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Photo du rédacteur Jean-Frédéric Poisson

Les risques psycho-sociaux: une actualité grandissante

Les risques psycho-sociaux au travail prennent une actualité grandissante. Les expertises, les commissions parlementaires, les groupes de travail, les textes de loi, les accords nationaux entre partenaires sociaux font écho aux préoccupations, dans les entreprises, des acteurs concernés : directions, managers, CHSCT, services de santé, syndicats. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale vient de recevoir les conclusions de la mission d'information qu'elle avait confiée à M. Jean-Frédéric Poisson. Objectif : préciser l'état des lieux dans le secteur privé et formuler des propositions d'action. Nous publions ci-après le regard posé par Jean-Frédéric Poisson sur les développements récents du phénomène et ses conséquences pour l'économie. Nous publions aussi, en exclusivité, l'intégralité du rapport qui vient d'être remis à l'Assemblée nationale et qui permet au lecteur de disposer des propositions qui concernent tous les acteurs de l'entreprise.

1. Des risques répandus

Il est difficile de mesurer le stress au travail mais les statistiques actuelles montrent que de plus en plus d’actifs souffrent de troubles psychosociaux dans leur vie professionnelle. En France, les consultations pour risque psychosocial sont ainsi devenues en 2007 la première cause de consultation pour pathologie professionnelle [1].


Selon la seconde édition du baromètre annuel de l’Observatoire de la vie au travail (OVAT) [M@rs-lab, cabinet spécialisé dans la prévention des (...)" style="text-decoration: none; color: rgb(204, 102, 102);">2], 65 % des salariés se sentent exposés au stress dans leur entreprise (contre 55 % en 2009). De même selon un sondage réalisé par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et l’institut CSA [3], 41 % des salariés se déclarent stressés dans leur quotidien et 60 % attribuent ce stress à leur vie professionnelle. La multiplication des consultations hospitalières spécialisées dans la prise en charge de la souffrance au travail témoigne de cette évolution. La première a été mise en place à Nanterre en 1997. Aujourd’hui, il en existe 28 en France.

2. Des pathologies d’une nature et d’une gravité très variables

Comme l’ont montré M. Michel Gollac, directeur de recherche au Centre d’études de l’emploi et M. Serge Volkoff, directeur du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail, lors de leur audition par la mission d’information, si les suicides au travail ont focalisé l’attention des médias, ils ne constituent malheureusement que la « partie émergée de l’iceberg » de la question des risques psychosociaux tant les maladies causées par le stress au travail touchent de nombreuses personnes et connaissent une progression importante. Les effets du stress sur la santé sont clairement identifiés et reconnus. L’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail montre un consensus des partenaires sociaux sur ce sujet « L’individu est capable de gérer la pression à court terme mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée à des pressions intenses. (...) Le stress n’est pas une maladie mais une exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité au travail et peut causer des problèmes de santé ». Comme le montrent les travaux de M. Christophe Dejours, psychanalyste, les risques psychosociaux peuvent altérer la santé dans toutes ses dimensions : mentales (troubles du sommeil, suicide...), physiques (trouble musculo-squelettique, accidents cardio-vasculaires), et sociale (perte de compétence, renoncement à la formation...). Dans son ouvrage « Travail, usure mentale » [4], M. Christophe Dejours pointe l’accroissement de plusieurs pathologies liées au travail :

  • les pathologies de surcharge, provoquées par l’augmentation des contraintes de cadences et de productivité : les troubles musculo-squelettiques, les lésions par efforts répétitifs, les lésions d’hypersollicitation ;

  • le « karôshi » [5], qui désigne une mort subie par accident vasculaire alors que le sujet n’a aucun antécédent et ne présente comme seul facteur de risque que la surcharge de travail ;

  • le « burn-out » [6], ou « syndrome d’épuisement professionnel » qui se manifeste par l’épuisement, le découragement ainsi qu’une dévalorisation de soi ou une dépression ;

  • les affections post-traumatiques provoquées par une confrontation fréquente à la violence et aux agressions ;

  • les violences pathologiques, qui ont pour conséquence que les agents deviennent eux-mêmes des agresseurs (troubles de la conscience, confusion mentale, état de délire) ou retournent cette violence contre eux-mêmes (suicides) ;

  • les pathologies cognitives, provoquées par de nouvelles formes d’organisation du travail : troubles du jugement, de la mémoire, désorientation spatio-temporelle... Le baromètre « santé 2005 » montre que parmi les affections déclarées, une part significative des personnes stressées déclare avoir ressenti un ou plusieurs symptômes parmi lesquels des tensions musculaires (29 %), des troubles du sommeil (25 %), de l’anxiété (25 %), une baisse de vigilance (12 %). La prise de médicaments psychotropes à la suite d’une situation de stress professionnel concernerait 13 % des hommes et 22,9 % des femmes. Selon la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, 20 % des causes des arrêts maladie de plus de quarante-cinq jours seraient liées à des troubles psychosociaux.



