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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Trente ans d'évolution syndicale à la SNCF

Les résultats des dernières élections professionnelles à la SNCF suscitent de nombreux commentaires. Le pôle réformiste - avec la CFDT et l'UNSA - dépasse désormais 30% d'audience. Il dispose désormais du pouvoir de signer des accords. Cette situation peut ouvrir une nouvelle ère de relations sociales dans l'entreprise ferroviaire. Mais il existe encore bien des inconnues.


L’évolution des relations sociales à la SNCF est soumise à trois inconnues :

1. La première concerne ce qui peut être négociable dans une entreprise comme la SNCF. L’existence d’un statut particulier du personnel limite forcément le champ de la négociation, toute remise en cause étant rendue difficile. Pourtant, des restructurations considérables sont en train d’intervenir dans le secteur ferroviaire qui obligent à faire bouger les lignes. Comment sortir de ce paradoxe ?

2. Qu’est ce que la CFDT et l’UNSA - qui disposent des clés du changement dans les relations sociales - sont-elles prêtes à négocier ? Souhaitent-elles et peuvent-elles vraiment innover compte tenu des pressions - manifestes ou latentes - que continuera à exercer le « pôle radical » (CGT et SUD), certes divisé et donc affaibli, mais disposant toujours de larges soutiens dans l’entreprise ? Dans ces conditions, CFDT et UNSA ne chercheront-elles pas d’abord à consolider leur pré carré, soit à développer et à faire fructifier les nombreux moyens et facilités en termes de droit syndical que leur confère le statut de la SNCF - moyens matériels, personnels mis à disposition... - au lieu d’innover en termes de relations sociales... Bref les marges de manœuvre ne sont pas si larges.

3. Quelles sont les priorités sociales de la direction, qui paraît bien discrète ? Une chose est sûre : comme cela était clairement apparu lors du long conflit social d’avril 2010, la direction n’entend plus se faire dicter l’agenda social par les syndicats. La grève ne serait donc plus le vecteur privilégié de la négociation à la SNCF. Il s’agirait donc d’inventer un autre type de relations, sinon de changer de culture des relations sociales. On imagine bien que tout ne se fera pas en un jour...

Recompositions du paysage syndical

Les élections de 2011 sont aussi l’occasion de regarder dans le rétroviseur et de se demander comment - sur le moyen voire le long terme - les forces syndicales ont évolué. Autrement dit, le reflux de la CGT qui vient d’intervenir est-il purement conjoncturel ou s’inscrit-il dans une tendance plus longue ? De même, s’agissant de la CFDT, de l’UNSA, de SUD ou des organisations qui n’ont pas été reconnues représentatives (faute d’avoir obtenu, au premier tour, 10% des suffrages des cheminots), comment leur audience a-t-elle fluctué depuis ces dernières années ?


Le graphique ci-dessous - inédit - retrace les évolutions depuis 30 ans. Les audiences syndicales sont calculées par rapport aux électeurs inscrits, ce qui permet de tenir compte du phénomène de l’abstention qui a progressé d’une dizaine de points depuis 1992. A l’époque, seuls 15% des cheminots ne participaient pas aux élections. En 2011, l’abstention a touché 25% d’entre eux, se stabilisant par rapport à 2009. On notera au passage que - contrairement aux apparences - ce n’est pas le développement du vote électronique qui explique cette stabilisation. Là où ce vote a été expérimenté en 2011 (dans cinq régions), la participation recule en effet davantage que là où il n’a pas été mis en œuvre (où la participation résiste). Le vote électronique tendrait donc à favoriser partiellement l’abstention. Des doutes éventuels sur le secret ou un possible détournement de son vote (lorsque celui-ci est électronique) et, surtout, une plus grande facilité pour ne pas voter - en raison de moindre pressions des organisations syndicales ou de l’environnement incitant au vote (le vote électronique étant socialement invisible au contraire du vote physique) - contribuent probablement à expliquer cet écart.


Evolution des audiences syndicales à la SNCF (1981-2011) Elections aux comités d’entreprise. En % des inscrits / Source des données : SNCF

NB : UNSA : FMC (avant 1998) ; listes communes CFDT-FGAAC depuis 2009 ; listes communes FO-CGC en 2009 ; listes communes FO-CFTC en 2011.



Reflux de la CGT et de la CFDT

Les audiences électorales calculées par rapport aux inscrits reflètent donc les implantations effectives des différentes organisations syndicales dans le personnel de la SNCF.


