Les élections régionales et cantonales des 21 et 28 mars dernier, la formation d'un nouveau gouvernement et la déclaration politique générale au Parlement du Premier ministre, le 5 avril, suscitent de nombreuses questions sur les évolutions du climat social et syndical et sur leurs conséquences possibles pour les entreprises.
I - Quelques incidences des résultats des élections régionales et cantonales sur le terrain social et syndical
1.1. Un vent hostile aux réformes, à leur orientation ou à leurs conséquences sociales douloureuses
L’échec électoral de la majorité aux élections régionales et cantonales est aujourd’hui largement interprété, non comme une manifestation d’impatience des électeurs à l’égard de réformes dont les résultats tarderaient à se manifester, mais bien comme un désaveu ou une incompréhension par l’opinion de la volonté réformatrice du gouvernement - ou peut-être seulement de l’orientation des réformes (cf. les éditos de J.C. Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, in FO Hebdo n° 2657 du 30.03.04 et de J. Dintinger, secrétaire général de la CFTC, in La Lettre confédérale n°1031 du 30.03.04) - et, en tout cas, un rejet des conséquences sociales négatives des changements opérés.
1.2. Les organisations syndicales désormais débarrassées d’un rôle d’opposition politique imposé par l’effacement de la gauche après l’élection présidentielle
Le retour de l’opposition socialiste après sa victoire aux élections régionales libère les instances confédérales des syndicats du rôle d’opposition politique qu’elle assumaient jusqu’ici par défaut après la déroute de la gauche plurielle lors des dernières élections présidentielles et législatives. Elles vont pouvoir se recentrer sur des revendications plus syndicales, plus techniques et plus concrètes dans les discussions avec le gouvernement et le parlement. La base militante, toutefois, souvent moins nuancée que la confédération, demeure plus accessible à des discours et des actions politiquement connotés.
1.3. Les centrales syndicales traditionnelles aujourd’hui tiraillées entre les démangeaisons radicales de leur base et la maturité de dirigeants nationaux acquis à la nécessité de certaines réformes
La CFDT évidemment, mais même la CGT et dans une certaine mesure Force ouvrière, sont aujourd’hui tiraillées entre une base tentée par le simplisme et le radicalisme du refus - et sollicitée de rejoindre dans l’action les nouveaux acteurs radicaux -, et des instances confédérales convaincues que certaines réformes sont inéluctables.
1.4. Les syndicats les plus hostiles aux réformes et les plus extrémistes encouragés à faire monter les enchères
Rendues à leur rôle purement social et en meilleure posture face à un gouvernement affaibli et plus ou moins désavoué par l’opinion dans la compréhension de sa volonté réformatrice, les organisations syndicales les plus radicales feront certainement monter les enchères. Elles seront en mesure d’exiger davantage de garanties sociales, et des mesures moins douloureuses pour les salariés, dans les réformes en discussion (assurance maladie, chercheurs, hôpitaux, évolution des entreprises publiques, etc.).
1.5. Les organisations syndicales qui avaient accompagné les réformes, parfois en difficulté elles aussi, tentées par une prise de distance par rapport au gouvernement
Elles mêmes confrontées aux élections... professionnelles, les organisations syndicales qui s’étaient montrées les plus favorables au processus de réforme et avaient accompagné le gouvernement dans la réforme des retraites, subissent parfois elles aussi un échec électoral comparable dans ses causes à celui de la majorité (cf. résultats des élections professionnelles à la SNCF où la CFDT aux élections de DP du 25 mars régresse de 18,6% des suffrages exprimés en 2002 à 7,47%).
Elles auront donc certainement à cœur de se démarquer soigneusement des positions du gouvernement dans les mois à venir et se montreront donc, elles aussi, d’autant plus exigeantes dans les discussions des projets de réforme et autres dossiers qui seront abordés (cf. l’entretien de F. Chérèque de la CFDT au quotidien Le Monde le 31.03.04). Et ce, d’autant plus qu’elles ont le sentiment d’avoir été lâchées par le président de la République. Ainsi, F. Chérèque de la CFDT avait-il dépensé beaucoup d’énergie à défendre le nouveau régime des intermittents. La reculade de J. Chirac sur le sujet ne peut donc être perçue que comme un très mauvais coup à son encontre par le leader de la CFDT.
