem est maintenu - 50 ans - et un âge antequem est fixé : 65 ans. - 1894. Régime de retraite des mineurs. - 1909. Régime unifié des retraites des cheminots.
1910 : les retraites ouvrières et paysannes
- 1910. Si un premier projet de loi sur les retraites est proposé par le député Martin Nadaud et si Alexandre Millerand est l’instigateur en 1900 d’un nouveau projet, c’est la loi du 5 avril 1910 qui installe un système de retraite obligatoire pour les salariés.
Le régime des retraites ouvrières et paysannes (ROP) est un système de retraite par capitalisation. Il est financé par des cotisations prélevées sur le salaire de l’assuré, doublées par un versement égal de l’employeur et abondant un compte individuel.
La loi fixe à 65 ans l’âge d’entrée en jouissance de la retraite.
Cette disposition et la loi en son ensemble font l’objet de vives critiques, venant de tous bords : la droite, le monde paysan, le patronat (qui dénonce le coût de la mesure et « l’invitation à la paresse » qu’elle constitue), l’Eglise et même la CGT, qui dénonce une « retraite pour les morts ». A l’âge de 65 ans, affirme la CGT, l’espérance de vie étant peu élevée, le nombre de bénéficiaires ne pourrait être que faible. Les pensions versées apparaissent, de surcroît, très modiques (voir Les Etudes sociales et syndicales du 18 août 2003 : [« Quand la CGT s’opposait aux retraites »->art139]).
Début 1912, un constat est établi. Si près de 7,5 millions de travailleurs auraient pu bénéficier de cette loi, ils ne furent en réalité que 2,65 millions à en profiter car 4,8 millions de personnes n’avaient versé aucune cotisation.
- 1912. la loi du 27 février 1912 donne satisfaction à la revendication syndicale, en abaissant à 60 ans l’âge auquel on peut faire valoir ses droits.
Le système vit difficilement. La première guerre mondiale lui porte un coup fatal, l’inflation ayant érodé l’épargne constituée. Le principe de la capitalisation montre ici ses limites.
- En 1919, l’Alsace et la Lorraine redeviennent françaises, après quelque cinquante ans sous domination allemande. Les assurances sociales créées par Bismarck entre 1883 et 1889 en Allemagne y sont donc en œuvre. Ce système, financé par des cotisations sur les salaires, garantit un revenu en proportion du revenu tiré de l’activité professionnelle. Il inspirera de très nombreux pays, en Europe et dans le monde. Mais la France tarde à l’utiliser. - 1924. Le système de pension des fonctionnaires est réformé. Un régime commun aux civils et aux militaires est instauré. Le taux de reversion est amélioré (il passe à 50%) et des mesures natalistes sont installées : bonification pour enfants pour les femmes fonctionnaires, retraite anticipée pour les mères de trois enfants, majoration de pension pour les fonctionnaires ayant élevé trois enfants.
1928-1930 : les assurances sociales
- 1928. En 1920, Alexandre Millerand, devenu président de la République charge son ministre du travail, Paul Jourdain, de préparer un projet s’inspirant des méthodes en pratique en Alsace-Lorraine. En 1921, un projet de loi sur les assurances sociales est déposé par le ministre du travail, Charles Daniel-Vincent. Voté à la Chambre des députés (aujourd’hui Assemblée nationale) en avril 1924, le texte n’est discuté au Sénat que trois ans plus tard, en juin 1927. La loi n’est définitivement votée que le 14 mars 1928 et promulguée le 5 avril.
Ainsi sont créées les assurances sociales, par une loi promulguée dix-huit ans jour pour jour après celle des ROP en 1910. Là encore, les oppositions à la loi sont nombreuses et diverses : patronat, agriculteurs, médecins, mutualistes. En revanche, la CGT et la CFTC s’y montrent favorables.
La loi du 5 avril 1928 assure le financement de la maladie, de la maternité et du décès par répartition ; de l’invalidité et de la vieillesse par répartition.
Concernant la retraite, chaque assuré possède un compte individuel. Si, après trente années de versements capitalisés, les intérêts produits ne permettent pas de verser une pension égale à 40% du salaire annuel moyen, un Fonds de majoration et de solidarité assure le complément. Ce dispositif s’applique aux assurés pouvant justifier à l’âge de 60 ans et jusqu’à 65 ans d’au moins trente années entières de versements. Un départ anticipé à 55 ans avec des droits minorés est possible, à la condition d’avoir cotisé pendant au moins vingt-cinq ans.
Deux lois complètent la loi du 5 avril 1928, les 5 août 1929 et 30 avril 1930.
Le système est destiné à lutter contre la pauvreté et ne concerne que les salariés du secteur privé dont les revenus se situent en dessous d’un plafond.
La pension pleine demandant trente années de cotisations, la loi ne pouvait atteindre son plein effet qu’en 1960. Le nombre de salariés concernés est donc faible au départ. L’inflation des années 1930 montre, une fois encore, les limites de la retraite par capitalisation.
1941 : la retraite par répartition
- 1941. Les difficultés financières du système conduisent à l’abandon du principe de capitalisation au profit du principe de répartition, tout en permettant aux bénéficiaires de conserver les rentes acquises jusque-là.
La loi du 14 mars 1941 invoque ce que l’on a appelé depuis la solidarité entre les générations, en créant une allocation spéciale destinée aux vieux travailleurs salariés : « Les plus jeunes assujettis au régime de prévoyance obligatoire servent en quelque sorte une allocation à leurs aînés frappés par la vieillesse et par la misère ».
Cette allocation permet aux salariés âgés d’au moins 65 ans et disposant de ressources inférieures à un certain montant, de percevoir un niveau minimum de pension.
Lorsque la Sécurité sociale est créée en 1945, sur la base du programme du Conseil national de la Résistance, la logique de la répartition est confirmée. Une grande conquête sociale est acquise.
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