Les enquêtes d'opinion sur la popularité des syndicats permettent de mesurer la confiance que les Français en général et les salariés en particulier leur accordent. Depuis 1993, les évolutions constatées appellent analyse et commentaires.
Les enquêtes d’opinion sur la popularité des syndicats permettent de mesurer la confiance que les Français en général et les salariés en particulier leur accordent.
Depuis 1993, les évolutions constatées appellent analyse et commentaires.
Chaque année, particulièrement au moment de la « rentrée sociale », les instituts de sondage livrent diverses études sur la popularité ou sur l’image des syndicats qui alimentent la presse.
L’automne 2005 et, plus récemment, janvier 2006 n’ont pas échappé à leur lot d’enquêtes et de baromètres variés.
Mais l’avalanche des chiffres et des pourcentages ne permet pas toujours de répondre clairement à la question posée. D’autant plus que, malgré toutes les précautions méthodologiques qui sont affichées, les résultats de ces études sont loin d’être convergents... mais ils indiquent tout de même que si la « représentativité » des syndicats est - juridiquement - « irréfragable », telle n’est pas le cas de la confiance placée en eux.
Des résultats contradictoires
Ainsi, les dernières enquêtes des instituts CSA, IFOP et TNS-SOFRES aboutissent à des résultats sensiblement différents, alors même qu’elles s’appuient sur un échantillon de même taille, construit selon la même méthode des quotas, interrogé à quelques jours ou semaines d’intervalle.
Ainsi, pour le CSA, 48% des Français ont confiance dans les syndicats pour défendre leurs intérêts. Cela traduit un recul de 2 points par rapport à 2004. Les résultats de cette étude, commandée par la CGT ont sans doute provoqué, sinon accentué, certaines inquiétudes internes à cette confédération au moment où elle préparait la manifestation du 4 octobre 2005 et cherchait à dépasser les divisions engendrées par le Traité constitutionnel européen. Cela explique pourquoi seuls quelques résultats ont été publiés dans la NVO... du 21 octobre 2005, bien après le 4 octobre puis, de façon plus détaillée, dans Le Peuple - le « journal officiel » de la CGT - du 9 novembre. Or l’enquête a été effectuée à la mi-septembre et, depuis quelques années, le CSA avait pris l’habitude de publier l’intégralité des résultats de son « baromètre d’image des syndicats » réalisé, depuis 1993. Mais cette année - une fois n’est pas coutume ? - ce n’est toujours pas le cas à l’heure où s’écrivent ces lignes.
Ironie de l’histoire : tandis que le CSA et la CGT n’ont semble-t-il pas trouvé de données sur le syndicalisme à la hauteur de leurs espoirs, l’IFOP - dirigé par la nouvelle présidente du MEDEF - a publié un autre indicateur selon lequel la cote de confiance des Français dans les syndicats s’est apprécié de 8 points entre 2004 et 2005 ! Les résultats ont été intégralement publiés dans Le Journal du Dimanche du 2 octobre 2005. Selon l’IFOP, 57% des Français ont confiance dans les syndicats.
L’écart entre les résultats de ces deux études apparaît donc important et, de surcroît, les évolutions se contredisent. Il est vrai que la question posée aux interviewés par ces deux instituts de sondage n’est pas exactement la même. L’IFOP s’en tient à une confiance « en général », la question posée étant : « De manière générale, dites-moi si vous faites tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas confiance du tout aux syndicats ? » Le CSA formule une question un peu plus précise : « Pour défendre vos intérêts, faites-vous confiance, assez confiance, peu confiance ou pas confiance du tout aux syndicats ? » Si cette interrogation légèrement différente peut expliquer l’écart dans le résultat final, on pourrait tout de même s’attendre à une évolution comparable. Ce qui n’est pas non plus le cas.
On notera enfin que, lorsque la question se fait encore plus précise et se trouve contextualisée - la question devenant « A qui faites-vous les plus confiance pour défendre vos intérêts sur votre lieu de travail » -, les salariés ne sont plus que 26% à faire confiance aux syndicats ! C’est ce que montre une enquête de décembre 2005 réalisée auprès de 5059 internautes par Expression-directe.com (dont l’intégralité des résultats est consultable sur le site :http://www.expression-directe.com). Ce dernier pourcentage apparaît d’autant plus intéressant que les internautes, qui ont répondu à cette enquête, semblent particulièrement concernés par le fait syndical puisque seuls 19% d’entre eux déclarent travailler dans une entreprise où aucun syndicat n’est implanté.
