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Où va la CGT ?

La CGT, progressivement délivrée de la tutelle communiste, doit apprendre à penser son avenir par elle même. C’est à la fois son bonheur et son problème. Par contre coup, cette situation interpelle l’ensemble du syndicalisme français et conditionne l’évolution des relations sociales en France. Rien n’est encore joué.

Réuni les 3 et 4 février, le Comité Confédéral National de la CGT doit nommer un nouveau secrétaire général. Moins de deux ans après le départ de Bernard Thibault, la crise interne perdure. Les causes sont anciennes. 1947 : pour la troisième fois depuis sa création en 1895, la CGT se déchire et passe sous contrôle communiste. Les militants fidèles à l’indépendance syndicale poursuivent leur chemin en créant la CGT-Force ouvrière (qui tient cette semaine à Tours son 23ème congrès confédéral).



2015 : le Parti communiste n’est plus que l’ombre de lui-même, incapable de présenter seul un candidat à l’élection présidentielle de 2012 et condamné à composer avec Jean-Luc Mélenchon et à se placer dans son sillage. Hormis quelques bastions électoraux, le Parti communiste ne contrôle plus guère que la CGT pour signifier sa force à son meilleur ennemi, le Parti socialiste. Pourtant, ce contrôle s’est fortement réduit. Quoique lentement et difficilement, la CGT échappe au PCF.


- Chaque jour que le Bon Dieu fait envoie un bolchevik à la retraite -


Première raison : le manque de moyens idéologiques, financiers, matériels, humains. Depuis 1991, l’URSS n’est plus ; Moscou ne fournit plus. A la CGT, chaque jour que le Bon Dieu fait envoie un bolchevik à la retraite. L’ordre communiste ne peut plus y régner comme jadis à Varsovie, à Prague ou à Boulogne-Billancourt.

La seconde raison tient à la nature profonde de la CGT qui, même sous colonisation communiste, n’a jamais cessé d’être une grande organisation syndicale, aux réflexes professionnels. Elle l’est toujours en 2015, première en audience et plus encore en capacité à recruter, à former, à mobiliser, à structurer l’action collective (pas moins de 857 unions locales sur le territoire français). Progressivement délivrée de la tutelle communiste, la CGT est invitée à penser son avenir par elle-même. C’est à la fois son bonheur et son problème. Son bonheur parce que sa raison lui indique de ne pas suivre le PCF dans son déclin. Son problème aussi parce qu’elle n’a pas - pas encore ?- la pratique de la liberté, la culture du débat autonome, les réflexes simplement professionnels, la recherche explicite d’une "resyndicalisation". Deux secrétaires généraux de la CGT ont éprouvé cette opportunité : Louis Viannet (de 1992 à 1999) et Bernard Thibault (de 1999 à 2013). En 1995 avec le premier, la CGT toilette ses statuts et quitte la très communiste Fédération syndicale mondiale. Elle rejoint la Confédération européenne des syndicats en 1999 et la Confédération syndicale internationale en 2006. Elle y fréquente désormais les syndicats occidentaux, notamment allemands, scandinaves, américains, britanniques et se frotte aux conceptions d’un syndicalisme d’économie de marché.



Pendant quatorze ans avec Bernard Thibault, la CGT s’essaie à conjuguer tout à la fois syndicalisme de contestation et syndicalisme de négociation. Aujourd’hui, là où elle est implantée, la CGT signe 85% des accords d’entreprise qui lui sont présentés. Encore pauvre au niveau national et dans les branches, la propension à signer grandit.

- Les réformistes et les enclumes -

Mais la succession de Bernard Thibault a révélé l’immense difficulté de débattre en interne du choix stratégique : syndicalisme de révolution ou syndicalisme de construction ? A l’image de Bernard Thibault (qui fut un peu le Gorbatchev de la CGT, jusqu’à finir son mandat comme lui, dans l’adversité), la CGT ressent confusément un immense besoin d’adaptation au monde contemporain. Mais elle ne l’exprime pas encore, comme si ouvrir un débat sur son évolution signifiait une trahison hautement coupable du dogme marxiste, de ses principes de lutte de classes. De ce fait, les tenants d’une réflexion sur l’organisation interne de la CGT, sur ses mécanismes de décision, sur les adaptations et l’actualisation de ses positions, sur les formes nouvelles de l’action syndicale sont aujourd’hui taxés de « réformistes ». Dans la bouche de ceux qui les condamnent ainsi, étiquettés à leur tour du qualificatif évocateur d’« enclumes », ces réformistes apparaissent comme de dangereux déviationnistes, au mieux comme de doux rêveurs inconscients de la nécessité de poursuivre la lutte contre les dégâts du capitalisme.

