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Réduction du temps de travail : le précédent des 40 heures, en 1936

Faut-il abroger les lois AUBRY sur les 35 heures ? Par réalisme politique, le gouvernement ne le fera pas. Par réalisme économique, il doit prendre des mesures d?assouplissement, voire de remise en cause.

Au lendemain du Front populaire qui décréta les 40 heures, il fallut procéder de même. Un retour sur le passé est instructif.


Blondel rappelait, dans le Figaro du 7 octobre 2003, qu’il n’était pas « fanatique du partage du travail » et, s’agissant des 35 heures, qu’il avait « contesté immédiatement l’hypothèse arithmétique selon laquelle la réduction du temps de travail se traduirait par des créations d’emplois ».


On ne peut que lui donner acte de sa lucidité, tout en regrettant qu’un certain jour de 1997, il n’ait pas suivi l’exemple de Jean Gandois et quitté la table de la conférence quand Lionel Jospin, le plus déloyalement du monde, annonça qu’il allait recourir à la loi pour abaisser à 35 heures la durée hebdomadaire du travail alors que tout le monde pensait qu’on laisserait d’abord les partenaires sociaux se mettre d’accord par négociation et convention sur un certain nombre de points.


Mais laissons ces regrets rétrospectifs et poursuivons la lecture de l’entrevue de Blondel « cette espèce de calcul d’énarques était une folie ».


On ne peut que souscrire à ce jugement. Ce calcul était bien une folie, ou mieux une sottise, le fruit d’une ignorance parfaite des réalités humaines, mais ne soyons pas d’accord pour en faire porter la responsabilité à des énarques, même si d’aucuns ont en fait repris ce calcul à leur compte.


Il est de mode de brocarder les énarques et les accabler de toutes les erreurs qui se commettent dans le gouvernement et l’administration du pays. Gardons nous de suivre la mode ou d’être entraînés par elle. Et reconnaissons que les énarques peuvent se guérir, si même ils ont été contaminés, de l’irréalisme qu’on attrape trop souvent quand on séjourne trop longtemps dans les écoles ou les facultés.


- Les 40 heures, une revendication syndicale -


En l’occurrence, ce n’est pas à l’ENA qu’a vu le jour le calcul que Blondel à bon droit considère comme démentiel, mais dans le mouvement syndical, et très précisément dans cette partie du mouvement syndical dont la CGT-FO, malgré l’inflexion que lui a donnée Blondel, demeure la continuatrice, la légitime héritière.


Dès la fin du XIXème siècle, pour justifier la revendication des 8 heures qui prenait mal dans les milieux ouvriers, les militants syndicaux faisaient valoir que la diminution de la durée du travail entraînerait une diminution du chômage puisqu’il faudrait plus d’hommes pour fournir la même quantité de travail, chacun d’eux travaillant deux ou trois heures de moins par jour.



Mais c’est surtout avec la grande crise économique de 1931-1935 que l’on vit fleurir l’argument. Que disaient Jouhaux et ses camarades pour justifier leur revendication de la semaine de quarante heures ? Que la quantité de travail nécessaire pour assurer la production était limitée et que, du fait du développement du machinisme, elle ne cesserait que diminuer, si bien que si l’on voulait que chacun eût sa part de travail, il fallait limiter la part de chacun. En enlevant à tous huit heures de travail par semaine, on ferait de la place dans les ateliers à des centaines de milliers de travailleurs alors sans emploi, même si l’on estimait généralement que la diminution de la durée du travail entraînerait une diminution de la fatigue des ouvriers et donc une augmentation significative de leur rendement horaire (on parlait peu alors de productivité) ce qui était de nature à limiter quelque peu le coût du passage aux 40 heures.


Léon Blum adopta sans hésitation ce raisonnement. Il était convaincu, il l’a dit au procès qui lui fut intenté à Riom, qu’en moyenne on ne travaillait même pas quarante heures en France. Les statistiques -moins fiables peut-être que celles d’aujourd’hui- donnaient une moyenne inférieure sans doute aux quarante-huit heures officielles, mais supérieure de quatre ou cinq heures aux quarante heures revendiquées. A son procès Blum, pour justifier sa politique, a fait état d’une conversation qu’on lui aurait rapportée et au cours de laquelle Louis Renault aurait déclaré qu’il serait heureux s’il pouvait seulement donner trente heures de travail à ses ouvriers. Ce fut donc en toute innocence, en toute ignorance qu’on alla aux quarante heures -dont l’application commença dans la métallurgie le 15 novembre 1936.


