Des conflits de tendance accentués par les faiblesses d'organisation et par les particularismes professionnels gênent les projets de Nicole Notat.
Le dernier congrès de la CFDT, à Lille en décembre 1998, avait vu la déroute des opposants à la ligne réformiste et gestionnaire de Nicole Notat. Privés de toute représentation dans les instances de direction. Les tenants d’un syndicalisme d’affrontement, alors réunis dans la tendance "CFDT en lutte", décidaient quelques semaines plus tard de renoncer à maintenir leur tendance organisée au sein de la centrale, promettant toutefois "de continuer la lutte par d’autres moyens". S’en était suivie une année de relatif apaisement du climat interne. Mais avec l’an 2000, les tensions resurgissaient. Ainsi, à l’ANPE nombre d’adhérents CFDT firent publiquement connaître leur opposition à la nouvelle convention de l’Assurance-chômage signée par leur centrale. Ils devaient d’ailleurs quitter la CFDT peu après, créant le syndicat SNU-ANPE, lequel vient de signer une convention d’association avec la FSU. Au sein de la nouvelle fédération Chimie-énergie, certains, comme les représentants d’EDF-GDF, commencèrent de leur côté à clamer haut et fort leur désenchantement de voir leur spécificité insuffisamment prise en compte dans ce nouvel ensemble. Entre temps, des syndicalistes du commerce parisien quittaient bruyamment la CFDT et se cherchaient un point de chute à SUD. L’actualité sociale aidant, plusieurs foyers de discorde se sont exacerbés, si bien que la CFDT a franchi la cap du XXIe siècle avec en son sein un certain nombre de conflits ouverts. Ces dernières semaines des militants de la Caisse d’Epargne et de chez Michelin, ont quitté la CFDT pour rejoindre SUD et d’autres, à EDF, menacent d’en faire autant.
- Deux conceptions s’affrontent -
Comment comprendre ces nouveaux soubresauts internes de la centrale ? On peut les expliquer par la persistance au sein de la CFDT d’une opposition de tendances entre deux conceptions du syndicalisme : les uns voulant rester fidèles aux idéaux militants d’un syndicalisme d’affrontement à connotation autogestionnaire, les autres acquis à un syndicalisme plus pragmatique, réformiste et simplement acteur, gestionnaire ou cogestionnaire, des changements sociaux ou sociétaux.
Nicole Notat est, de ce fait, assurée, dans les temps à venir, de perdre à nouveau des équipes CFDT, déçues par l’évolution actuelle de la confédération et désireuses de pratiquer un syndicalisme de rupture. Dans l’espace syndical, politique et associatif qui se développe actuellement "à gauche de la gauche", ces équipes militantes trouvent un ancrage possible chez SUD.
A l’évidence, la secrétaire générale de la CFDT sait ce qu’elle fait. La rupture avec ces militants ne l’inquiète guère, dans la mesure où cette rupture lui permet de développer dans l’opinion publique et dans les milieux patronaux une image susceptible de lui attirer un nouvel auditoire, que l’on pourrait qualifier de "centriste" (si l’on pouvait user d’un vocabulaire politique), numériquement plus important. Interrogée sur le départ de militants CFDT des Caisses d’Epargne vers SUD, Nicole Notat le dit clairement : " Il ne s’agit de rien de plus que d’un reclassement naturel dans le paysage syndical français d’une sensibilité interne de la fédération des banques." (Entretien aux Echos 29 janvier 2001).
