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  • Photo du rédacteurMarie-Emmanuelle Crozet

Du dialogue social au dialogue sociétal ?

Au lendemain du « Grenelle de l'environnement », la question du chiffrage des mesures proposées reste entière. Tout ne sera pas réalisé. En revanche, ce « Grenelle de l'environnement » devrait marquer de façon décisive les évolutions constatées dans les relations entreprises - ONG.


Aujourd’hui encore, les relations entreprises/ONG s’inscrivent essentiellement dans le cadre du mécénat. Les multiples formes qu’elles revêtent (financière, compétences, technologie) permettent à chaque acteur de s’inscrire dans une démarche solidaire et à cet égard, éthique.


Ainsi, le groupe SUEZ« participe au financement de projets associatifs portés par ses salariés, ou ceux de ses filiales, dans les domaine de l’environnement et du développement durable »(10 ans d’initiatives de responsabilité sociale, SUEZ, janvier 2006, p.252.). La Poste présente dans son rapport développement durable 2005 son partenariat institutionnel avec laCroix-Rougefrançaise. Le groupe EDF est lié à laFondation Nicolas Hulotau travers de la Fondation EDF.


Si ce type d’action souligne un comportement solidaire, elle ne suffit pas pour autant à inscrire l’entreprise dans une démarche responsable ou durable. Car la responsabilité sociétale de l’entreprise tient à la prise en charge des impacts - négatifs ou positifs- de son activité. Elle dépasse l’action caritative et solidaire. Il est demandé à l’entreprise de maîtriser toutes les facettes de son activité et de ses moyens de production.



Vers une nouvelle gouvernance


Le Grenelle de l’environnement, qui s’est tenu en France en octobre 2007, comptait dans son organisation un groupe de travail dédié au thème suivant :« Construire une démocratie écologique : institutions et gouvernances ».L’objectif était de réfléchir à la mise en place d’instances paritaires (composé de représentants de la société, des syndicats et des associations) au sein desquelles les politiques du développement durable pourront être élaborées à l’avenir.


Plusieurs mesures ont été proposées par les membres de ce groupe de travail, parmi lesquelles certaines concernent directement le secteur privé et ses relations avec les acteurs associatifs engagés sur le thème du développement durable.


La première mesure importante concerne la participation des représentants de la société civile à la gouvernance des entreprises. La mise en place d’un dialogue ouvert avec les dirigeants de l’entreprise passerait par la création de cadres ad hoc, dans lesquelles les réformes écologiques à entreprendre seraient examinées sous l’angle de la délibération, du partenariat pour une meilleure gestion intégrée des problématiques.

Réforme du paritarisme concernant les Comités d’entreprise (Extrait du rapport remis en septembre 2007 par le groupe 5 et comprenant les propositions de l’Alliance pour la Planète - p.12) Création en concertation avec les syndicats et le patronat, d’un second collège réservé aux ONG et associations de l’environnement, représentatives et élues par les salariés de l’entreprise, qui aurait pour mission précise de veiller à tout ce qui touche à l’environnement et à la santé des salariés et des consommateurs destinataires des biens ou services produits par ladite entreprise ; Renforcement des alertes et de la surveillance des conditions de vie et de travail des employés Expertise sur la production de l’entreprise. Droit de regard des associations de protection de l’environnement concernant les biens et les services que les entreprises mettront sur le marché. Entreprises concernées : les entreprises de plus de250 salariés et dont le chiffre d’affaire annuel est supérieur à 50 millions d’eurosou dont le total du bilan annule est supérieur à 43 millions d’euros (critères européens).

Initialement proposée par l’Alliance pour la Planète, l’initiative faisait partie des propositions de la campagne présidentielle de Ségolène Royal et a définitivement trouvée sa place dans le contexte du « Grenelle » organisé par un gouvernement de droite.


