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Le syndicat n'est pas un instrument politique.


" Je ne saurais bien entendu apporter ici, sur ces problèmes importants, que des indications rapides. Mais pour peu qu’on y réfléchisse, il apparaîtra facilement que les positions nouvelles qui deviennent nécessaires sur les questions de la durée du travail ou de sa rémunération exigent une connaissance exacte des conditions spéciales de chaque profession ou occupation.


Dès qu’on donne un sens précis à ce terme d’organisation du travail, il faut être capable d’en aborder utilement les aspects techniques. Mais cela ne saurait être si les ouvriers, et surtout leurs militants, se désintéressent des questions professionnelles.


Sans doute, de telles déclarations peuvent paraître superflues. Pourtant, elles ne le sont pas tant au moment où l’on est obligé de rappeler que le syndicat n’est pas un parti politique et surtout ne doit pas être une dépendance d’un parti politique.


Récemment a eu lieu, au sein de l’un des organismes supérieurs de la C.G.T., une discussion d’ordre politique, qui a occupé presque tout le temps de sa session. Croit-on que l’esprit de nombreux travailleurs n’en fût pas troublé ?


Quand je pense aux réflexions qu’ils ont pu faire sur ces discussions, j’imagine qu’ils auraient aimé voir l’un des assistants se lever, la Charte d’Amiens en main, pour rappeler que les syndicalistes sont libres de travailler au succès de telle ou telle thèse politique, mais seulement en dehors de l’enceinte des réunions syndicales.


La gravité des circonstances que la France traverse va bientôt obliger chacun à prendre sur ce point une position nette, dans laquelle il ne suffira pas, si l’on désire vraiment effectuer un redressement complet du mouvement ouvrier, de se prononcer " contre la colonisation " du mouvement syndical par le communisme.


Sans doute cette lutte est-elle pour le moment nécessaire, car il faut toujours aller au plus pressé ! C’est pourquoi je dirai qu’en effet l’action du communisme a pris des formes intolérables.


J’ajouterai même qu’il est un caractère de l’influence communiste qui n’a jamais été suffisamment mis en relief, bien qu’il n’ait pas été passé tout à fait sous silence. C’est que le Parti Communiste n’est pas un parti comme les autres. Et s’il a toujours existé des partis que les gens modérés qualifient d’ " extrémistes ", il n’y en a jamais eu qui dépendent aussi évidemment d’un gouvernement étranger. C’est à ce titre qu’on peut dire que l’existence de ce soi-disant parti politique constitue en France une véritable nouveauté historique.


Tout le monde connaît cette dépendance, me dira-t-on. Pourtant, son titre " communiste " entretient l’équivoque, et beaucoup, qui le combattent, le maintiennent en quelque sorte involontairement sur un plan idéologique où il ne devrait nullement figurer.


Je ne ferai donc pas à ce parti et à ses hommes l’honneur de les considérer comme les collaborateurs turbulents de la lutte sociale, tels par exemple que les anarchistes, et c’est pourquoi je suis pleinement d’accord avec l’action qui a été entreprise pour lutter contre la " colonisation ".


Mais, je le répète, cette lutte ne saurait suffire, et certains de ses moyens me paraissent même procéder d’une compréhension incomplète de l’activité syndicale. Le " syndicat se suffit à lui-même " disait-on autrefois. C’est pourquoi, si l’existence de groupements communistes est néfaste au sein des syndicats, celle des groupements socialistes qui leur tiennent tête ne vaut peut-être guère mieux. Par exemple, et bien que constituées dans une bonne intention, les " amicales " socialistes qui combattent le communisme au sein des syndicats n’apportent pas le véritable moyen de redressement, car elles laissent cette lutte intérieure sur le plan politique. Leur danger le plus grave est de donner aux nombreux timides qui hésitent à entrer dans les syndicats, l’impression que ce sont en réalité deux puissances politiques qui se disputent la direction morale des organisations ouvrières pour des mobiles électoraux.


Il est pourtant facile d’écarter ce danger :


C’est de rendre le syndicat à sa destination naturelle, sur le plan économique et professionnel. C’est de maintenir énergiquement l’action syndicale dans les limites tracées par l’Article Premier des statuts de là C.G.T. et par la. fameuse Charte d’Amiens.


En déclarant vouloir poursuivre la suppression du salariat, cet Article Premier reste étroitement, en effet, dans la tradition du véritable socialisme français d’avant Marx, préoccupé de construire, comme je ne cesse de le rappeler, une organisation du travail inspirée par la justice. Quant à la Charte d’Amiens, elle écarte avec soin les préoccupations politiques de l’action syndicale.