Plusieurs états pathologiques ont pu être mis en relation avec le stress :

  • les troubles musculo-squelettiques peuvent être liés à des situations de stress au travail : ils sont la première cause de reconnaissance de maladie professionnelle en France pour les personnes âgées de quarante à soixante ans, le nombre de cas étant en progression continue depuis plus de dix ans [7]. Leur coût représentait plus du tiers des indemnisations du régime général au titre des maladies professionnelles en 2008 ;

  • les relations entre certains facteurs professionnels de stress et le risque de maladies cardio-vasculaires ont été également étudiées : a été ainsi démontré un risque accru de maladies coronariennes, d’accidents vasculaires cérébraux et même de décès par maladies cardio-vasculaires chez des personnes en situation de « job strain », c’est-à-dire exerçant une activité professionnelle stressante sans disposer de grandes marges de manœuvre ;

  • des situations de stress chronique pourraient également, selon l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), se traduire par de l’obésité abdominale, une résistance à l’insuline, de l’hypertension artérielle, une augmentation du taux de cholestérol ou le développement de triglycérides.

3. Des risques qui touchent toutes les catégories socioprofessionnelles

Selon la seconde édition du baromètre annuel de l’Observatoire de la vie au travail (OVAT), les petites et moyennes entreprises de 50 à 250 salariés sont les plus exposés aux risques psychosociaux [8]. En outre, les personnes âgées de trente-cinq à quarante-cinq ans sont les plus stressées et les plus affectées par leur condition de travail [9] et les femmes sont plus fréquemment exposées au « job strain » [10]. Pourtant, même si des différences apparaissent selon le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, la catégorie socioprofessionnelle, l’âge ou le sexe des travailleurs, le stress touche l’ensemble des catégories de salariés. Les managers, en raison de leur fonction d’encadrement, n’échappent pas aux risques psychosociaux, bien au contraire. Le sondage réalisé par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et l’institut CSA [11] montre que le taux de personnes se déclarant stressées est de 47 % pour les catégories socioprofessionnelles supérieures et 57 % pour les cadres supérieurs contre 41 % pour l’ensemble des salariés. Ainsi, les catégories socioprofessionnelles supérieures sont 40 % à attribuer leur stress à une charge de travail trop importante (contre 36 % pour l’ensemble des sondés), 18 % se sentent seuls dans leur travail (contre 15 % pour l’ensemble des sondés) et 45 % considèrent manquer de moyens pour faire leur travail (contre 37 % pour l’ensemble des sondés).

4. Le délicat décompte des suicides liés à la vie professionnelle

M. David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, souligne, dans son rapport relatif à la prévention du suicide en France [12], qu’il n’existe pas encore de recensement des suicides sur le lieu de travail ou présentant une forte présomption d’être liés au travail : les études dans ce domaine sont peu nombreuses. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, 10 000 décès seraient enregistrés chaque année à la suite d’un suicide. Sur ces 10 000 décès, l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS) évalue à environ 400 le nombre de suicides qui seraient liés au travail. La branche accident du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale ne dénombre les suicides déclarés comme accident du travail que depuis 2007 et selon elle, 107 décès par suicide ont fait l’objet d’une demande de reconnaissance au titre des accidents du travail entre janvier 2008 et décembre 2009 dont 56 pour la seule année 2009 [13]. L’incertitude sur le nombre de suicides liés au travail est donc assez considérable. Elle s’explique notamment par la difficulté d’établir un lien certain entre la vie professionnelle et ces suicides, dont les causes sont souvent multiples. Pour autant, il doit être clair que cette difficulté, si importante qu’elle soit, ne saurait valoir exonération pour l’entreprise de sa responsabilité en la matière.

5. Un coût important pour l’économie

S’il existe un consensus pour dire que le stress professionnel coûte cher, on dispose de peu d’études scientifiques à ce jour sur ce sujet. Pourtant, en raison de leurs conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise (absentéisme, turn over [14], baisse de productivité, dégradation du climat social, mauvaise ambiance de travail, démotivation, baisse de créativité), les problèmes de santé mentale engendrent un coût économique important pour l’entreprise comme pour la collectivité.



