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Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Lu pour vous : « Voyage au cœur de la CCAS »

C'est un étonnant voyage que propose le journaliste Denis Lefèvre dans son dernier ouvrage {«Voyage au cœur de la CCAS»} (Cherche midi, mai 2013). L'auteur nous guide dans un voyage historique et descriptif de la Caisse centrale des activités sociales des électriciens et gaziers, le fameux « CE d'EDF-GDF », en semblant hésiter en permanence entre l'admiration hiérographique et l'expression de son trouble.


L’originalité de ce « super comité d’entreprise » est qu’il exerce ses activités à l’échelle des 140 000 salariés à statut de la branche des industries électriques et gazières, une particularité qu’il tient de ses origines, liées à la nationalisation de 1946 qui constitua le service public de l’énergie.

- Un modèle collectiviste -

C’est le ministre communiste Marcel Paul (1900-1982) qui fut l’artisan de cette nationalisation. Elle préfigurait alors, pour le Parti communiste, l’étatisation de l’économie française. La même année, à son initiative, étaient nationalisées les sociétés d’assurance. Enfant de l’assistance publique, Marcel Paul consacra sa vie au PC et à la CGT. Incorporé dans la marine en 1915, il participe aux mutineries de 1917. Adhérent au Parti communiste à 23 ans, il entre à la CGT U, dissidence communiste de la CGT entre 1921 à 1936, puis devient Secrétaire général de la fédération de l’énergie de la CGT réunifiée en 1937. Sa biographie le présente comme résistant dès 1939, bien que le Parti communiste n’entre dans la lutte clandestine qu’en 1941, après la rupture du pacte germano-soviétique. Arrêté en novembre 1941 et incarcéré à la prison de Fontevrault, il est déporté par les Allemands en 1944 à Buchenwald, où il devient un des dirigeants du « Comité des intérêts français » qui décide de l’affectation des déportés. Protecteur de Marcel Dassault, il sera plus tard accusé par des déportés d’avoir sciemment protégé les communistes au détriment des autres résistants. Elu député communiste en 1945, il est nommé ministre de la production industrielle, poste qu’il quitte en 1947 lors de l’éviction des communistes du gouvernement et de l’éclatement de la CGT. Il se consacre alors à la fédération CGT de l’énergie dont il reste secrétaire général jusqu’en 1963, et à la présidence du Conseil Central des Œuvres sociales d’EDF-GDF (CCOS) qu’il a créé. En 1951, le gouvernement entreprend de contester la mainmise communiste sur les industries électriques et gazière. La CCOS est dissoute et la police investit son siège social pour prévenir toute rébellion. Treize ans plus tard, la CGT reprend la gestion des activités sociales et culturelles d’EDF-GDF, mais Marcel Paul est écarté de sa présidence sur ordre du Parti communiste, qui l’évince également du Comité central.


La gestion de la CCAS, qui prend la suite de la CCOS, devient entre les mains de la CGT un outil de promotion syndicale dans tous les sens du terme. Les ressources de la CCAS proviennent, Denis Lefèvre le rappelle, d’un versement équivalent à 1% du chiffre d’affaires d’EDF-GDF, suite à une disposition introduite personnellement par Marcel Paul dans la loi de nationalisation des industries électriques et gazières. Une autre disposition, 1% du chiffre d’affaires devant être versé pendant 50 ans aux propriétaires des entreprises nationalisées, sera retirée du projet de loi de Marcel Paul.

- Une gestion CGT -

La particularité de la CCAS, que décrit Denis Lefèvre, est d’être un organisme entièrement administré par les syndicats de salariés, parmi lesquels la CGT est prépondérante (45% des suffrages selon la mesure de la représentativité syndicale de mars 2013), et qui offre des prestations gérées et mises en œuvre par les agents eux-mêmes, au titre du détachement qu’autorise leur statut. L’auteur évoque d’ailleurs la cohabitation parfois délicate entre ces agents statutaires, désignés par leur syndicat, et les salariés de la CCAS, eux-mêmes divisés entre contractuels et saisonniers, laissant entendre que des syndicalistes ne font pas toujours les meilleurs employeurs.


