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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Les évolutions du syndicalisme CGT à EDF

Le 13 octobre prochain s'ouvre à Biarritz le congrès de la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT. Outre le remplacement de Denis COHEN, secrétaire général sortant, ce congrès permettra de mesurer les évolutions internes à la première des fédérations de la CGT. Le récent livre de Denis COHEN met en lumière ces évolutions.


Denis Cohen dirige la fédération des mines et de l’énergie de la CGT depuis 1989. Cette fédération, qui couvre principalement EDF-GDF, est actuellement la première organisation de la CGT (avec, officiellement, 79 318 adhérents en 2001). Mais elle connaît un reflux de ses effectifs, notamment du fait de la fermeture des mines. Denis Cohen est également membre du conseil national du PCF (ex-comité central) depuis 1996. A 51 ans, il a annoncé qu’il quittera le secrétariat général de la fédération des mines et de l’énergie à l’occasion de son congrès d’octobre 2003. Des divisions internes sont apparues au grand jour lors de la victoire du « non » au référendum du 9 janvier 2003, concernant les personnels d’EDF-GDF, et relatif à l’accord pour « refonder le financement du régime spécial de retraite des industries électriques et gazières ». Denis Cohen s’était déclaré favorable à la réforme mais, à la base, nombre de militants de la CGT ont fait campagne contre celle-ci. Dès le 10 janvier 2003, lors d’un conseil général de la fédération (inter-congrès), Denis Cohen remettait en jeu son mandat et obtenait un vote de confiance de la part de 80% des délégués des syndicats. En mai 2003, il publiait aux éditions Le cherche midi, avec Pascal Pogam, journaliste à La Tribune, un livre d’entretien : Pour un syndicalisme durable. Livre bilan et militant, celui-ci fait le point sur les évolutions de la CGT dans le secteur énergétique depuis une vingtaine d’années ainsi que sur les enjeux pour l’avenir. En voici quelques grandes lignes directrices, autour de la double « mutation » de la CGT et d’EDF-GDF.


- CGT : renouer avec les réalités et avec les salariés -


Denis Cohen témoigne d’un certain nombre d’erreurs de la CGT au sein d’EDF-GDF, notamment lors de mouvements sociaux de 1987 puis de l’hiver 1995-96, le refus de signer l’accord sur l’intéressement (1987), le recours juridique contre les 32 heures (1997).


La nécessité d’un tournant se serait imposée en 1996 (même si, dans les faits, celui-ci est surtout perceptible à partir de 1999, après qu’une partie du personnel d’EDF eut exprimé son mécontentement à l’égard de la fédération syndicale qui a obtenu l’annulation de l’accord sur les 32 heures). Entre 1996 et 1999, Denis Cohen aurait donc pris conscience que la CGT menait de longues batailles « pour rien » - comme il dit ’, que « la lutte pour la lutte » conduisait dans une impasse. En fiat, le syndicat doit renoncer à tout « dogmatisme », formuler des revendications plus précises. De même, il doit établir un véritable dialogue avec le personnel, se transformer en « place de village dans l’entreprise » et d’ajouter encore : « Un syndicat, aussi puissant soit-il, ne peut avoir raison contre le personnel ». De fait la « claque » de l’annulation des 32 heures ’ selon le terme du dirigeant fédéral ’ a été comme un révélateur. La CGT ne semblait plus répondre aux demandes de débats internes, formulées notamment par les nouveaux embauchés et, de surcroît, « se blindait et s’accrochait à sa culture du non ». Sans parler des luttes au sein de l’appareil syndical qui mobilisaient ’ et continuent d’absorber semble-t-il ’ bien des énergies syndicales. Tout cela explique qu’« il arrive que des analyses faites au niveau syndical soient totalement déconnectées du réel. Il nous arrive de déraper parce que nous vivons dans une sorte de bulle ». D’où la nécessité de changement et, en particulier, la conversion à la négociation.