Selon une étude réalisée en 2002 par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, en croisant des données macroéconomiques et épidémiologiques de 2000, le stress au travail (dépenses de soins, celles liées à l’absentéisme, aux cessations d’activité et aux décès prématurés) aurait un coût compris entre 830 millions d’euros et 1,6 milliard d’euros. Après une actualisation de cette étude entreprise en 2009 à partir de chiffres de 2007, l’Institut évalue ce coût entre 1,9 et 3 milliards d’euros [15]. Cependant, cette évaluation présente un certain nombre de limites sur lesquelles les auteurs insistent : plusieurs facteurs de stress (reconnaissance, soutien social...) ne sont pas pris en compte, seules certaines pathologies (maladies cardiovasculaires, dépressions et troubles musculo-squelettiques) font partie du champ de l’étude et la dimension du coût lié au mal-être au travail n’a pas été prise en compte. Par conséquent, le coût total serait, en réalité, bien supérieur. Le bien-être des salariés dans leur travail est une condition indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise : l’amélioration de la prévention concernant les risques psychosociaux est donc un impératif, non seulement en raison de leur impact sur la santé des salariés, mais aussi en raison de leur coût économique.

6. Une problématique européenne

Au sein de l’Union européenne, 28 % des travailleurs seraient exposés à au moins un facteur susceptible d’affecter de manière défavorable leur bien-être mental, soit 56 millions de personnes [16]. Le stress serait à l’origine de 50 % à 60 % de l’ensemble des journées de travail perdues. En 2002, la Commission européenne a estimé que le coût annuel du stress lié au travail dans l’Union européenne à quinze était de 20 milliards d’euros [17]. Le Bureau international du travail estime, quant à lui, que les pertes de qualité, l’absentéisme et le turn over résultant du stress représenteraient entre 3 % et 4 % du PIB des pays industrialisés. L’Organisation mondiale de la santé évalue, quant à elle, que le stress professionnel représenterait pour un pays 2 à 3 % de son PIB.

Consulter le texte intégral remis par M. Jean-Frédéric POISSON à la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les risques psycho-sociaux au travail (février 2011).

[1] Source : Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.

[2] Cette enquête a été menée par M@rs-lab, cabinet spécialisé dans la prévention des risques sociaux et le management de la performance sociale, en collaboration avec l’Institut de médecine environnementale (IME) et en partenariat avec l’Express. 6 700 salariés français ont participé à cette enquête menée de juin à juillet 2010.

[3] Sondage réalisé par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et l’institut CSA auprès de 1000 salariés du 25 mars au 1er avril 2009.

[4] Dejours (Christophe) « Travail, usure mentale - de la psychopathologie à la psychodynamique du travail » Bayard, 1980.

[5] Le terme japonais « Karoshi » signifie littéralement « mort par excès de travail ».

[6] À l’origine, « burn-out » est un terme de l’industrie aérospatiale. Il désigne une fusée à carburant solide montant à vive allure puis qui retombe à terre et explose, lorsque le combustible est « burn out » (épuisé). Il a été ensuite utilisé dans la littérature médicale anglo-saxonne, sous le terme de « burn out syndrome » pour désigner un état d’épuisement professionnel.

[7] En 2007, 34 200 nouveaux cas ont été indemnisés, contre 18 264 cas déclarés en 2001

[8] Ce résultat est corroboré par le sondage réalisé par l’ANACT et le CSA en 2009 qui montre que plus l’organisation du travail est complexe plus elle génère du stress : les salariés des petites entreprises apparaissent moins affectés par le stress puisque 68% des salariés des très petites entreprises se déclarent non stressés.

[9] Source : seconde édition du baromètre annuel de l’Observatoire de la vie au travail (OVAT). Dejours

[10] Source : enquête SUMMER 2003.

[11] Sondage réalisé par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et l’Institut CSA auprès de 1000 salariés du 25 mars au 1er avril 2009.

[12] Le Breton (David) : rapport du comité de pilotage chargé de proposer des pistes d’amélioration pour la politique de prévention du suicide, présenté à Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé et des sports (mars 2009).

[13] Seuls les salariés couverts par la branche sont dénombrés, les fonctionnaires, les agriculteurs et les salariés de France Télécom ne sont pas pris en compte.

[14] Le turn over est le renouvellement du personnel sur un poste de travail.

[15] Trontin (Christian), Lassagne (Marc), Boini (Stéphanie), Rinal (Saliha) « Le coût du stress professionnel en France en 2007 » (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles).

[16] Eurostat, Statistics in focus, 2009.

[17] European Commission, Guidance on Work-related Stress, “Spice of life or kiss of death ?” (2002).

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