Aujourd’hui, certaines entreprises s’acheminent progressivement vers ce type de gouvernance. Ainsi, AREVA adhère depuis 2003 auComité 21 françaispour l’environnement et le développement durable, dont le rôle est d’accompagner, d’identifier et de valoriser les bonnes pratiques pour contribuer à leur développement. AREVA y rencontre des ONG et des acteurs publics du développement durable, ce qui n’a pas été sans difficultés au début, compte tenu de la sensibilité particulière de l’activité nucléaire du groupe. La premièreStakeholders sessionorganisée sous l’égide duComité 21a eu lieu en 2004, les suivantes en 2006 et 2007. Depuis 2005, AREVA a formalisé 6 engagements en réponse aux attentes de participants. Le programme de progrès « AREVA WAY » implique le management du groupe dans une politique volontariste de respect de l’environnement, de prévention et de maîtrise des risques technologiques, d’intégration de ses activités dans les territoires et d’implication sociale et sociétales. Ces axes de progrès sont sanctionnés par un processus d’autoévaluation annuel dans toutes les entités du groupe au plan mondial, par des audits de performance durable pratiqués tous les deux ans par l’agence INNOVEST, et par une notation de deux ou trois unités chaque année par l’agence VIGEO. Les enjeux de développement durable figurent aux côté des priorités stratégiques dans le panorama de développement d’AREVA depuis 2006.


Le groupe LAFARGE, pionnier en la matière, a mis en place un panel de parties prenantes depuis 2003. Ses membres se réunissent 2 fois par an pour envisager des sujets aussi divers que« la diversité des employés, la santé professionnelle et la construction durable ».Ces membres constituent une micro société dédié à la gouvernance du Groupe LAFARGE et l’on y retrouve des représentants d’ONG comme leWWF France,CARE France. La multinationale du ciment est entrée dans une logique de partenariat où les participants du panel de parties prenantes émettent un avis sur sa politique de développement durable dans le rapport annuel.



Extrait du rapport développement durable du Groupe Lafarge, 2006

De nombreuses entreprises, amenées à revoir leur stratégie suite à l’action de lanceurs d’alerte sur des mauvaises pratiques, s’investissement aujourd’hui dans des projets directement liés à leur cœur de métier. Au cœur de la stratégie d’entreprise, le développement durable est envisagé comme un investissement dans le temps.


Les associations, parties prenantes de ces actions et acteurs de la gouvernance sur un thème précis, participent à la responsabilité d’encadrer et de crédibiliser la politique de développement durable de l’entreprise par des audits écologiques et/ou sociaux, la prise de décision en commun, l’évolution des pratiques managériales ou la rationalisation de l’utilisation des ressources de l’entreprise... Ces nouvelles formes de gouvernance se concrétisent peu à peu dans des partenariats stratégiques.



Les partenariats stratégiques de l’ONGWWF-Francesur la question de la certification du bois et de la gestion des forêts en sont un exemple. IKEA, dont la plupart des articles incorporent du bois dans leur fabrication, a mis en place un programme de certification du bois vendu par ses fournisseurs. Les bois d’origine tropicale sont certifiés selon les normes duForest Stewardship Council(FSC), mises en place par des ONG. Quatre niveaux doivent être respectés pour que l’entreprise puisse continuer à exploiter le bois. L’entreprise est auditée chaque année par des forestiers ainsi que par une organisation tierce,Rainforest Alliance Smart Wood Program, qui se déplace dans les pays d’importation des matières premières de la multinationale. En 2006, ils ont audité des fournisseurs basés en Russie, en Chine et en Roumanie (Rapport de Développement Durable 2006, p. 41).



D’autres exemples existent qui confortent le développement des relations entre parties prenantes. EDF donne la parole à son panel développement durable, parmi lesquels siègent des représentants d’ONG (CARE, ENDA). AREVA a rejoint en 2006 la BLIRH,Business Leaders Initiative on Human Rights, qui collabore avec des ONG commeAmnesty Internationalpour la promotion des droits de l’Homme là où les entreprises sont implantées. Au Niger, où AREVA exploite un important champ minier, le groupe participe à la lutte contre le sida avec des ONG locales.