Amorcée il y a trois ans, la succession de Bernard Thibault n’en finit pas. Thierry Lepaon, élu secrétaire général en mars 2013, un peu par défaut d’accord sur un autre nom, vient de démissionner, emporté par quelques goûts de luxe et par son inexpérience à conduire une organisation en recherche sourde d’une mutation.

Le problème de la CGT n’est pas celui du papier peint de la salle de bains de Thierry Lepaon. Il n’est pas celui de son dirigeant (demain Philippe Martinez ou un autre) mais de sa direction ; c’est à dire de son orientation, de ses choix et positionnements syndicaux.

Qui n’avance pas recule. Et la CGT recule. L’affaissement électoral est sérieux, jusque dans ses bastions traditionnels. Les résultats électoraux depuis un an dans des entreprises comme EDF, RATP, Orange, SNCF indiquent des fuites vers la CFDT ou la CFE-CGC, dont l’image attire davantage les jeunes générations de salariés. Elle a su atténuer, en décembre dernier, un recul redouté dans les élections de la Fonction publique, dans lesquelles Force ouvrière s’est bien tenue, mais pour combien de temps ?

Cet affaissement ne réjouit pourtant guère les interlocuteurs de la CGT, gouvernementaux ou patronaux, ni même les autres organisations syndicales.

- Une CGT qui évolue est préférable à une CGT qui s’affaisse -

Car la CGT assure une part importante de la régulation sociale en France. Elle capte et gère les inquiétudes d’un monde du travail confronté au chômage grandissant et aux restructurations. Elle sait conduire les revendications dans les entreprises, dans les branches professionnelles, les territoires. Elle est active dans les organismes à gestion paritaire, dans les lieux de concertation et de négociation, dans les instances internationales.



50ème congrès de la CGT, du 18 au 22 mars 2013


Encore installée dans la rupture, la CGT n’est pas incapable de privilégier la réforme. Et une CGT qui évolue est préférable à une CGT qui s’affaisse.

Pour l’heure, rien n’est encore joué. Le trouble est réel à tous les étages de la CGT, trouble qui n’est pas celui d’une distorsion entre base et sommet, entre confédération et équipes de terrain. Régler la succession de Thierry Lepaon est le sujet du jour. Cela ne suffira pas à traiter le problème de fond qui traverse toute la CGT, de la confédération aux équipes d’entreprise et d’administration en passant par les fédérations et les unions départementales.

La logique du renouvellement des générations donne certes des perspectives à des équipes plus syndicales que politiques, davantage soucieuses de négocier la feuille de paye que de nourrir la lutte politique. La loi du 20 août 2008, qui a modifié les règles de la négociation collective, oblige bien souvent la CGT à prendre parti. Devant un projet d’accord, les militants sont, plus que dans le passé, conduits à engager leur signature. Cette pratique change de l’attitude ancienne qui consistait à ne rien signer, à critiquer les accords « au rabais » signés par d’autres organisations... pour s’appuyer sur eux et enclencher de nouvelles revendications.

Mais l’influence grandissante du Front National séduit une partie significative de l’électorat CGT, sensible au discours anti-européen et protectionniste du marché du travail français, alors même que les surgelés de la guerre froide, sous étiquette Front de gauche ou Lutte ouvrière, entendent rester maîtres de l’appareil pour les premiers, ou l’occuper à leur manière pour les seconds en donnant une revanche posthume à Trostki sur Staline (quel programme moderne !). La conjonction de ces discours (Front national, communiste et extrême gauche) peut produire un même résultat, comme on l’a vu à la CGT en 2005. Cette année là, les instances dirigeantes de la CGT intimèrent l’ordre à Bernard Thibault, secrétaire général désireux de ne pas donner de consigne de vote, d’appeler à voter contre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, au référendum du 29 mai 2005. Le « non » l’emporta en France avec 54, 68% des suffrages.

Main ouverte à la négociation ou main tendue vers les extrêmes : la CGT hésite.


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