La CCAS est organisée en 69 Caisses mutuelles complémentaires d’action sociale (CMCAS), réparties en 23 territoires administratifs et coordonnées par la Caisse centrale. Elle emploie 3 000 salariés sous statut d’EDF-GDF et près de 6 000 saisonniers, représentant l’équivalent de 1400 temps pleins (soit un permanent pour 32 agents actifs, auxquels il convient d’ajouter les retraités qui restent des bénéficiaires de la CCAS). Cette organisation est propriétaire de 215 centres de vacances, soit un hébergement total de 30 000 lits, d’une compagnie d’assurance, d’une mutuelle santé, d’une caisse de retraite propre aux agents. Elle gère également un restaurant de 450 salariés au siège d’EDF à Saint Denis et 112 restaurants d’entreprise, une maison de retraite de 96 lits en Seine et Marne, et elle a pris le contrôle en 2009 de la Compagnie André Trigano, une société cotée en Bourse. En revanche, la CCAS a cédé la gestion de son institut médico-psychologique à l’association Les papillons blancs en 2006.



Les chapitres consacrés à l’innovation sociale apportée par la CCAS, comme l’accueil des personnes handicapées dans les camps de vacances au même titre que les valides ou les retraités (des « agents inactifs » selon le statut des IEG), sont remplis d’anecdotes qui rendent la lecture de cet ouvrage instructive et vivante. Celui qui s’attendrait à une enquête journalistique ou à des révélations sur les scandales qui ont émaillés la vie de la CCAS depuis des années, ou encore sur la manière dont la CGT a organisée à son profit le contrôle idéologique et technique des activités sociales et culturelles restera sur sa faim. Tout au plus, l’auteur évoque de manière elliptique les « valeurs » inculquées aux jeunes dans les camps de vacance réservés aux enfants des agents, ou mentionne les relations internationales de la CCAS et son soutien apporté à des actions de solidarité au Viet Nam ou en Palestine... Il semble que le « boite noire » CGT de la CCAS soit logée au sein de l’IFOREP (Institut d’études et de formation, de recherche et de promotion), son centre de formation intégré qui emploie 80 salariés. Voulu dès son origine en 1972 comme « l’ENA du monde ouvrier », selon son fondateur René Le Guen, que cite Denis Lefèvre, il avait pour vocation d’élaborer « une éducation à caractère progressiste » dispensée aux enfants des agents dans les centres de vacance. Disposant d’une revue et d’un studio de production télévisuelle, l’IFOREP consacre 50% du temps de formation à la culture générale des agents EDF-GDF qui viennent s’y préparer à exercer des responsabilités au sein d’une des structures de la CCAS. L’IFOREP a été l’initiateur de nombreux partenariats culturels passés par la CCAS : avec le festival de cinéma de Cannes, celui de théâtre d’Avignon ou ceux de chanson de la Rochelle et de Bourges.

- Les regrets de l’auteur -

N’éludant ni les tensions sociales internes ni les problèmes de gestion de la CCAS (en août 2012, l’Humanité, la CGT et une dizaine de syndicalistes des IEG ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour détournements de fonds), Denis Lefèvre reste cependant à la surface de ces sujets sensibles. Il s’en explique dans une conclusion au ton plus intimiste, où il reconnaît avoir trouvé l’envers du décor plutôt gris : « Parfois, j’avais l’impression d’être un intrus. L’on me distillait les informations à dose homéopathique. Il fallait me justifier longuement pour obtenir un rendez-vous. A la fin des entretiens, l’on promettait de m’envoyer des documents. Pour la plupart, je les attends toujours, malgré quelques piqûres de rappel... » Cet aveu des dernières pages explique à lui seul le sentiment de frustration du lecteur quand il referme le livre de Denis Lefèvre. Son « Voyage au cœur de la CCAS » s’est effectué sans carte ni boussole. Voire peut-être avec l’intention de le perdre ? C’est en tout cas l’impression qui ressort.


Voyage au cœur de la CCAS, Denis Lefèvre, Cherche midi, 2013, 272 pages, 18,50 €





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