En vingt-cinq ans, la France a multiplié par cinq sa dette publique. Les rapports de Michel Pébereau et les autres experts dressent des perspectives inquiétantes pour les générations futures. André Bergeron, ancien secrétaire général de la CGT-Force ouvrière, livre son commentaire.
J’ai déjà évoqué le drame de la dérive des finances de l’Etat. Le terme n’est pas excessif, étant donné ce qui en résulte non seulement dans l’immédiat mais pour les générations à venir.
M. Laurent Wauquiez, député UMP de la Haute Loire, ne peut être soupçonné de parti-pris étant donné qu’il appartient à la majorité politique actuelle. La déclaration évoquée par « Le Monde » du 21 décembre n’en revêt que plus d’importance.
Laurent Wauquiez commence par rappeler que, selon le rapport de Michel Pébereau, la dette publique de la France se monte à 2 000 milliards d’euros. Mais, étonnamment, nous faisons comme si cette question ne concernait que la génération actuelle, libre de décider de l’opportunité et du rythme d’un éventuel retour à l’équilibre budgétaire. Nous feignons d’oublier qu’il s’agit d’abord d’une équité entre générations. M. Laurent Wauquiez souligne qu’en 1967 le budget de la France était équilibré. Les comptes sociaux étaient excédentaires. Les premiers déficits sont apparus dans les régimes de la Sécurité sociale et presque tous les systèmes de protection sociale collective sont passés au rouge.
Depuis 20 ans, nous dépensons, année après année, 20% de plus que ce que le pays gagne. Les seuls intérêts de la dette - 45 milliards d’euros - représentent la deuxième dépense de l’Etat, juste derrière l’éducation nationale, mais loin devant la recherche. Les dépenses d’investissement se sont réduites dramatiquement. Par exemple, la construction du viaduc de Millau n’a été possible que par le biais d’une concession privée.
Chaque enfant qui naît reçoit dans son berceau une enveloppe de 17 000 euros de dette !...
La France n’en finit pas de solder un passé de facilité budgétaire et ne prépare que fort peu l’avenir.
Or, chaque enfant qui naît reçoit dans son berceau une enveloppe de 17 000 euros de dette. Les enjeux de protection sociale sont tout aussi importants. En matière de retraite, l’Etat ne provisionne pas les retraites de ses fonctionnaires. Rien n’est donc mis de côté pour les financer. Or, on estime qu’il s’agit de 900 milliards d’euros. A la veille de l’arrivée à la retraite de la génération 1968, le fardeau risque d’être lourd. S’agissant de l’assurance maladie nous nous satisfaisons d’un déficit de 11 milliards d’euros.
Comme le souligne le rapport Pébereau, l’intérêt de parler de l’ensemble de la dette c’est de montrer aux Français l’ampleur de ce qu’il faut payer aujourd’hui et de ce qu’ils devront payer demain si aucune réforme n’est décidée. A un détail près, ce n’est pas la même génération.
Trois mille milliards ?
M. Pascal Gobry, est membre de l’Institut des actuaires français et a été administrateur de l’INSEE. Il brosse un tableau plus noir encore. Selon lui, les calculs effectués par la Commission Pébereau sous-estiment gravement les engagements de l’Etat. La dette n’est pas de 2 000 milliards, mais plus sûrement proche de 3 000, soit pratiquement 200 pour cent du produit extérieur brut.
En effet, l’Etat fait des calculs copiés sur le secteur privé. Seulement le privé, lui, à partir de ses calculs, constitue les réserves qu’il met en face de ses engagements. Or, l’Etat fait des calculs très minorés, mais ne constitue aucune réserve.
Il fait simplement voter par le Parlement un budget pour honorer la charge courante des retraites mais fait comme s’il ne devait jamais avoir à payer les salaires et les retraites des années suivantes.
Il n’y a aucune fatalité
Michel Pébereau estime qu’il n’y a aucune fatalité. En l’espace de 25 ans, nous avons multiplié par cinq notre dette publique. Désormais, nous consacrons aux intérêts de la dette l’intégralité du produit sur l’impôt sur le revenu. Et, à côté de cette dette, l’Etat devra payer les retraites de ses agents.
Nos administrations sont en déficit, chaque année, depuis un quart de siècle. Cette situation financière s’explique par le choix constant de la facilité.
Depuis 25 ans, nous avons sans cesse financé une partie de nos dépenses publiques par endettement.
En conclusion la Commission Pébereau préconise que toute annonce de dépenses nouvelles s’accompagne systématiquement d’une réduction équivalente qui permette de la financer.
J’ai bien connu Raymond Barre à l’époque où il était premier ministre, de 1976 à 1981. M. Raymond Barre n’a cessé, depuis des années, de mettre en garde l’opinion contre la dérive de la politique financière des gouvernements.
Dans une interview au « Point », il souligne que c’est notamment une des conséquences de la loi sur les 35 heures (que de surcroît personne ne demandait), de l’augmentation excessive du nombre des fonctionnaires et du déséquilibre des systèmes de sécurité sociale.
Enfin, les gouvernements tout en donnant priorité à l’emploi, n’ont rien décidé qui aurait permis une baisse du chômage.
Raymond Barre donne acte à l’actuel ministre de l’économie et des finances qu’il a eu le courage de dire que la France vivait au-dessus de ses moyens et, surtout, de confier à la commission Pébereau la charge d’étudier les moyens de redresser les finances publiques.
Cela dit l’ancien premier ministre espère que le rapport Pébereau n’aura pas le même sort que celui qui fut réservé à l’excellent rapport Camdessus qui, lui aussi, préconisait un sursaut et qui a fini dans un tiroir.
Et M. Barre conclut son interview au « Point » : « En cette période de repentance, ne convient-il pas que les dirigeants politiques qui ont permis la dégradation des finances françaises fassent un acte public de « repentance » ? ».
A mon avis, ce n’est pas demain la veille !
A lire aussi, les autres articles d’André Bergeron parus dans« Les Etudes sociales et syndicales »
« Bernard Thibault : renvoi à la case départ » : 11 mars 2005
« Assurance-chômage : le récit d’André Bergeron » : 6 mai 2004
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