Le pari est intelligent ; il n’est pas sans risque. Se débarrasser de son électorat de la gauche extrême pour gagner celui du centre ou du centre droit (tout en gardant la CFDT dans une ligne socialiste) est une entreprise à la hauteur des ambitions et des capacités de Nicole Notat. Mais il lui faut, pour gagner de nouveaux volumes d’audience et d’adhésion, compter avec l’inconnue du temps nécessaire à la réussite de l’opération. Ce nouvel électorat est aujourd’hui en partie tourné vers d’autres confédérations : la CFE-CGC, la CFTC, voire pour partie Force ouvrière. Il importe donc à la CFDT de gagner cet électorat par la vitesse :
en comptant sur les difficultés de ces trois confédérations à s’adapter dans les délais,
en développant avec elles des relations suffisamment correctes pour ne pas provoquer des réactions brutales. On appréciera ainsi le jeu subtil de la CFDT dans le dossier des retraites, qui aura consisté à être l’interlocuteur véritable du MEDEF sans jamais se couper des autres confédérations,
en préparant activement les prochaines élections prud’homales de décembre 2002 pour confirmer la tendance du scrutin de 1997 qui avait vu un début de recouvrement de l’électorat CGC et CFTC par la CFDT.
- Des CFDT et non pas une CFDT -
Mais cette explication des dissensions internes à la CFDT n’est pas suffisante. Une deuxième raison tient à la façon dont est vécue l’action syndicale à la CFDT. Loin d’être véritablement une organisation (ce qu’est la CGT, ou même Force ouvrière), avec ses structures, sa discipline interne, son sens de la hiérarchie militante, la CFDT se présente plutôt comme un mouvement, c’est-à-dire un ensemble d’équipes aux projets et aux pratiques diverses et même hétérogènes. La cohésion, la discipline ne sont pas de mise ; elles apparaissent même suspectes à des militants formés à une conception post-autogestionnaire des relations sociales. Jacky Bontems, le secrétaire général adjoint de la CFDT (et, à ce titre, le numéro deux de la confédération) chargé de l’organisation, se trouve bien souvent en lutte aux Pénélopes de la CFDT qui défont sans cesse un jour ce que l’équipe confédérale s’est efforcée de construire la veille. Ce comportement déstructurant n’est pas forcement conscient et voulu. Il est un peu dans la nature du militant de la CFDT, à la fois sincère, séduisant et instable. Parce qu’il n’y a pas une CFDT mais des CFDT, dans le temps comme dans l’espace, le glissement d’électorat est une opération délicate.
- Particularismes professionnels -
Une troisième explication aux difficultés internes tient à la résistance au changement qu’expriment certaines catégories professionnelles (certaines corporations, pour reprendre un terme syndical ancien) de la confédération pour protéger leur spécificité syndicale professionnelle. La CFDT s’est, en effet, lancée il y a plusieurs années, dans une politique de regroupement de ses fédérations professionnelles. Objectif : se doter de structures militantes en phase avec les nouveaux champs professionnels du monde du travail et avec les évolutions constatées dans le périmètre des branches d’activités. Les autres confédérations sont également tentées par une telle réforme de leur organisation interne. Mais, à l’exception de la CFTC, elles ne sont guère allées très loin dans la mise en oeuvre de ce projet.
La CFDT, en avance dans ce domaine, fait aujourd’hui l’expérience de la difficulté à faire cohabiter ensemble dans une fédération regroupant de nombreuses professions, des syndicalismes de métiers longtemps différents. Marqués chacun par une histoire, une culture et une identité professionnelle forte, - quand ce ne sont pas par d’importants particularismes d’entreprise, comme pour le syndicat de chez Michelin au sein de la fédération chimie-énergie, ou celui de la Caisse d’Epargne au sein de la fédération des banques -, il est très difficile à ces syndicats d’harmoniser leurs objectifs, leurs revendications, voire leurs méthodes d’action et à se fondre dans une même ligne fédérale. Ainsi s’explique pour l’essentiel la réticence des électriciens-gaziers CFDT à faire aboutir la fusion de leurs équipes avec celles des chimistes CFDT. Les militants CFDT, comme nombre de militants d’autres confédérations, ne sont guère prêts à vivre dans des familles professionnelles trop vite recomposées.
La volonté de Nicole Notat de poursuivre l’évolution de la CFDT n’apparaît guère contrariée par l’opposition de militants qui agissent à contresens. Mais conjuguée à d’autres facteurs, cette opposition freine le mouvement. Or c’est dans le choix de la vitesse de réalisation de son projet que Nicole Notat peut espérer conserver la CFDT en équilibre et sur une trajectoire de développement.
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