- La conversion à la négociation mais... -


Denis Cohen développe que la concurrence avec la CFDT a été finalement bénéfique pour faire évoluer la CGT et même aboutir à un « virage à 180° » de sa stratégie. La CFDT ’ écrit le dirigeant syndical ’ « nous a appris le réformisme, au bon sens du terme. Elle nous a également appris à bosser sérieusement les dossiers. Bref, elle nous a appris à évoluer. Auparavant, les rôles étaient parfaitement définis entre nous : en gros la CGT disait non à tout et laissait les « traîtres » de la CFDT signer ! » Après des revers de fortune, « la « cégète » a compris la nécessité de changer. Le syndicalisme, c’est la lutte, mais c’est aussi la négociation et l’écoute des autres ».


Cette évolution a été également rendue possible par les bons rapports qui lient le secrétaire général de la fédération CGT au président nommé à la tête d’EDF en 1998, François Roussely. Denis Cohen ne tarit pas d’éloges à son égard : « Le courant passe bien [avec lui]. J’apprécie son travail et sa rigueur. A sa façon cet homme a le sens de l’intérêt général (...). Il a aussi une réelle vision stratégique. On la partage ou pas, mais dans le paysage des quinze dernières années, il faut reconnaître que personne n’a eu une telle stature à la tête d’EDF ». Denis Cohen admet toutefois quelques défauts : « il n’écoute pas ce qu’on lui dit [citant, au passage l’affaire de la Montédison, en 2001. En outre, « il n’a pas du tout intégré le management intermédiaire, ce qui fait de lui quelqu’un d’assez autoritaire ». Mais Denis Cohen demeure lui-même critique à l’égard du management : « pour beaucoup de nos cadres dirigeants, le personnel reste un ennemi ». Cela signifie-t-il que la page du syndicalisme de classe ne serait pas tout à fait tournée ?


- Adapter les structures syndicales -


Le secrétaire général de la fédération de l’énergie indique encore que les structures de la CGT renvoient à un lointain passé industriel et ne collent plus aux réalités de l’économie actuelle. Ainsi, dans certains secteurs ’ tels les services marchands ’ il faut réunir de nombreuses fédérations de la CGT, aux cultures distinctes, sinon jalouses de leurs prérogatives, pour faire face à l’employeur. Cette division affaiblit évidemment l’interlocuteur syndical.



Dans le même ordre d’idées, Denis Cohen appelle les syndicats à sortir de corporatismes trop étroits. Ce faisant, il tente de répliquer aux reproches adressés de façon récurrente aux syndicats d’EDF, qui seraient avant tout les défenseurs d’égoïsmes professionnels (il reprend l’expression). La dotation dont bénéficient les centres de vacances du CCAS, qui restent fermés aux « gamins du voisinage » (écrit Denis Cohen), les différences de statut entre le personnel EDF et le personnel sous-traitant, nombreux dans les centrales nucléaire, posent ’ entre autres ’ un cas de conscience au dirigeant de la CGT d’EDF, lequel prône par ailleurs la solidarité avec les pays du sud. Mais quelle solidarité met en œuvre la CGT avec ces sous-traitants ou avec ces « gamins du voisinage » ? Denis Cohen pose la question sans y répondre clairement. Concernant les personnels sous-traitants, il déplore que ceux-ci perçoivent la CGT comme étant du côté du management et prône la mise en place de syndicats multi-professionnels qui associeraient le personnel « à statut » et le personnel sous-traitant.


- Le syndicalisme hors les frontières -


Le syndicalisme doit également affirmer ses dimensions européenne et internationale. Ce discours n’est pas sans traduire une certaine nostalgie avec l’internationalisme ouvrier d’antan, voire le monde d’avant la chute du mur de Berlin, parce que l’effondrement de la FSM [Fédération syndicale mondiale, liée à l’URSS] qui s’en est suivi a laissé le champ libre à la CISL [Confédération internationale des syndicats libres, groupant depuis 1949 les principaux syndicats du camp occidental]. Selon Denis Cohen, il s’agit donc d’inventer un nouveau syndicalisme mondial, liant effectivement les intérêts des pays du nord à ceux des pays du sud, faisant « émerger un socle commun de garanties et de droits ». Les questions d’éthique, la « bataille pour la réputation » des entreprises transnationales se trouvent au cœur de ce nouveau militantisme.


