Modernisons, modernisons, il en restera quelque chose... Depuis quelques années, la mode est à l'élaboration de lois « de modernisation ». Celle du 25 juin dernier, dite « de modernisation du marché du travail » prolonge l'accord entre partenaires sociaux du 11 janvier, selon une méthode désormais établie.
Sur le fond, elle s'inscrit dans la tendance longue d'une conciliation « sécurité / flexibilité ».
- La dernière modernisation en date : le contrat de travail à l’épreuve de la flexisécurité -
On sait à quel point la vague de modernisation est à l’honneur depuis quelques années dans le champ législatif. Dans les dernières semaines, sont apparues une « loi de modernisation de l’économie » [1] ainsi qu’une autre « portant rénovation de la démocratie sociale » [2]. Et alors même que le droit du travail nous avait déjà offert en 2002 le spectacle d’une « modernisation sociale » [3], puis en 2007 celui d’une « modernisation du dialogue social » [4], c’est à présent au tour du contrat de travail de se livrer au jeu de la modernisation avec l’adoption de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008, précisément intitulée « modernisation du marché du travail ». C’est cette loi que nous examinons ici.
- Le rêve du contrat unique -
Le chantier de la réforme du contrat de travail ne date pas d’hier. Le désormais défunt CNE [5] tout comme que le CPE mort-né [6] avaient précisément pour vocation non seulement de s’attaquer à une réforme du marché du travail en facilitant l’embauche grâce à un assouplissement des conditions de conclusion comme de rupture contractuelle, mais aussi de fournir les bases d’un futur « contrat de travail unique » assurant de manière pérenne et généralisée la synthèse entre le CDD et le CDI et incarnant a priori l’idéal de la relation de travail à la fois souple et sécurisante pour les deux parties. Si l’idée d’un tel contrat fut abandonnée, à la faveur en particulier du désamour et des déboires juridiques encaissés par le CNE, c’est à un aménagement des formes d’emplois salariés et des modes de rupture du contrat de travail que la présente loi procéda.
Sans constituer de ce fait la réforme d’ensemble du droit du travail que certains appelaient de leurs vœux, elle s’inscrit toutefois résolument dans un apparent courant de modernité tant quant à la méthode employée que sur le fond.
- La méthode de la « loi négociée » -
La loi du 25 juin 2008 fait appel à une méthode d’élaboration de la loi qui certes n’est pas nouvelle, mais revêt pour la première fois une ampleur réelle.
La méthode de la « loi négociée » consiste à inciter les partenaires sociaux à négocier puis à reprendre par voie législative le fruit de leurs travaux. La méthode avait déjà été éprouvée au titre des lois de réduction du temps de travail, dites « Loi Aubry », sur la période 1998-1999. Les partenaires sociaux de branche avaient alors été incités à négocier afin de fournir la base d’un dispositif législatif adapté aux réalités du terrain mais aussi à la diversité des métiers. De la même manière, les dispositions relatives à la formation professionnelle contenues dans la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social sont directement issues de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 20 septembre 2003. Ceci étant, la méthode de la loi négociée est encore beaucoup plus ancienne, et il serait inconvenant pour les archéologues du droit du travail de faire abstraction de certains couches sédimentaires non négligeables servant de base structurante à la discipline : nous citerons juste pour mémoire le premier accord sur la formation professionnelle, en date du 9 juillet 1970, qui inspira très largement la loi du 16 juillet 1971, ou encore le célèbre accord de mensualisation du 10 décembre 1977 qui fournit la base de la loi du même nom en date du 19 janvier 1978.
Ceci étant, le vent de « modernisation » imposa de graver dans la pierre ce que la pratique avait ainsi consacré depuis des décennies comme une méthode parfaitement adaptée à la discipline : issu de la loi précitée du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, l’actuel article L.1 du code du travail institutionnalise désormais la concertation préalable avec les partenaires sociaux avant tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives de travail.
La loi du 25 juin 2008 est la première application pratique de ce « nouveau » dispositif. Et on comprendra sans peine l’immense médiatisation dont elle fit l’objet dans le contexte d’un agenda social 2008 particulièrement chargé, dans lequel le chef de l’Etat s’engagea personnellement en menaçant d’une reprise en main du sujet par l’Etat, en l’absence de concrétisation rapide par les partenaires sociaux d’un véritable accord sur la thématique de la modernisation du marché du travail.
