Les mots nous permettent d'exprimer notre pensée. Eux-mêmes demandent à être définis, précisés tant leur sens est sujet à variation et à évolution. Comme Etienne de Montéty, les chroniqueurs spécialisés nous y aident.
Les mots que nous utilisons pour communiquer n’ont pas forcément le même sens pour tous. Les dictionnaires s’efforcent de nous fournir la définition des mots, de leur donner un contenu précis, commun à tous ceux qui les emploient. Ces définitions peuvent comporter plusieurs sens ou plusieurs degrés.
Particulièrement riche en mots, la langue française est une des langues les plus subtiles au monde. Pour cette raison, elle fut longtemps - et le demeure un peu - la langue des diplomates.
La langue française n’est pas immuable. Fort heureusement, elle évolue ; des mots nouveaux apparaissent, d’autres voient leur sens se transformer.
Dans les relations sociales et syndicales plus que dans d’autres sphères de la vie en société, les mots se trouvent porteurs de charges affectives importantes. Certains suscitent l’adhésion, la sympathie, d’autres le rejet, la méfiance.
Prenons l’exemple, très actuel, du mot compétitivité. Difficile à définir, objet de regards divergents sur sa nature et son contenu, ce mot est aujourd’hui en situation d’échec. La négociation compétitivité-emploi ouverte entre patronat et syndicats en février dernier s’est arrêtée en avril. Essentiellement par mésentente sur le sens donné au mot compétitivité et, à travers lui, au sujet à traiter. L’actuel gouvernement, soucieux de voir la réflexion avancer, invite les partenaires sociaux à ouvrir une négociation sur la sécurisation des parcours professionnels. A y regarder de plus près, le nouvel intitulé permettra de reprendre, en grande partie, la négociation précédente. L’angle d’approche et, surtout, l’intitulé a changé. Compétitivité était, pour les syndicats, un mot-rejet ; sécurisation est, pour eux, un mot-adhésion. La négociation va reprendre. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Pour nous aider à mieux être à l’écoute du sens des mots et de leurs variations, certains chroniqueurs livrent régulièrement un billet dans la presse écrite ou audio-visuelle. Ainsi, la chaine de télévision ARTE propose le dimanche soir l’émission Karambolage qui permet de rapprocher les mots du français et de l’allemand. Dans Valeurs actuelles, Philippe Barthelet rédige chaque semaine L’esprit des mots. Et dans Le Figaro, Etienne de Montéty produit chaque jourEncore un mot.
Bien évidemment, ces chroniques expriment elles aussi leur vision des choses ; celle du Figaro ne sera pas celle de Libération ou de Force ouvrière hebdo.
Nous publions ici, avec l’aimable autorisation de l’auteur, deux définitions qu’Etienne de Montéty a rédigées dans son tout récent recueil Encore un mot(Chiflet éditeur, 160 pages, 12,50 €) se rapportant à RTT et à Indignés.
B.V.
RTT [Er-té-té] n. f. Néologisme pour signifier son congé à son employeur.
Personne ne sait vraiment ce que veut dire l’abréviation RTT. Résistance au temps de travail ? Réticence temporaire à celui-ci ? On fait sûrement fausse route. Tout le monde sait que RPR signifie religion prétendue réformée (non ?) et PTT. Poste télégraphes et téléphones. Mais RTT ?
Si nombreux sont ceux qui ne savent pas traduire au pied de la lettre RTT, pas plus que HCL, beaucoup en revanche en connaissent l’esprit.
Grâce à l’art de la métonymie (à moins qu’on ne puisse parler de synecdoque), art pratiqué avec brio - quoique sans le savoir par les Français -, le mot RTT est utilisé pour exprimer ses conséquences : « Je suis en RTT » ou « II me reste dix jours de RTT ». En ancien français : j’aspire au repos.
Son usage fréquent dans les conversations atteste moins une propension de nos compatriotes à ne pas travailler qu’un goût singulier pour les acronymes. On pourrait faire une comptine de cette kyrielle, à la manière de marabout-bout de ficelle : « TVA, AVC, CSG, GPS, SAV, VGE, EPR, RTT etc. »
D’abréviation technique réservée au code du travail, ces trois initiales sont devenues un nom commun : « Change d’air, au lieu de t’entêter : prends une RTT », « Ote-toi de la tête de faire du VTT pendant tes RTT ». RTT s’est octroyé un statut noble, son nom chante aux oreilles contemporaines et rime avec Air liberté. RTT : Réintègre Ton Transat.
Indignés [in-di-gné] p. p. Groupe de gens qui considèrent la société comme indigne d’eux.
Les Indignés sont un mouvement informel qui dénonce la situation politique, économique et financière des pays occidentaux. L’indignation est un droit de l’homme vieux de quelques mois seulement. Elle a relégué Joan Baez, Dany Cohn-Bendit et Bernard Thibault au monde d’avant - d’avant Twitter. Les Indignés les tiennent pour de très vieux dignitaires du siècle dernier. Rebelles sans tête - sans meneur -, les Indignés vivent avec leur temps. Ils savent que « contestation », « protestation », « manifestation » sont des mots négatifs, agressifs, dont notre époque se défie. L’indignation, c’est autre chose. C’est une insigne dignité. L’indigné est blessé, en colère, et le fait savoir. Qui l’empêcherait de crier sa souffrance ? L’indignation est naturellement sans frontières. Les Indignés campent à Madrid sur la Puerta del Sol, à Athènes sur la place Syntagma, à Manhattan. Sur place, chaque indigné sympathise avec l’indigène qui a lui aussi des sujets d’indignation. On les partage, équitablement. L’Indigné a son petit livre rouge : Indignez-vous. L’auteur en est Stéphane Hessel, le Karl Marx de l’indignation. À Paris, il n’est pas nécessaire d’être indigné pour acheter ce bréviaire. C’est ensuite qu’on le devient, à cause de l’indigence du propos. Mais on le cache : admirer les Indignés est très bien vu dans un dîner en ville.
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