Ainsi, 44% des cheminots votaient CGT en 1981 contre 27% en 2011. Cela signifie que la CGT a perdu près de 40% de ses forces en 30 ans. On observe une chute importante au début des années 1980 puis celle-ci ralentit mais, manifestement, une même tendance à la baisse caractérise la courbe de 1987 à 2011. On pourrait tracer une ligne droite entre ces deux dates. Cependant la courbe présente deux bosses. En 1996 et en 2004, la courbe en effet repart (provisoirement) à la hausse avant de décroître à nouveau. Dans ces deux cas, la CGT a tiré un bénéfice de deux mouvements sociaux : ceux de 1995 (contre la réforme da Sécurité sociale et, spécifiquement, contre une première tentative de remise en cause des régimes spéciaux de retraite qui concernait au premier chef les cheminots) et de 2003 (contre la réforme des retraites). On observe clairement que, dans ces deux cas, ces regains d’audience se sont effectués au détriment de la CFDT. Cela est particulièrement net depuis 2002 : l’évolution des audiences de la CGT et de la CFDT sont parfaitement inversées. En revanche, au tournant des années 1990-2000, le reflux de la CGT s’effectue au bénéfice de SUD.

S’agissant de la CFDT, l’évolution est à la baisse de 1992 à 2004. En 12 ans, l’organisation perd 70% de ses forces, passant de 23,5% à 7% des inscrits. Puis une remontée s’amorce à la faveur notamment - depuis 2009 - d’une union avec la FGAAC, syndicat catégoriel des conducteurs de train, devenue la branche conducteurs de la CFDT.

Effacement de la CFTC, de FO et de la CGC

Relativement stable en longue période, les audiences de la CFTC et de la CGC enregistrent quelques progrès, la première à compter de 2006, la seconde de 2009. Mais cela n’est pas suffisant pour leur permettre de recueillir 10% des suffrages exprimés pour de conserver leur représentativité (compte tenu de la mise en œuvre de la loi du 20 août 2008 qui a bouleversé les règles de la représentativité syndicale). FO continue néanmoins à progresser à la faveur d’alliance avec la CGC (en 2009) puis de dissidents de la CFTC (rassemblés dans une structure nouvelle : FIRST), avec qui ont été présentées des listes communes. FO a recueilli 6,2% des inscrits en 2011 (soit 8,6% des suffrages exprimés).


A l’inverse, la CFTC s’effondre en 2011. En fait, l’organisation a longtemps hésité entre une stratégie autonome ou l’alliance avec FO, avant de se diviser et de se quereller devant les tribunaux, tout en voyant une grande partie de ses permanents tenter de sauvegarder leurs mandats en migrant vers la CFDT et, parfois vers la CGT (comme en Lorraine) ou ailleurs. Comme dans le football, on a parlé ici d’un véritable « mercato ». Au final, il convient de parler d’une atomisation de la CFTC qui, au contraire de 2009, ne réussit à conserver sa représentativité dans aucune région SNCF.


Les évolutions de la CGC sont plus difficiles à interpréter. Tout d’abord parce que l’organisation n’a jamais cherché à couvrir tous les collèges de l’entreprise. Elle était principalement présente dans l’encadrement de certaines régions. Globalement, elle a toujours été faible de la SNCF.

SUD et UNSA : dynamique d’un néo-syndicalisme ?

SUD-Rail et l’UNSA-cheminots sont les deux seules organisations à voir leur audience régulièrement augmenter depuis les années 1990. Cela est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de deux syndicats spécifiques à la SNCF, sans affiliation aux confédérations syndicales historiques françaises. Autrement dit, les cheminots se sont progressivement éloignés de ces dernières organisations - traduction des difficultés d’adaptation du syndicalisme confédéral - pour plébisciter ce qui pourrait être un « néo-syndicalisme », plus identitaire et catégoriel (dans les deux cas), renouant aussi avec le militantisme de base (dans le cas de SUD). Au total, l’audience de ces deux organisations a plus que doublé depuis 1996.



Les évolutions ne sont toutefois pas parallèles. Il est vrai qu’elles ne s’adressent pas au même public. SUD demeure principalement tourné vers les personnels d’exécution, l’UNSA vers les cadres et la maîtrise. La première s’affiche contestataire, la seconde se déclare réformiste.


SUD a progressé en escalier et chacun des paliers paraît corrélé avec des affaissements de la CGT et/ou de la CFDT. La stagnation de 2011 pourrait s’expliquer par les confusions qui ont marqué la grève d’avril 2010. Une partie des cheminots aurait donc décidé de sanctionner les deux organisations - SUD et la CGT - à l’origine de ce mouvement. Mais ce n’est là qu’une hypothèse. En 2011, SUD-Rail plafonne donc à 12,5% des inscrits (contre 4,2% en 1996, première participation de SUD aux élections internes à la SNCF).


En revanche, la progression de l’UNSA s’avère plus régulière et l’organisation, restée en dehors du mouvement de 2010, paraît en toucher des dividendes en 2011. Elle rassemble désormais 15,4% des voix des cheminots - toujours par rapport aux inscrits - contre 6,9% en 1981. Depuis 2009, elle est la seconde organisation syndicale de la SNCF, derrière la CGT toujours en tête (avec 26,8% des voix des électeurs inscrits).


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