C’est donc à marche forcée que fut signé l’ANI du 11 janvier 2008, dont la loi reprend l’essentiel des dispositions. Il est donc tout à fait naturel que la loi ne fasse pas mystère du caractère simplement expérimental de certaines mesures dont la mise en œuvre pratique est subordonnée à de nouvelles négociations ou bien dont la durée est limitée dans le temps, ou bien encore dont un suivi doit être opéré par les négociateurs eux-mêmes.
- Des mesures très diverses -
En à peine onze articles, la loi de modernisation du marché du travail se devait donc de transcrire une négociation qui avait porté « sur la sécurisation des parcours professionnels, le contrat de travail et l’assurance chômage ». Autant dire que l’ensemble de l’ANI ne fut pas repris dans le dispositif légal, lequel se concentra sur quelques thèmes dont la diversité ne doit pas occulter les lignes directrices.
A la volée, on y retrouve en conséquence l’encadrement du CDD, celui du licenciement en termes de motivation et d’indemnisation, la rupture conventionnelle, la redéfinition de la période d’essai, le contrat à objet défini, le portage salarial, ou encore l’abrogation du CNE, mais aussi au milieu de ces dispositions l’abaissement de 3 ans à 1 an de l’ancienneté requise pour bénéficier des indemnités complémentaires de maladie, ainsi que le rétablissement du caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte.
L’examen détaillé de l’ensemble de ces mesures n’étant pas concevable en un court article, orientons notre réflexion autour de la dynamique de négociation qui a fondamentalement animé les partenaires sociaux et par suite inspiré le législateur dans la mise sur pied de ce dispositif, en nous concentrant sur l’atteinte de l’objectif de « flexisécurité » qu’il visait fondamentalement.
- Objectif sur le fond : la flexisécurité -
Le rêve un temps effleuré de voir émerger un contrat de travail unique reposait en réalité sur une considération idéologique : la volonté de faire évoluer le modèle social français vers celui des pays scandinaves, ceux-ci étant réputés pour faire cohabiter en parfaite harmonie la flexibilité nécessaire à l’entreprise avec la sécurité nécessaire au salarié. Etait alors née la « flexisécurité », contraction sémantique des termes en apparence contradictoires de « flexibilité » et de « sécurité ». Eviter à l’entreprise le piège de la conclusion d’un contrat à durée déterminée lorsque la durée de la période d’essai du contrat à durée indéterminée apparaît trop brève ou bien encore permettre aux parties de mettre fin de manière anticipée au contrat sans que le risque de la rupture ne pèse systématiquement sur l’une d’entre elles, telles en sont les principales illustrations. Telles sont également les pistes retenues par la loi du 25 juin 2008 pour tempérer les excès des dispositifs contractuels classiques du droit du travail.
Bref, on assiste parallèlement à une redéfinition du cadre contractuel prenant la forme d’un recadrage des précarités, ainsi qu’à un nouvel encadrement des ruptures contractuelles.
- Le recadrage « des » précarités -
LE POSTULAT DU CDI DE DROIT COMMUN. L’abandon de l’idée de contrat unique revient à poser la règle de la dualité des contrats : le contrat à durée déterminée côtoie nécessairement le contrat à durée indéterminée. Les grands équilibres du droit du travail [7] ne s’en trouvent pas bousculés.
Toutefois, le Code du travail prend désormais la peine de préciser que « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail » [8].
C’est davantage le recadrage des diverses formes de précarité qui apparaît comme un des nœuds concrets du dispositif : en concilier une relative libéralisation avec un strict contrôle, tel est l’équilibre recherché par la loi.