Le cadre d’information des entreprises évolue


La seconde mesure importante concernant les entreprises propose de renforcer les obligations en matière d’informations. A l’issue de ce Grenelle, les parties prenantes du développement durable en France sont tombées d’accord sur la nécessité de communiquer davantage sur les pratiques industrielles des acteurs privés afin d’établir des grilles de lecture communes des impacts environnementaux et sociaux de leurs activités. Cette demande s’inscrit dans le prolongement de la NRE de mai 2001 (Art. 1.225 - 102-1) qui spécifie que les entreprises cotées sur un marché réglementé doivent rendre compte dans leur rapport annuel :« sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ».

Renforcer le cadre d’informations concernant la responsabilité sociale de l’entreprise (Extrait du rapport remis en septembre 2007 par le groupe 5 et comprenant les propositions de l’Alliance pour la Planète - p. 10) Concernant le rôle des entreprises sur ces questions, il a été mis en avant la nécessité de développer uneréelle obligation d’informationpar le renforcement de la l’article L. 225 - 102-1 du code du commerce (article 116 de la loi NRE) sur les informations demandées dans le rapport financier annuel des entreprises cotées Ajout dans le code du commerce que « la non transmission de ces informations spécifiques constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de la société, envers les tiers » Modifier le paramètre des entreprises assujetties afin que celui-ci corresponde au périmètre de la consolidation comptable. Ceci permettrait en effet de donner une image fidèle de la situation financière et de l’action du groupe sur les questions sociales et environnementales.

Interrogés sur les relations du groupe avec les communautés locales dans les pays où LAFARGE est implanté, Philippe Lévèque, Président de CARE France, intervient en ces termes dans le rapport 2006 :« ... Lafarge déclare avoir une excellente gestion des relations avec les communautés. Toutefois, cette affirmation peut et doit impérativement être contestée en l’absence de preuves, d’objectifs clairs, de mesures, de points de références par rapport à d’autres entreprises du secteur et d’un reporting plus solide (Groupe Lafarge, Rapport de développement durable 2006) ».


Le WWF, partenaire du groupe depuis 2001 intervient en ces termes dans le rapport annuel du Groupe : « Néanmoins, nous avons une nouvelle fois été déçus par le manque d’informations relatives au suivi et aux données sur les émissions de polluants persistants, comme les dioxines ou le mercure (...) Par ailleurs, WWF salue la pro activité de Lafarge dans sa reconnaissance des arguments des parties prenantes dans le différend actuel sur l’extraction de sables marins en Bretagne. Nous l’encourageons à développer un dialogue constructif pour trouver une solution »(Groupe Lafarge, Rapport de développement durable 2006).


Finalement, l’intervention de ces acteurs dans le rapport annuel du groupe revêt autant d’importance que la certification d’un cabinet d’experts comptables, en apportant une forme de garantie aux actionnaires et aux parties prenantes sur le développement durable. Ainsi, capital financier et capital immatériel sont intégrés au cœur même de la stratégie de l’entreprise. Dans un sondage IFOP (Site Internet WWF France), réalisé pour GENERALI en avril 2006, 68% des chefs d’entreprises ont déclaré avoir prévu l’adaptation de la stratégie de leur entreprise pour faire face aux enjeux environnementaux, dont 54% avant cinq ans...Il reste aux nouveaux « partenaires sociaux » que sont les ONG à trouver les leviers d’une action efficace au sein des entreprises qui les convient à participer au dialogue sociétal. En effet, contrairement aux syndicats de salariés, dont la représentativité vis-à-vis des salariés comme de la direction est garantie par la loi, les ONG ne sont que des prescripteurs invités en matière de gouvernance. Et chez AREVA, on constate que là où existent des lignes d’opposition entre l’entreprise et les ONG, les évolutions sont lentes et rares. Et là où existent des lignes de fracture, les positions restent totalement figées.


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