- Difficultés économiques, dérogations à la loi -


Ce fut la catastrophe. Au moment où la reprise économique, sensible depuis la fin de 1935, s’amplifiait, où les entreprises recommençaient à tourner à plein, la réduction du temps de travail fit qu’on manquât de main d’œuvre. En particulier, on manqua de main d’œuvre qualifiée, et quand on ne peut pas embaucher d’ouvriers qualifiés, on ne peut pas non plus embaucher les manœuvres ou les O.S. comme on ne disait pas encore qui accompagnent les ouvriers qualifiés dans leur travail. L’arithmétique que dénonce aujourd’hui Blondel était fausse pour cause d’égalitarisme. On avait compté comme si tout ouvrier en valait un autre, comme si pouvait demander à n’importe qui de faire n’importe quel ouvrage. Ce n’est pas parce qu’on a des couturières en surnombre qu’on va combler le déficit d’infirmières ! En tout cas, on ne le comblera pas ainsi tout de suite : il faudra le temps d’apprendre à un certain nombre de couturières le métier d’infirmières.


Bref, au lieu de faire disparaître le chômage qui commençait à se résorber, la mise en pratique des quarante heures le fit repartir à la hausse. On fut obligé d’en venir à prendre tel décret qui, comme celui du 21 décembre 1937, portait « dérogation exceptionnelle dans les industries assujetties à la loi sur la semaine de quarante heures qui souffrent d’une insuffisance de main d’œuvre qualifiée » ou leur accordait « un crédit exceptionnel de soixante quinze heures supplémentaires par an au maximum », ou comme celui du 12 novembre 1938 qui autorisait « les chefs d’établissement à faire exécuter les heures supplémentaires nécessaires pour faire face à un surcroît de travail dans la limite de cinquante heures, après simple préavis adressé à l’inspecteur du travail », lequel était autorisé à son tour à accorder « par tranche de quarante heures, le renouvellement de l’autorisation accorder à l’alinéa précédent ». Car la loi du 21 juin 1936, dans sa beauté d’épure, n’avait pas prévu les heures supplémentaires.


Des heures supplémentaires, quand il y a tant de chômeurs ! Mais vous n’y pensez pas !


- Les raisons de l’échec -


La politique économique du Front populaire, dont l’idée majeure était de provoquer le redémarrage de l’économie par l’élévation du pouvoir d’achat des masses aurait sans doute, la dévaluation aidant, résisté aux congés payés, à l’accroissement massif des salaires et à l’inflation qui résulta de ce renchérissement brutal de la main d’œuvre, si dans le même temps où l’on stimulait la consommation, on n’avait pas freiné la production en réduisant brutalement la durée du travail.


La cause de l’échec, elle est là. Voici longtemps qu’Alfred Sauvy en a fait la démonstration, dès 1949, dans un livre qui s’intitulait « Le pouvoir et l’opinion ». Mais les socialistes n’en ont pas tenu compte, les syndicalistes non plus d’ailleurs. Comme Hugo, ils écoutent leur histoire aux portes de la légende. Ils ont continué à célébrer la loi des quarante heures comme l’une des merveilles de notre droit social, sans même se demander un instant si, comme toute mesure même excellente, elle n’avait pas quelques effets pervers. Comme disait Hugo - c’est quelque part dans L’Année terrible :


« Il est mauvais de mettre un crime dans un temple. Et Dieu vit qu’il fallait recommencer l’exemple ».


Le crime, c’était le 18 Brumaire. Le crime, disons plus posément, l’erreur, la faute, ce fut en ce qui concerne notre sujet, la réduction brusque et massive de la durée du travail en 1936, brusque et massive cela veut brutale. Les socialistes lui ont voué un culte, ce qui les a empêchés de profiter de la leçon et c’est pourquoi ils ont récidivé.


Aussi peut-on, comme Jean-Luc Cazettes, le président de la CFE-CGC, se réjouir de la proposition de créer une commission d’enquête sur les 35 heures. Peut-être permettra-t-elle d’y voir un peu plus clair et de mettre en garde les esprits contre les calculs trop simplistes. Les faits sociaux sont plus complexes que les données de l’arithmétique, telle qu’on l’apprenait jadis à l’école primaire.



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