Concernant l’action syndicale au plan européen, beaucoup reste à faire : « On est encore loin d’un syndicalisme européen. Tout est à construire.... Deux obstacles majeurs se dressent sur notre chemin : le premier est lié aux organisations elles-mêmes, qui sont structurées sur des bases nationales. Beaucoup d’entre nous ont du mal à appréhender les questions transnationales. Le second tient à nos cultures-maison. Il faut bien le reconnaître : l’attachement à nos entreprises respectives rend souvent nos intérêts divergents d’un pays à l’autre. »


- Syndicalisme et politique -


Denis Cohen rappelle son engagement politique au sein du Parti communiste, auquel il a adhéré en 1974, le même jour qu’à la CGT. Il revient sur son soutien à la « mutation » de ce parti, engagée par Robert Hue en 1995. Il rappelle sa participation à la liste « Bouge l’Europe » conduite par ce dernier lors des élections européennes de 1999. Mais il convient que « jusque là... nous nous sommes plantés. Mais il ne faut pas baisser les bras... Les déconvenues récentes ne doivent pas occulter tout ce qu’a pu apporter le communisme depuis ses origines... ». Mais le sens des pointillés n’est pas précisé. Plus largement, Denis Cohen indique les liens privilégiés qu’il entretient avec de nombreux élus. Cela lui semble nécessaire pour faire aboutir l’action syndicale, le syndicalisme jouant en d’autres termes un rôle de lobby. Il observe au passage que « pour un syndicaliste, il est parfois plus facile de discuter avec des gens de droite qu’avec des gens de gauche ».


Fidèle au PCF, Denis Cohen se montre critique à l’égard des mouvements alter-mondialistes, auxquels il reproche un militantisme de type soixante-huitard et sur-médiatisé. Ces modes d’action lui paraissent manquer d’implantation dans la population mais aussi de débouchés concrets.


Il se montre tout aussi sceptique à l’égard du développement de SUD au sein d’EDF. Il évoque un syndicalisme « à l’ancienne ». Cela vaut également pour FO, qu’il assimile à « la CGT d’avant-guerre », au « poujadisme », qui se nourrit des angoisses mais n’apporte pas de réponses aux questions actuelles.


Au sein de la fédération CGT de l’énergie, Denis Cohen admet devoir cohabiter avec des minoritaires trotskistes, encartés à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ou au Parti des travailleurs (PT) qui, selon lui, représenteraient 15 à 20% des mandats et une dizaine de syndicats CGT de base sur 400.


- EDF : ouverture du capital et libéralisation du marché de l’énergie -


Par principe, le secrétaire général de électriciens et gaziers de la CGT se déclare hostile à l’ouverture du capital d’EDF-GDF. Cela serait synonyme de « recul social ». Il observe également que partout où le marché de l’énergie a été complètement libéralisé, « les structures énergétiques existantes ont été détruites, et remplacées par des nouvelles d’organisations moins performantes ».


Pour autant, Denis Cohen se dit partisan d’une évolution du statut d’EDF. Produit d’un modèle monopolistique, il se déclare prêt à « penser les choses autrement ». Mais cet autre futur demeure relativement vague : « il y a une forme d’organisation à inventer, conciliant la performance économique chère à l’actionnaire, les garanties collectives chères aux salariés et l’égalité de traitement chère aux clients ». Ce projet le conduit à regarder avec intérêt ce qui se passe du côté d’Air France. De même, Denis Cohen ne rejette pas l’introduction en bourse des activités internationales d’EDF.