LE CONTRAT A OBJET DEFINI. Le contrat à durée déterminée fait l’objet d’une nouvelle ouverture des motifs de recours. Un contrat « à objet défini » pourra être conclu pour une durée minimale de 18 mois et une durée maximale de 36 mois avec un ingénieur ou un cadre sous réserve de l’existence préalable d’un accord collectif de branche étendu ou d’entreprise autorisant le recours à un tel dispositif. Sans dire son nom, le droit du travail français voit naître le premier contrat à durée déterminée « à terme incertain » pour une tâche déterminée. Jusqu’à présent limité aux seuls cas de remplacement, d’accomplissement de tâches saisonnières et de CDD d’usage, le contrat à terme incertain assorti d’une période minimale fait son entrée dans le champ Actuellement limité à un motif proche de la « réalisation de mission » ou de la « durée de chantier » souvent revendiqués comme causes autonomes de rupture, ce mécanisme fera-t-il un jour l’objet d’une extension au domaine plus que répandu du surcroît d’activité ?
LE PORTAGE SALARIAL. Véritable nouveauté et réelle avancée dans la « modernisation » du marché du travail, le portage salarial fait son entrée officielle en droit français. Qu’il réponde à un besoin pressant du marché ne fait aucun doute pour les rédacteurs de la loi ; pour preuve la libéralisation relative dont il fait l’objet, tout au moins sa reconnaissance qui évitera tout risque d’incrimination pénale. Tant l’entreprise à la recherche toujours aussi accrue de compétences, que les candidats à un emploi détenant les compétences voulues mais peinant à s’insérer ou se réinsérer y trouvent logiquement leur compte.
L’INFORMATION PÉRIODIQUE SUR LES PRÉCARITÉS. A défaut de limiter les motifs de recours aux contrats réputés « précaires », le législateur exige désormais que l’employeur informe annuellement les représentants du personnel des éléments qui l’ont amené à recourir à toute forme de précarité, ainsi que sur le recours prévisionnel à ces contrats pour l’année à venir. Simple information et non consultation, cette information de nature économique est destinée au comité d’entreprise ou à défaut aux délégués du personnel.
- Le nouvel encadrement des ruptures -
LES RUPTURES ENTRE LIBÉRALISATION ET SÉCURISATION. En ouvrant de nouvelles modalités de travail à la carte, la loi de modernisation du marché du travail assure sa mission de « flexibilité », le regard conservé par les instances représentatives du personnel - du moins dans les entreprises qui en possèdent - étant censé assurer la « sécurité » qui s’y adjoint. Ce faisant, le texte n’a parcouru que la moitié du chemin.
S’attaquer au nouement des relations contractuelles n’est guère suffisant si on ne s’intéresse aux moyens de s’en délier. Or le paradoxe vient précisément du fait que contrairement aux idées reçues, les contrats réputés « précaires » le sont moins au titre de leur rupture que le CDI de droit commun : alors que ce dernier peut faire l’objet d’une rupture unilatérale de l’employeur pour toute cause réelle et sérieuse et que la démission du salarié ne nécessite aucune condition de motivation, on sait qu’il en va tout autrement des CDD et contrats de travail temporaire. La durée déterminée, si elle constitue en elle-même une précarité sociale quant à l’incertitude qui pèse sur l’avenir professionnel de celui ou celle qui s’y engage, est en même temps la certitude sauf faute grave, force majeure ou commun accord d’aller jusqu’au bout de l’engagement souscrit.
DE LA SUPPRESSION DU CNE A LA LIBÉRALISATION DE L’ESSAI. En portant un coup fatal au CNE, la loi du 25 juin 2008 a tué toute possibilité de bénéficier d’une période d’essai de deux ans à la libre disposition de l’entreprise.
Revenant à la logique du contrat de droit commun, elle ne pouvait en revanche ignorer le contournement volontaire des textes que réalisent les entreprises qui jugent que la durée de la période d’essai prévue par la loi ou la convention collective est trop brève.
La loi de modernisation du marché du travail a volontairement introduit dans le code du travail des durées de période d’essai d’une durée suffisamment longue pour apprécier les qualités professionnelles du salarié : deux mois pour les ouvriers et employés, trois mois pour les agents de maîtrise et techniciens et quatre mois pour les cadres.
De la même manière, l’essai professionnel ne trouve sa signification qu’à l’aune des buts qui lui sont réellement assignés : « la période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».
SÉCURISATION DU LICENCIEMENT. Le licenciement fait l’objet d’une sécurisation tant du côté du salarié que de l’employeur.