En janvier 2006, TNS-SOFRES publiait un résultat étonnamment identique : à la question « pour défendre vos intérêts en tant que salarié, qu’est-ce qui est le plus effeicace ? », 26% des personnes interrogées répondait « s’adresser aux syndicats » (sondage réalisé les 20 et 21 décembre 2005, publié dans Libération du 16 janvier 2006). 57%, 48%, 26%... le niveau de confiance dans les syndicats apparaît donc très variable, selon les questions qui sont précisément posées et la « qualité » des réponses. Il est loin d’être indiscutable... même si, pour s’en tenir aux études du CSA, il semble qu’il se soit apprécié depuis quelques années.
Une cote de popularité en progression
Pour autant, le baromètre annuel du CSA montre clairement que, depuis 1993 (première enquête effectuée sur le sujet), l’image des syndicats auraient évolué positivement (voir graphique n° 1 ci-dessous). Tandis que la proportion des salariés qui ont une image négative des syndicats l’emporte jusqu’en 2001, la situation se renverse en 2002. Mais elle demeure relativement incertaine depuis lors. L’évolution récente est faite de variations contradictoires dont l’interprétation reste difficile. Le niveau de défiance (à l’exception de 2004 et, secondairement, de 2002) demeure élevé et majoritaire. Le chiffre de 2005 n’a pas été publié (la valeur du graphique étant donc une estimation). Des données détaillées publiées en 2004 ont montré que la confiance dans les syndicats était - logiquement - plus faible lorsqu’on ne prend en compte que les salariés non-syndiqués (ce qui correspond en fait à la situation de plus de 9 salariés sur 10) : 44% des non-syndiqués se déclarent confiants dans les syndicats pour défendre leurs intérêts (pour un niveau de défiance de 55%), soit une situation assez proche de ce montrent les premières années du graphique.
Dans l’absolu, celle confiance apparaîtra donc assez précaire ou, à tout le moins, discutée. Les syndicats pourront se consoler en soulignant que, comparé à d’autres organisations ou institutions, ils s’en sortent plutôt mieux. Le 13 décembre 2005, un journal canadien, La Presse indiquait que, selon un sondage de l’institut CROP, 56% des syndicalistes étaient jugés « utiles » par la population ... mais « peu ouverts d’esprit ». Le quotidien concluait sur le soutien des Canadiens pour leurs syndicats alors que les politiciens n’ont la confiance que de 23% de l’opinion.
Graphique n° 1 : La confiance ou l’absence de confiance des salariés dans les syndicats pour la défense de leurs intérêts (échelle en % des personnes interrogées ; échantillon d’un millier de personnes, âgées de 18 ans et plus, confectionné selon la méthode des quotas ; source : CSA-CGT)
Une popularité plus forte auprès des insiders
En 2004 et partiellement en 2005, les données du CSA permettent de rapporter la popularité des syndicats à différentes catégories socio-professionnelles. On sera étonné de relever que le niveau de confiance à l’égard du syndicalisme concerne d’abord les cadres et les professions libérales et, plus largement, les salariés diplômés. On pourra se demander s’il ne s’agit pas là d’une réponse de principe, conforme à certaines représentations dominantes. Pour étayer cette supposition, on renverra à l’enquête d’Expression-directe.com (EDC) évoquée plus haut qui s’appuie sur un vaste panel d’internautes, sans doute plus diplômés que la moyenne, et pourtant plus critiques à l’égard des syndicats. On observera aussi que, dans les représentations du syndicalisme par ces internautes, les syndicats ont d’abord vocation à défendre les fonctionnaires (pour 39% d’entre eux), puis les salariés des entreprises publiques (pour 25% d’entre eux) et, enfin, loin derrière, les ouvriers (8% des réponses).
De ce point de vue, il semble bien qu’il existe un écart entre, d’un côté, des déclarations empreintes de conformisme et, de l’autre, des représentations plus triviales. Pour autant, certains résultats du CSA tendent à rejoindre les représentations des internautes en montrant - pour l’année 2004 - que la confiance des ouvriers dans les syndicats est moindre que celle des cadres et professions libérales, comme d éjà indiqué, mais aussi que celle des professions intermédiaires, des employés et, par secteur d’activité, des salariés des entreprises publiques... Cela indiquerait-il que le syndicalisme serait d’abord devenu le fait d’insiders, c’est-à-dire des catégories les plus solidement intégrées sur le plan professionnel et social ?
