En matière de paiement du salaire, l'employeur est cru sur son affirmation. Et c'est au salarié qu'incombe la charge de la preuve. C'est l'article 1781 du Code civil qui le disait, jusqu'en 1868, année de sa suppression.
Notre Code du travail, dont le livre premier fut promulgué le 30 décembre 1910, est né trop tard pour avoir gardé trace de l’article qui, dans le Code civil de 1804, suivait immédiatement, sous le numéro 1781, celui qui empêchait l’ouvrier d’engager ses services autrement qu’à temps ou pour une entreprise déterminée. Un article 1781 qui fait scandale aujourd’hui à la lecture et qui le fit très tôt au cours du XIXe siècle, tant il paraissait« frapper tous les travailleurs d’infériorité morale », comme le déclara en 1868 à un ministre de Napoléon III, l’un des délégués des commissions ouvrières qui allèrent présenter leurs revendications au gouvernement de l’Empereur.
« 1781. Le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire de l’année échue et pour les à comptes donnés pour l’année courante ».
Quoi de plus choquant, alors que l’on vient de proclamer l’égalité des individus, que cette supériorité à priori reconnue au maître en fait de bonne foi. C’est lui qui dit vrai et le salarié qui réclame ou bien se trompe ou bien ment.
A la vérité, le législateur avait essayé de tourner tant bien que mal un obstacle majeur : l’analphabétisme à peu près universel des ouvriers et des domestiques, ceux-ci alors plus nombreux que ceux-là et qui se trouvaient concernés encore plus qu’eux. Il n’était pas possible de mettre par écrit un contrat que l’une des parties n’aurait pu lire et qu’elle n’aurait su signer que d’une croix. Et où trouver des témoins valables des engagements pris de part et d’autre, ces témoins étant liés au maître par des liens de parenté - les membres de sa famille - ou de service, ses autres employés. C’était parole contre parole et le juge eut été incapable de trancher.
D’où cette supériorité qui tant nous choque accordée à la parole du patron, comme on commençait à dire en ce temps-là, alors que le dit patron, bien qu’il fut si l’on peut dire plus en vue que son salarié, et plus que celui-ci retenu par la crainte de l’opinion, de la censure publique, pourrait lui aussi croire qu’il avait intérêt à tricher sur ses engagements.
Les abus durent être nombreux, mais moins peut-être qu’on pourrait le croire, si l’on se reporte à l’entretien déjà évoqué qu’une délégation des commissions ouvrières à l’exposition eut, à la demande de l’Empereur, avec le ministre du Commerce et des Travaux publics.
Celui-ci qui connaissait fort bien la question pour être intervenu à son sujet au Sénat, demanda familièrement à ses interlocuteurs si vraiment cet article 1781 du Code civil causait de grands dommages aux ouvriers. Eugène Tarteret, ouvrier ébéniste (1820-1821), qui portait la parole au nom de la délégation, lui répondit que non, mais qu’en la matière« la question matérielle passait après la question morale ».
C’était parfaitement dit, car c’était de dignité qu’il était question et, dans ces temps héroïques du mouvement syndical qui s’essayait à naître, c’était de considération morale plutôt que de gros sous qu’il s’agissait.
A la suite de cette démarche, Napoléon III abolit l’article 1781, par une loi du 2 août 1868.
Ainsi, des deux articles consacrés aux ouvriers il y a deux siècles, l’un (article 1781) a été abrogé mais l’autre (article 1780) figure toujours dans le Code du travail.
A lire
- Code civil, édition du bicentenaire, accompagnée d’une reproduction du « Code civil des Français » de 1804. Editions LITEC.
- L’édition de 1804, téléchargeable sur le site de la Bibliothèque nationale :http://gallica.bnf.fr/
- « Naissance du Code civil ». Travaux préparatoires du Code civil. Extraits présentés par François EWALD. Flammarion, 1989, réédition 2004.
- « L’impossible Code civil », par Jean-Louis HALPERIN. PUF, 1992.
- Revue « Pouvoirs », n°107.
A voir
- Les commémorations :http://www.bicentenaireducodecivil.fr
- L’exposition à l’Assemblée nationale, du 12 mars au 15 mai 2004 : « 200 ans de code civil. Des lois qui nous rassemblent ».
A expédier
- Le timbre « Bicentenaire du Code civil », au format horizontal 35 x 22 mm, mis en vente le 15 mars, au prix de 0,50 €.
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