1.6. Jusqu’aux élections européennes du mois de juin s’ouvre une période aux allures « Wait and see »
Jusqu’aux élections européennes de juin, le terrain social n’échappe pas à la situation étrange créée par un gouvernement qui a peu changé malgré un très net revers électoral de la majorité. Un paradoxe qui induit inévitablement l’idée, chez les partenaires sociaux notamment, qu’il s’agit d’un gouvernement « wait and see » et que les décisions réelles seront prises plus tard par un « vrai » nouveau premier ministre.
II - Raffarin III : un gouvernement du « Bien dialoguer » ou le retour du « Ne rien faire mais pas trop » ?
2.1. Un probable coup de frein sur les réformes
Notre pays est-il encore réformable ? Et en tout cas, le gouvernement peut-il réformer quoi que ce soit d’ici les élections européennes du mois de juin et voir en même temps sa côte de popularité remonter ? Faute d’une réponse positive à ces interrogations, il paraît probable que le train du changement ralentira dans les prochains mois et que la phase de décision de toute réforme délicate sera renvoyée, chaque fois que possible, à des jours meilleurs. Ainsi, dans son discours de politique générale du 5 avril devant l’assemblée nationale, le Premier ministre a-t-il davantage protesté de sa volonté de poursuivre les réformes qu’énoncé un programme et un calendrier d’action pour les prochains mois, le statut d’EDF excepté. Aussi la suppression du Lundi de Pentecôte, le service minimum dans les transports publics, le « contrat de mission » ou la simplification du Code du travail, par exemple, risquent fort de ne pas voir le jour de si tôt.
2.2. Un soin renouvelé pour la concertation avec les partenaires sociaux
L’échec électoral subi par la droite aux récentes élections régionales et cantonales est-il dû à l’absence d’un vrai projet perceptible par les citoyens, ou seulement à un problème de communication, ou bien désormais le désaveu électoral est-il toujours le prix à payer pour la réforme ?
Dans le doute, le nouveau gouvernement devrait maintenant apporter davantage de soin à s’expliquer sur les réformes et à dialoguer avec les partenaires sociaux ; d’autant plus que des doutes et des soupçons ont surgi sur les orientations et les objectifs mêmes des réformes chez certains partenaires sociaux les plus modérés et a priori les moins hostiles au gouvernement (cf. l’édito. déjà cité de J. Dintinger dans La lettre confédérale CFTC du 30.03.04). A cet égard, la nomination de M. Gérard Larcher avec le titre, très inhabituel, de « Ministre délégué aux relations du travail » augure bien d’un soin nouveau apporté à la concertation avec les organisations patronales et syndicales. D’autant plus que M. Larcher, lors de la réforme des retraites avait déjà joué un rôle aussi discret qu’efficace entre l’exécutif et les partenaires sociaux.
2.3. La tentation de ne rien faire comme remède pour calmer les ardeurs des manifestants et à faire revenir les électeurs ?
Mais ne pas réformer suffit-il à faire remonter la côte de popularité du Premier ministre et du Président de la République ? Et à empêcher l’agitation de rue ? Les Français n’ont-ils pas pris l’habitude désormais de faire payer systématiquement à la majorité en place leur goût pour la grogne, la morosité et la recherche de bouc émissaire ?
Et puis, quelle est réellement l’incidence « des réformes » dans le vote pour l’opposition aux régionales ?
Et si le facteur réforme a véritablement joué un rôle déterminant dans le revers électoral subi par l’actuelle majorité, comment évaluer ce qui relève du rejet de la réforme proprement dit et ce qui exprime au contraire l’impatience de citoyens à l’égard de réformes qui tardent à venir (école, accent mis sur la sécurité routière plutôt que sur la sécurité tout court, politique de santé et d’urgence de proximité déficiente, obésité et impotence des services de l’Etat, etc.) ?
Quelle que soit la réponse, le sort des gouvernements successifs depuis une quinzaine d’années montre qu’il est aussi dangereux de donner l’impression de ne rien faire que de vouloir trop en faire en mécontentant différents corporatismes en même temps.
De toutes façons, peut-on imaginer que le nouveau gouvernement, en réponse notamment à la demande d’organisations syndicales comme la CFDT, ne se penche pas de nouveau sur la politique de l’emploi, même et surtout si la reprise économique continuait à se faire attendre ou manquait de vigueur ?