L’exigence d’une cause réelle et sérieuse se trouve désormais expressément formulée dans le Code.
L’indemnité de licenciement est réévaluée sur la base de deux éléments : la condition d’ancienneté légale minimale pour en bénéficier est abaissée de deux ans à un an et son taux sera identique quel que soit le motif - personnel ou économique - de la rupture.
Précisément retoqué par la loi de modernisation sociale, qui l’avait relégué au rang de simple reçu dénué de toute valeur juridique, le reçu pour solde de tout compte est quant à lui rétabli dans son rôle de document libératoire, faute d’avoir été dénoncé dans les six mois de sa signature.
Dernière mesure et non des moindres, dans le sens d’une sécurisation des entreprises dans le champ du licenciement, l’instauration d’un fonds de mutualisation destiné à indemniser les salariés licenciés pour inaptitude. La gestion du fonds sera précisément confiée à l’AGS. Elle permettra aux entreprises, moyennant le versement d’une contribution, la prise en charge le moment venu des indemnités de licenciement dues aux salariés licenciés pour inaptitude non professionnelle. Ce mécanisme répond à une sollicitation forte de certaines entreprises qui estimaient être prises au dépourvu face au coût de licenciements dont elles ne sont pas responsables : la santé du salarié étant en elle-même un risque non maîtrisable, dès lors naturellement que celle-ci n’a pas été mise à mal au titre du travail - en clair que l’inaptitude ne résulte ni d’un accident du travail ni d’une maladie professionnelle -, autant qu’un fonds d’assurance soit institué pour le couvrir.
RUPTURE CONVENTIONNELLE. La rupture conventionnelle fait partie des dispositifs particulièrement attendus. Rétablir une forme d’égalité contractuelle quant au droit reconnu aux parties de délier ce qu’elles ont lié, consacrer un droit à un « divorce à l’amiable », tout en évitant la déperdition d’énergie liée à toute rupture contentieuse, tels sont les buts affichés de l’instauration de cette nouvelle modalité de rupture.
La rupture conventionnelle ainsi généralisée à l’ensemble des contrats de travail à durée indéterminée présente deux intérêts majeurs qui contribuent tous deux à la sécurisation conjointe des parties : offrir au salarié la garantie de pouvoir bénéficier d’une indemnisation au titre de l’assurance chômage, minimiser les sources de conflits liées à la rupture.
Elle présente trois caractéristiques remarquables : elle vise l’ensemble des salariés liés à l’entreprise par un CDI : salariés « ordinaires » comme salariés « protégés », sa mise en œuvre suppose une intervention administrative, sous forme soit d’une homologation à l’égard des salariés « ordinaires », soit d’une autorisation préalable pour les salariés « protégés », le contentieux de l’homologation échappe à la compétence du juge administratif pour rejoindre en bloc le contentieux de la rupture devant le Conseil des prud’hommes.
- Les prochaines étapes ? -
Quelques-uns des mécanismes de l’important dispositif de la loi doivent encore faire l’objet de textes d’application.
En outre, l’ensemble des clauses de l’ANI n’ayant pas été transposées dans la loi, son extension également attendue dans les prochaines semaines devrait venir compléter la réforme engagée en rendant opposable à toutes les entreprises le fruit du travail des partenaires.
Enfin, ces derniers sont de nouveau appelés à se rencontrer sur le thème du portage salarial, pour « dire le droit » ...
[1] Promulguée le 25 juin 2008.
[2] Promulguée le 20 août 2008
[3] Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 dite « de modernisation sociale »
[4] Loi n°2007-130 du 31 janvier 2007
[5] Le Contrat Nouvelles Embauches (CNE), institué par l’ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005, est abrogé par la loi du 25 juin 2008, que nous étudions ici
[6] Le Contrat Première Embauche (CPE) à peine instauré par la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 fut abrogé dès le 21 avril 2006 par la loi de la même date sur l’accès des jeunes à la vie active.
[7] Il ne sera nul besoin d’abroger l’article 1780 du Code civil qui figure toujours en bonne place comme l’unique article de ce code traitant du contrat de travail et dispose toujours « on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée »
[8] Art. 1221-2 al.1 C.trav
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