Ces deux textes, ces deux armes devrais-je dire, sont les seuls instruments avec lesquels les syndicalistes sincères peuvent lutter avec une véritable efficacité contre toutes les formes de " colonisation " politique, quelle que soit leur couleur.


Comme l’inébranlable phare qui devrait guider les combattants de l’action sociale au milieu de tous les courants hostiles, ils indiquent aux travailleurs français la seule voie de salut : Elle est dans le principe de l’action économique et professionnelle, sur la base des moyens de l’action directe.


Mais une remarque importante s’impose alors aussitôt sur le plan de la compétence nécessaire aux hommes qui voudront poursuivre cette action.


Pour le " militant " qui ne se soucie que de " faire de la politique " il n’est point besoin de se mettre en frais, c’est-à-dire de faire attention au contenu de ses discours. Avec un mince bagage d’idées générales, de formules toutes faites, de lieux communs, et de phrases plus ou moins bien tournées pour emporter des applaudissements faciles, il peut aisément faire son chemin vers une grossière popularité.


Il est ainsi de soi-disant militants qui ne travaillent jamais sérieusement une question, et se contentent de l’examiner superficiellement, tout juste assez pour être capables d’émailler leurs discours d’expressions habilement choisies pour donner le change à des auditeurs non informés.


Nous avons trop de ces " touche-à-tout ", acrobates de la parole, qui masquent leur nullité intérieure derrière des mots dont l’emploi ne peut tromper que des ignorants. C’est ainsi à se tordre de rire quand on en voit, qui n’entendent réellement rien aux questions de gestion les plus simples, et qui n’en osent pas moins exposer gravement leur avis sur des problèmes aussi étrangers à la compétence ouvrière que les problèmes financiers du pays !


Personne, pourtant, n’a jamais demandé aux militants ouvriers d’être capables de discourir, comme autant de Pic de la Mirandole, sur l’étendue d’un savoir encyclopédique. Comme tout le monde, et sans déchoir, un militant ouvrier peut n’avoir que des connaissances spéciales, et même seulement sur le plan limité, et déjà assez vaste, d’une action économique et professionnelle précise.


Plus haut, discutant la question de la durée du travail, qu’on a prétendu trancher par des mesures uniformes, et sans s’occuper de la diversité des techniques, j’ai déclaré qu’une telle question devrait être examinée cas par cas, en tenant compte des conditions et circonstances particulières à chaque industrie.


Mais pour entrer dans cette voie rationnelle, il est bien évident qu’il devient alors nécessaire aux militants de posséder à un haut degré la compétence technique particulière à chaque nature d’occupation. Autrement dit, pour que le syndicat ouvrier soit pleinement apte à prendre, par la personne de ses hommes et de ses militants, toutes les responsabilités qu’impliquerait une organisation équitable et rationnelle du travail, il est de la plus haute importance que ces hommes soient des hommes capables, dans le plein sens qu’on donne à ce mot dans les ateliers. Chaque militant doit donc d’abord être un homme de métier, et, si possible, un homme d’élite dans son métier.


Rien d’autre en effet, que cette compétence technique, ne pourrait justifier la prétention d’intervenir dans toute question relative à la gestion du travail, en vue d’y introduire un peu plus de justice. Car aussitôt qu’un ouvrier s’écarte de ce terrain sûr, il est menacé de ne devenir qu’un bavard, un phraseur inutile, et selon l’expression d’Octave Mirbeau, un " mauvais berger ".


Et comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, c’est un champ assez vaste. On en conviendra facilement si l’on considère qu’en dehors des questions purement professionnelles que le militant ouvrier doit connaître mieux que personne, il doit aussi concevoir la place qu’occupe son métier dans la vie sociale et être capable de défendre cette " place au soleil " dans l’ensemble de l’activité nationale. Ainsi l’on peut conclure que c’est dans l’exercice prolongé de sa profession et de toutes les activités qui s’établissent sur le plan professionnel, que le travailleur peut acquérir le savoir et l’expérience qui sont indispensables au progrès de la justice sur ce plan particulier du travail.


J’ai déjà eu maintes fois l’occasion de rappeler le principe qui veut que, dans toute activité productrice, c’est le travail qui commande.


Il est un sens profond dans cette expression populaire. Elle exprime nettement quelle est la conception ouvrière de l’ordre et de la discipline. Elle est même plus claire aussi que la plaisanterie bien connue d’après laquelle le Français veut bien obéir, mais ne pas être commandé !