III - Faits et arguments en faveur d’un « troisième tour social »
3.1 L’ultra-gauche battue dès le premier tour cherchera vraisemblablement sa revanche dans la rue
L’ultra gauche a été sévèrement battue dès le premier tour des élections. Elle cherchera certainement à provoquer et animer un troisième tour social ; autant pour prendre sa revanche sur la majorité au gouvernement et sur l’ex-gauche plurielle que pour disputer au syndicalisme traditionnel le contrôle et les bénéfices de mouvements sociaux.
3.2. Un certain nombre de dossiers, à l’origine des récentes protestations sociales, doivent être traités rapidement par un gouvernement sans grande marge de manoeuvre économique et sociale
Même si le nouveau gouvernement veut adopter un profil bas en retardant les réformes par d’interminables concertations, certaines situations intolérables, certains dossiers ouverts ou réformes déjà amorcées, sont à l’origine de mouvements sociaux en cours. Il faudra bien les traiter pendant les « cent jours » . Et comment éteindre ces conflits sans donner satisfaction aux manifestants ? Et comment donner satisfaction aux manifestants sans grever encore le déficit public, augmenter les prélèvements, stopper les baisses d’impôts et sans renoncer à toute réforme ?
3.3. Les protestations catégorielles de ces derniers mois, confortées par l’échec électoral de la majorité, peuvent maintenant espérer plein succès d’une relance des grèves et manifestations
Les animateurs des mouvements sociaux chez les cheminots, chercheurs, pompiers, universitaires, hospitaliers, etc.. se sentent confortés par les résultats des régionales. Il peuvent espérer obtenir d’un troisième tour social les concessions qui leur ont été jusqu’ici refusées. Les reculs amorcés par le gouvernement Raffarin III et annoncés par le Président de la République lors de son entretien télévisé du 1er avril peuvent donner, par exemple, aux intermittents du spectacle, de la recherche d’emploi et de la recherche tout court, pas mal de cœur à l’ouvrage pour la relance des manifestations et autres actions d’éclat.
3.4. La marge de résistance du gouvernement aux grèves et manifestations s’est considérablement affaiblie et les protestataires potentiels le savent
Soucieux de restaurer son image dans l’opinion, le gouvernement sera certainement prêt à beaucoup de concessions pour éviter les grèves et manifestations ; une faiblesse que pourront exploiter de nombreux intérêts catégoriels en amorçant des conflits pour obtenir des négociations avantageuses.
IV - Le pire n’est pas toujours sûr : certains éléments plaident plutôt en faveur d’un printemps socialement apaisé
4.1. Les reculs solennellement annoncés par le Président de la République sur les dossiers les plus chauds tendent dans l’immédiat à calmer le jeu
Lors de son entretien télévisé du 1er avril, le Président de la république a clairement désavoué un certain nombre de décisions socialement contestées du gouvernement Raffarin II. Ce qui a provoqué un effet d’apaisement immédiat d’un certain nombre de conflits sociaux comme on a pu le constater avec les déclarations qui s’en sont suivies chez certains porte-parole de ces contestations, les chercheurs des laboratoires publics ou les chômeurs en fin de droit inquiétés par la réforme de l’ASS, par exemple.
4.2. La gauche parlementaire, de retour mais sans programme, pourrait renoncer à souffler sur les braises avant l’été
Dans les prochaines semaines l’ex-gauche plurielle va être très occupée à engager son action dans le gouvernement des régions. Elle sera aussi rapidement prise au mot de sa volonté de concertation sur la Sécurité sociale. Et elle se trouve surtout confrontée à un retour inattendu aux affaires alors que dépourvue de programme comme de solutions, elle n’est encore riche que d’imprécations et de promesses électorales limitées le plus souvent à la « méthode ». Il est fort possible, dans ce contexte, que socialistes et verts préfèrent asseoir leur image retrouvée de partis de gouvernement que de s’associer à une remise en cause par la rue de la légitimité des urnes.
4.3. L’ultra-gauche, « sonnée » par l’échec électoral de la coalition LO - LCR, pourrait avoir perdu de sa capacité mobilisatrice dans la population
Le rééquilibrage à gauche au profit de la gauche parlementaire et la défaite électorale des trotskistes de LO et de la LCR aura certainement affaibli dans l’opinion l’image de la gauche « alternative » et du « mouvement social ». L’avenir dira si cet échec de l’extrême gauche aux élections régionales et cantonales et son éviction des conseils régionaux entamera ou non sa capacité à mobiliser la rue et à récupérer les conflits, insatisfactions sociales et autres inquiétudes catégorielles.
