Contre l'avis de Bernard Thibault, son secrétaire général, la CGT appelle à voter « non » au traité constitutionnel européen. Dans les autres syndicats, les positions ne sont pas aussi assurées qu'on pourrait le croire.
Le 28 février dernier, le Parlement réuni en congrès à Versailles a adopté la révision de la Constitution française. 730 députés et sénateurs ont ouvert la voie à un referendum sur la ratification du traité constitutionnel européen (66 parlementaires ont voté contre et 96 se sont abstenus).
Ce referendum, qui se déroulera le 29 mai prochain, est l’occasion d’un étrange remue-ménage politique entre majorité et opposition tout comme au sein de chaque parti politique. On observe, en effet, que les tenants du « oui » et les tenants du « non » s’opposent tant au sein du Parti socialiste qu’au sein de l’UMP, tandis que François Hollande et Jacques Chirac conduisent une campagne énergique en faveur du « oui », effaçant, le temps d’un référendum, leurs divergences politiques françaises.
Au sein des organisations syndicales, les équipes dirigeantes éprouvent bien des difficultés à exprimer le point de vue des adhérents et militants. A l’instar de l’ensemble des citoyens, les syndiqués français sont, à ce jour, grandement dans l’expectative. Le taux d’abstention est, à en croire les sondages, encore élevé. Toujours selon les sondages, le passage de l’abstention au vote négatif est plus fort chez les employés et les ouvriers que chez les cadres.
La CFDT clairement pour le oui
Le positionnement des dirigeants syndicaux est donc prudent.
La CFDT a, pour sa part, très clairement et très tôt pris position en faveur du oui. En septembre 2004, son bureau national a approuvé la position du Comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats qui estime que « la nouvelle Constitution européenne représente une nette amélioration par rapport aux traités actuels ».
Dans une tribune publiée en novembre dernier dans les Echos, François Chérèque affirme : « En disant oui à la Constitution, nous ne résolvons pas tous les problèmes, mais nous nous donnons les moyens de les dépasser dans les années qui viennent ».
Outre sa participation, le 19 mars à Bruxelles, à la manifestation de la Confédération européenne des syndicats, la CFDT organisera le 7 avril à Paris un meeting de soutien au traité constitutionnel.
Cette position est, pour François Chérèque, relativement aisée à prendre, dans la mesure où les partisans organisés du non sont largement partis de la CFDT, après l’affaire des retraites en 2003, pour rejoindre les syndicats SUD ou la CGT.
La CFTC favorable
La CFTC adopte, au niveau national, une position favorable à l’Europe. Son conseil confédéral s’est prononcé en décembre dernier pour un « oui au progrès social », estimant que, comparé au traité de Nice, la Constitution européenne marque « des avancées pour les salariés en matière sociale et économique ».
Une plongée chez les militants CFDT et CFTC fait cependant apparaître un vote beaucoup plus partagé entre le oui et le non que ne pourrait le laisser penser le positionnement volontariste en faveur du oui des dirigeants.
Grande prudence dans les autres syndicats
La CFE-CGC n’a pas encore pris de position officielle, toute occupée qu’elle est à obtenir du gouvernement des contreparties à son engagement officiel en faveur du oui.
Il est vraisemblable que Force ouvrière ne donnera aucune consigne de vote, soucieuse de valoriser son indépendance vis-à-vis du politique (l’organisation n’avait pas donné de consigne de vote au second tour de l’élection présidentielle en 2002, qui opposait Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen).
Alors que Marc Blondel manifestait des critiques publiques en nombre sur l’Europe, son successeur, Jean-Claude Mailly se montre plus prudent.
L’ UNSA a, dès septembre 2004, pris position, tout comme la CFDT, en faveur du traité constitutionnel. Son congrès, qui se tient à Nantes du 15 au 18 mars, sera cependant le théâtre de débats sur le sujet. Héritière de la FEN, l’UNSA compte dans ses rangs de nombreux sympathisants et adhérents du parti socialiste. Ceux de ces adhérents proches de Laurent Fabius, Henri Emmanuelli ou Jean-Luc Mélenchon, hostiles au traité constitutionnel, s’exprimeront avec vigueur.
Pour sa part, la FSU - la grande rivale de l’UNSA - a condamné le 25 janvier dernier le traité constitutionnel, critiquant son orientation libérale... mais sans aller à se prononcer en faveur du non. Le congrès du SNES se tiendra du 4 au 8 avril au Mans et donnera vraisemblablement le ton à la FSU, dont le secrétaire général, Gérard Aschieri, très à l’écoute du Parti communiste, devrait être attentif aux évènements récents de la CGT.
Le désaveu de la CGT à son secrétaire général
C’est, en effet, à la CGT que le référendum a provoqué le plus d’agitation. Le 3 février dernier, le comité confédéral national (CCN) a déjugé Bernard Thibault en appelant à voter non au traité constitutionnel, alors que le secrétaire général ne souhaitait pas fournir aux adhérents d’indication de vote.
Cette absence d’indication de vote était, en fait, le signe d’une évolution significative - et remarquée - de la CGT vers l’Europe. Ayant quitté la Fédération syndicale mondiale (communiste) en 1995, la CGT avait fait son entrée à la Confédération européenne des syndicats en 1999. Elle y cotoie les syndicats anglais, allemands, espagnols, etc, tous favorables au traité constitutionnel. Au congrès de la CES, en 2003, la CGT obtenait même de siéger dans l’organe de direction de la CES.
Le texte adopté par le CCN de la CGT (pour : 81 voix ; contre : 18 voix ; abstentions : 17 voix) est particulièrement net. Le 8 février, la Commission exécutive de la CGT entérinait cette position hostile au traité constitutionnel.
Durcissements CGT à venir
Déjugé par son appareil militant (lui-même composé en très grande partie de militants communistes), Bernard Thibault n’a pas d’autre choix que celui du durcissement du discours syndical et de l’hostilité affichée à l’Europe. Se soumettre ou se démettre : telle est désormais l’alternative que lui ont lancé les membres de l’appareil.
D’ici février 2006, date du prochain congrès confédéral (avancé de septembre à février 2006, de ce fait), la marge de manœuvre de Bernard Thibault dans le domaine des questions européennes est réduite à sa plus simple expression.
Ce durcissement de la CGT sur le dossier européen peut être analysé aussi comme une durcissement sur les dossiers français à venir. Tant au niveau national (dans les négociations notamment) que dans les entreprises, l’ouverture de la CGT à une meilleure compréhension des réalités économiques du pays et des entreprises se trouve stoppée.
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