Les travailleurs le savent bien. Ils n’aiment pas à être commandés, ce qui implique obéir à des hommes, mais ils comprennent la nécessité d’obéir à des nécessités dictées par le bon sens.


C’est ce qu’ils veulent dire lorsqu’ils reconnaissent que c’est le travail qui commande. Car la bonne exécution du travail est gouvernée par des nécessités, c’est-à-dire par des lois, dont ils admettent parfaitement l’utilité, tout au moins quand on les met en position d’en juger.


C’est pourquoi l’activité professionnelle est la seule base solide sur laquelle puisse être fondée l’éducation sociale des ouvriers, le seul point de départ sur lequel ils puissent s’appuyer avec sécurité pour prétendre à de plus hautes visées. Car s’ils veulent passer tout de suite sur le plan social en négligeant le plan professionnel, alors ils se condamnent eux-mêmes à l’impuissance, tout comme les politiciens qui ne se soucient point des réalités du travail et de l’économie.


Ne l’oublions jamais, le travail est le grand régulateur, toujours prêt à ramener l’esprit, prompt à divaguer à travers les idées pures et la théorie, sur le terrain solide du simple bon sens. Le travail est le grand régénérateur de l’esprit. Aussi suffit-il de revenir vers lui pour retrouver toujours les sources les plus certaines de l’ordre.


J’ajouterai d’ailleurs, une fois de plus, que les socialistes français d’avant Marx avaient nettement pressenti la nécessité de joindre le point de vue technique au point de vue social. Si leur conception de l’organisation du travail était loin d’être " au point ", comme on dit aujourd’hui, ils voyaient cependant loin et juste. Car ils ne se bornaient pas à rêver seulement de cette perfection technique de l’organisation dont on s’occupe beaucoup aujourd’hui : Plus grands que nos plus savants techniciens modernes, ils ont rêvé d’établir ce que j’appelle l’organisation équitable du travail. C’est à cette œuvre, non encore achevée, qu’il faudrait maintenant consacrer la plus grande partie d’une attention qui fut si longtemps dispersée dans le chemin des chimères de la politique.


Travailleurs français, c’est à cette œuvre, qui doit être la vôtre, que je vous appelle. Mais pour la poursuivre, vous devez devenir capables d’adopter, sur le plan du travail, une autre position que celle qui consiste à poser aveuglément des " revendications ", en laissant aux employeurs le soin de résoudre les difficultés qu’elles impliquent. Vous devez devenir capables de formuler des propositions positives pour améliorer le rendement du travail, en réclamant naturellement votre part des résultats. En d’autres termes, il vous faut examiner les moyens de remplir la caisse dans laquelle vous voulez puiser.


Ce serait une tout autre position que celle qui consiste à attendre du pouvoir miraculeux de l’Etat une amélioration durable de votre sort. Mais il faut ajouter aussi qu’elle ne sera possible que si vous savez, vous et vos militants, revenir sur le terrain de l’action professionnelle que vous n’auriez jamais dû quitter.


Ne l’oubliez pas, ce n’est que sur ce dur terrain du travail que vous pourrez puiser les capacités matérielles et intellectuelles dont vous avez précisément besoin, pour assurer le développement et la continuité des traditions de ce vieux socialisme français, dont vous êtes les seuls héritiers.


On raconte que dans les temps antiques, un souverain qui désirait apprendre les sciences mathématiques, fut rapidement rebuté par les études ardues qu’il lui avait fallu entreprendre. Ayant alors demandé à son professeur s’il ne pouvait lui donner cet enseignement sous une forme qui donne moins de peine à un homme de son rang, ce dernier lui répondit : " Pour apprendre, il n’y a point de méthode spéciale pour les rois ".


Apprenez aussi, travailleurs, qu’on appelle parfois, et pour vous faire plaisir, le " peuple souverain ", qu’il n’y a point pour vous non plus de " voie royale ", de moyens magiques pour conquérir le progrès social que vous rêvez.


C’est pourquoi je vous conjure de ne point croire aux moyens magiques que les politiciens font miroiter devant les naïfs.


Pour améliorer votre sort, il n’est qu’une voie sûre, qui consiste à faire face vous-mêmes aux problèmes du travail, et de les résoudre au fur et à mesure, avec patience, avec persévérance, et surtout avec le maximum d’intelligence pratique. Ce que je résumerai dans cette simple formule finale :


Pour le progrès de la condition ouvrière, le seul bon chemin que vous puissiez prendre est celui de l’action professionnelle gouvernée par le bon sens.

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