V - Quelles conséquences pour le climat et les relations sociales dans les entreprises ?
5.1. Débarrassés du rôle d’opposition politique de circonstance avec le retour de la gauche, les syndicats ne devraient pas mobiliser fréquemment les militants d’entreprise pour des protestations générales
L’opposition politique était à terre et à peu près inexistante pour discuter les réformes du gouvernement après la déroute et le traumatisme des dernières élections législatives et présidentielles. Aussi, comme symétriquement le Medef en 1997 après l’éclipse de la droite, les organisations syndicales se sont-elles retrouvées en situation et posture obligée d’opposition politique. Ce qui les a conduit, en 2003 pour les retraites notamment, à mobiliser parfois leurs militants d’entreprises pour des actions de mise en garde ou de protestations générales à l’égard du gouvernement. Ce type de désagrément imposé à l’entreprise ne devrait pas être monnaie courante dans la période qui s’ouvre. D’autant plus que le côté « gouvernement provisoire » de ce ministère Raffarin III devrait calmer le jeu dans le camp des syndicats.
5.2. Les dossiers à traiter par le gouvernement dans les semaines à venir et les risques sociaux qui leurs sont liés ne devraient pas mobiliser les salariés des entreprises
Les dossiers chauds de l’heure (chercheurs, chômeurs, intermittents, hospitaliers, agents de l’EDF, etc.), à l’exception de la réforme et du financement de l’assurance maladie, concernent davantage des populations, syndicats et « acteurs sociaux » extérieurs que les salariés et structures syndicales des entreprises. Si bien que les « causes » des diverses catégories sociales concernées par ces conflits se sont avérées jusqu’ici peu mobilisatrices pour les salariés et syndicats des entreprises. Et rien n’indique que la situation doive évoluer à brève échéance.
5.3. Les restructurations, délocalisations et « plans sociaux », principale source de détérioration du climat et de conflits sociaux dans les entreprises
Dans la situation économique actuelle et le contexte nouveau créé par le résultat des élections régionales, alors que les partenaires sociaux abordent la dernière ligne droite de leur négociation sur les plans sociaux, - prélude à une nouvelle réforme législative du licenciement collectif -, les sources possibles de conflit dans les entreprises au cours des prochains mois devraient être le plus souvent internes à l’entreprise et concerner essentiellement les restructurations.
En clair, l’archétype de l’entreprise devant craindre une dégradation de son climat social, de ses relations syndicales ainsi que des conflits et des grèves, est celle qui, tout en étant bénéficiaire, lancerait un plan social visant à fermer tel ou tel de ses établissements pour le délocaliser dans un pays de l’Est ou du Tiers monde.
5.4. « L’action paie » : les réactions catégorielles confortées par les événements récents
Le résultat des élections est apparu comme un soutien apporté par les électeurs aux différents mouvements catégoriels en lutte contre tel ou tel projet ou décision du gouvernement. Avec pour conséquence la remise en causes de certaines décisions combattues. Ce qui tend à conforter, dans l’opinion militante et dans l’opinion tout court, le sentiment que « l’action paie ». Un état d’esprit qui pourrait conduire, y compris dans l’entreprise, certaines catégories à se lancer dans un conflit.
5.5. La CGT en forme pour appeler à l’unité syndicale dans les entreprises
Face à une CFDT secouée par les conséquences internes et externes de son accompagnement des réformes et à une organisation Force ouvrière en attente de ligne stratégique après l’élection d’un nouveau secrétaire général, la CGT apparaît en meilleure forme pour appeler à l’initiative et à l’unité syndicale dans les entreprises sur les salaires, les conditions de travail, les créations d’emploi, etc..
5.6. Les conflits sociaux ou sociétaux extérieurs davantage à craindre pour leurs nuisances potentielles aux entreprises
Parmi les dossiers qui attendent le gouvernement dans les prochains mois, figurent nombre de thèmes brûlants comme la privatisation d’EDF (cf. le discours de politique générale du Premier ministre le 05 avril), l’obligation européenne d’ouvrir à la concurrence la distribution du gaz, de l’électricité ou le transport ferroviaire, etc. Autant de sujets susceptibles de conduire à de fortes mobilisations et à des grèves pouvant affecter les entreprises dans leurs approvisionnements, leurs livraisons ou les déplacements de leur personnel.
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