Les résultats de l’étude de 2005, qui n’ont été publiés que partiellement, conduisent à nuancer cette hypothèse. L’image des syndicats résiste chez les ouvriers mais se déprécie dans les autres catégories. Cela annoncerait-il un retour des « prolétaires » ? En tous les cas, l’image des syndicats paraît plus discutée dans les catégories supérieures (tout en y demeurant plus positive que la moyenne). De surcroît, elle se dégrade sensiblement parmi les salariés du secteur public. Ceux-ci reprocheraient-ils aux syndicats trop de concessions lors du changement de statut de certaines entreprises ? Cela tend à refléter aussi que la sociologie du syndicalisme serait en train de bouger, voire de se rétracter dans ce qui constituait encore des « bastions ». Le sondage TNS-SOFRES publié en janvier 2006 confirme que, dans les représentations collectives, les syndicats défendent d’abord les intérêts des salariés du secteur public (pour 75% des interviewés) puis - assez loin derrière - les intérêts des salariés du privé (pour 51% des interviewés). Le chiffre se dégrade encore plus si l’on ne prend en considération que les intérêts des salariés des petites entreprises (seuls 32% des interviewés estiment que les syndicats défendent ces derniers).
Tableau n° 2 : La confiance dans les syndicats par catégorie sociale (données en % ; source : CSA-CGT)
\20042005Cadres et professions libérales6158Ouvriers5253Professions intermédiaires54Résultat non publiéEmployés53Résultat non publiéSalariés du secteur public5951
L’image des principaux syndicats et de leurs leaders
Quelques études permettent de mesurer la popularité des différentes organisations syndicales (voir le tableau n° 3). On notera - encore une fois - que l’IFOP présente les résultats les plus favorables aux syndicats. Cependant, quelle que soit l’étude, la hiérarchie des organisations demeure assez comparable. La CFDT recueille les résultats les plus positifs, avec la confiance d’un Français sur deux. Elle est dépassée par la CGT dans une enquête de 2004. La NVO du 21 octobre 2005 indique que la CGT, qui recueille 51% de confiance de la part des Français, surclasse toutes les autres organisations à l’automne 2005, mais - là encore - elle ne publie pas les données qui étayent cette affirmation. Globalement, la CGT et FO se classe donc au second rang, avec la confiance d’un peu moins d’un Français sur deux, mais des différences sensibles apparaissent entre les deux confédérations selon les enquêtes. Si la CGT recueille plus de « bonnes opinions », elle se trouve surclassée par FO en termes d’« utilité » pour les salariés. La CFTC et la CGC obtiennent des résultats voisins et forment un troisième groupe d’organisations, avec la confiance de plus de 4 Français sur 10. Les deux confédérations distancent nettement deux organisations plus récentes dans le paysage syndical, SUD et l’UNSA, la notoriété de la première étant un peu plus forte que celle de la seconde.
L’enquête réalisée par Expresion-directe.com précise l’image de quatre organisations au moyen de quelques épithètes ou expressions caractéristiques. La CFDT apparaît « soucieuse de rechercher des compromis » (pour 59% des réponses), « réaliste » (pour 44%), « capable de bons accords » (pour 38%), « en phase avec la société » (pour 36%), « proche du pouvoir actuel » (pour 32%), « démocratique » (pour 30%). La CGT est surtout « présente dans les luttes sociales » (pour 60%), « politisée » (pour 59%), « privilégiant l’affrontement » (pour 47%)... mais peu « réaliste » (11%) ou « démocratique » (8%). Aucun trait ne distingue véritablement FO si ce n’est le réalisme et la recherche de compromis (10% des réponses). Enfin, SUD se distingue par son intérêt pour l’affrontement (pour 33%) et son caractère « politisé » (14% des réponses) ou « indépendant des partis politiques » (pour 11%) semble discuté.
La même étude montre que les leaders syndicaux sont plus contestés que leurs organisations respectives. Bernard Thibault et François Chérèque recueillent un nombre de « bonnes opinions » assez comparables et plus faible que les « mauvaises opinions ». L’image de Jean-Claude Mailly est plus incertaine, non pas que ce dernier soit plus apprécié que ces deux homologues - c’est le contraire qui est vrai - mais parce qu’il souffre plutôt d’un déficit de notoriété par rapport à eux (les « sans opinion » sont bien plus nombreux).
Tableau n° 3 : L’opinion des Français à l’égard des syndicats (% des « bonnes opinion » dans le cas de l’IPSOS et de l’IFOP ; % de « confiance » dans le cas du CSA-CGT ; % de ceux qui jugent le syndicat « utile » dans le cas d’EDC)
\IPSOS-2004 (1)IFOP-2004 (2)IFOP-2005 (2)CSA-CGT-2005(3)EDC-2005 (4)Moyenne indicativeCFDT485359-4551CGT455655513148FO454954-3947CFTC424544--44CGC424346--44SUD-1522-2219UNSA-1419--17
Echantillon de 1010 interviewés âgés de 15 ans et plus. Echantillon de 959 interviewés âgés de 18 ans et plus. Echantillon d’un millier d’interviewés âgés de 18 ans et plus. Echantillon aléatoire de 5059 internautes.
Comments