Le responsable syndical entend d’abord défendre la notion de « service public » de l’énergie. Il souligne le lien existant entre électrification, aménagement du territoire, recherche, que garantit le « modèle » EDF et que casserait une conception uniquement bâtie sur une relation entre client et entreprise. Cela le conduit à condamner la politique de libéralisation de l’énergie imposée par l’Union européenne qui, en l’occurrence, « se comporte... comme un rouleau compresseur, qui casse tout sans prendre la moindre précaution ». Plus concrètement, Denis Cohen rejette l’autonomisation de GDF et se dit « persuadé » qu’une fusion EDF-GDF « ferait moins de dégâts que la confrontation qui se prépare ». Selon lui, une entreprise unique transformerait un « optimum hexagonal en optimum européen ».


Denis Cohen formule encore le vœu d’une politique énergétique européenne mais, réaliste, se montre sceptique en la matière. Il concède que la déréglementation ’ qu’il rejette sur le plan financier ’ a un aspect tout de même positif : « l’obligation de créativité, d’intelligence, inhérente au changement de règles. Le choc peut générer du positif ».


Au total, le leader cégétiste cherche à démontre que la CGT, réceptive aux réalités économiques, est capable d’évolutions et entend être associées à celles-ci.


- Plaidoyer pour le nucléaire -


Le syndicalisme, énonce encore le leader de la CGT, se veut désormais sensible aux questions liées à l’environnement. Cependant il critique un « lobby vert » qui, à travers l’expérience gouvernementale de la gauche plurielle, « a pris le nucléaire en otage ».


Plus profondément, il déplore l’absence de politique quant à l’avenir de ce secteur et, plus particulièrement, regrette l’abandon du supergénérateur... « L’élan ne peut venir que de Chirac ». Et de développer : « en France, nous avons la chance de disposer d’un parc nucléaire performant, non polluant ». « Nos concitoyens doivent savoir que l’énergie nucléaire est devenue plus sûre, qu’elle ne produit pas de gaz à effet de serre, qu’elle assurerait l’indépendance énergétique de l’Europe ». Sans compter les 100 000 emplois de la filière, qu’il s’agit de défendre. Au passage, le leader syndical donne un coup de chapeau à ces salariés qui feraient à tort l’objet de suspicions (eu égard à la peur que susciterait le nucléaire).


En revanche, Denis Cohen dit son « opposition fondamentale à l’égard de l’éolien et de la cogénération »... parce que EDF est contraint d’acheter au prix fort ces énergies non viables économiquement. C’est même à un véritable « pillage » d’EDF auquel se livrerait les promoteurs de ces énergies nouvelles.


- Retour sur le référendum sur les retraites -


Denis Cohen s’efforce d’expliquer l’échec du référendum concernant la réforme des retraites, tentant d’en faire un « non événement ». La CGT s’est montrée divisée sur le sujet. Et d’expliquer que seuls les syndicalistes hostiles à l’accord ont en fait « arpenté le terrain » tandis que, « par atavisme, les partisans du texte évitaient de le dire trop fort ». Denis Cohen rappelle également que différents sondages avaient donné la victoire du « oui » et a donc cru à celle-ci. Mais cela ne confirme-t-il pas que la direction fédérale serait effectivement enfermée dans une « bulle », comme le dit d’ailleurs son secrétaire général ? « Dans l’isoloir, les gars se sont retrouvés face à leur peur » analyse le leader des électriciens et gaziers. A cela s’ajoute les explications insuffisantes de la CGT, une campagne trop courte, la pression des médias... Mais on ne trouve pas d’analyse de fond de la relation entre la CGT et les personnels, de la fragilité du tournant affiché... depuis 1996, des divisions internes.


Plus profondément, Denis Cohen demeure persuadé qu’« on ne peut pas s’accrocher à des garanties collectives ancestrales lorsque tout s’effondre autour de vous ». Or, en matière de retraites, « la profession ne pourra pas justifier longtemps un taux de cotisation salariale de 7,5% alors que celui du secteur privé avoisine 12% ».


Dans quelques jours, Frédéric Imbrecht devrait remplacer Denis Cohen à la tête de la fédération des mines et de l’énergie de la CGT.

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