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Photo du rédacteurBernard Vivier

Lu pour vous : "Regards sur la France"

Les élections politiques vont installer aux postes de commande un nouveau président de la République, un nouveau gouvernement, une nouvelle Assemblée nationale. La conduite des affaires publiques exige un diagnostic de la société française actuelle. Pour établir ce regard sur nous-mêmes, l'appel à des spécialistes internationaux s'avère utile.


L’élection présidentielle et les élections législatives constituent, pour l’essentiel, un exercice de politique intérieure. Rendus prudents par les résultats du référendum sur l’Europe en 2005, les partis politiques et les candidats n’auront guère montré leur ardeur à parler d’abondance des questions européennes et internationales. C’est à peine si, en pleine campagne présidentielle, les cinquante ans du Traité de Rome - conclu en 1957 - ont fait l’objet de déclarations, de quelques articles de presse... et d’un timbre poste.



Cette prudence à situer le débat politique français dans le contexte international révèle t’elle une certaine inquiétude, voire un certain repli de notre pays sur lui-même ? Depuis la publication de différents ouvrages sur le déclin de la France (exemple : "La France qui tombe", par Nicolas Baverez, Perrin, 2003) et les réactions qui se sont exprimés depuis en sens opposé, les débats se sont développés sur les atouts et les faiblesses de notre pays.


Deux ouvrages viennent de paraître, qui procèdent de la même inspiration : demander à des observateurs étrangers de donner leur appréciation de la situation française. Le premier a été rédigé par quinze correspondants de presse étrangère : "Désirs de France : 15 regards étrangers sur la campagne" (Ed. Michalon, 200 pages, 2007). Le second livre "Regards sur la France" est plus solide encore et plus pénétrant. Sa confection a demandé plus de trois années de travail, permettant de faire converger le regard de trente spécialistes internationaux : anciens chefs d’Etat, économistes, chefs d’entreprise, historiens, experts, écrivains, etc. Les signatures sont nombreuses, de Vaclav Havel à Vladimir Fedorovski, de Bronislaw Geremek à Boutros Boutros-Ghali, ou encore de Klaus Schwab à Edward Saïd.


- La France n’est pas bloquée -


Dans leur introduction et leur conclusion, les deux directeurs de cet important ouvrage (648 pages), Karim Emile Bitar et Robert Fadel soulignent que"les retards de la France, s’ils existent, sont beaucoup moins importants que ne l’affirment les théoriciens du déclin". Mieux encore :"La France n’est pas bloquée". Excès d’optimisme ? Assurément pas. Les regards portés depuis l’étranger sur notre pays ne sont pas toujours tendres, même s’ils ne manquent pas d’humour, à l’image du journaliste canadien Louis-Bernard Robitaille sur "le grand secret : les Français et l’argent". Mais ces regards sont confiants :"Nous voyons dans cet ouvrage non seulement un vecteur pour faire passer au peuple français un certain nombre de messages venant de l’étranger, mais aussi un moyen de renforcer les liens, passionnels, parfois même charnels et fusionnels, entre la France et les francophiles du monde entier"affirme Karim Emile Bitar.

Concernant la situation sociale et la question des relations professionnelles, plusieurs contributions retiennent l’attention.

Celle de l’historien britannique Théodore Zeldin, auteur de la monumentale "Histoire des passions françaises 1848-1945" (Payot, 2003) appelle à repenser le travail à l’ère des services et du secteur tertiaire, à considérer davantage le travail manuel et à"adapter le marché de l’emploi à la flexibilité que recherchent les jeunes".


- La force de l’Etat-providence -


Son observation sur"le luxueux système de protection sociale"est reprise et développée par Jonah Levy, professeur de sciences politiques à Berkeley, qui rappelle que"la France a longtemps été tenue, avec le Japon, pour l’archétype de l’économie dirigée par l’Etat". Les initiatives de l’Etat en matière d’emploi (retraites anticipées) et de protection sociale (RMI, CMU, APA) sont permanentes et transcendent les clivages de partis. Cette force de l’Etat - providence décrite par l’auteur (grand spécialiste de Tocqueville) pèse lourd sur le pays, alors que les institutions extérieures à l’Etat central se montrent impuissantes à assumer des responsabilités nouvelles.

L’analyse de Bronislaw Geremek, historien et figure de proue dans les années 1980 du syndicat polonais Solidarnosc, invite les syndicats français à faire passer le dialogue avant la revendication. Ce grand spécialiste de la pauvreté et des mouvements sociaux au Moyen-âge nous aide à comprendre combien les mouvements altermondialistes profitent du fait que notre société se montre insuffisante à traiter les problèmes de la pauvreté et de l’immigration. La pauvreté relative reste un problème :"Il ne suffit pas de dire que les pauvres il y a trois cents ans étaient dans une situation encore plus misérable. La pauvreté est une attitude de non-participation".

Domenico De Sole, l’ancien patron de Gucci, expose avec franchise son incompréhension face à certaines habitudes françaises : temps de travail et 35 heures, absence de transparence dans la communication financière, prises de décisions hiérarchisées, rétention d’informations dans le management. La question des élites est abondamment traitée (celle de l’ENA notamment) tout comme la question du rôle des intellectuels. Sur ce dernier point, on lira la critique "à la hussarde" du professeur Alfred Grosser sur le milieu intellectuel français"véritable milieu, au sens Camorra du terme (...) qui a ses "saints", comme le saint sociologue Bourdieu et le saint musicien Boulez".

La tonalité générale de l’ouvrage est -répétons-le - confiante. Notre pays dispose toujours des moyens d’affirmer son rayonnement international et son statut de "grande puissance culturelle". La réforme des esprits est prioritaire par rapport à celle des lois.



Regards sur la France. Trente spécialistes internationaux dressent le bilan de santé de l’Hexagone, sous la direction de Karim Emile Bitar et Robert Fadel, Le Seuil, 2007, 648 pages, 30,-€

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