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  • Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Nos amortisseurs sociaux sont-ils toujours efficaces ?

Le système social français a joué depuis 1945 un rôle clé dans l'absorption des chocs économiques que le pays a connu. La crise actuelle le met à rude épreuve. La réforme fiscale engagée par le gouvernement touche à des équilibres profonds.


Parce que la France a été épargnée par le mouvement des Indignés en 2011-2012, il a pu sembler que les amortisseurs sociaux du système français étaient assez puissants pour encaisser les chocs d’une crise qui a précipité des milliers de citoyens dans les rues dans d’autres pays et d’autres continents. Il était pourtant hautement probable que le rattrapage se ferait tôt ou tard si la reprise économique tardait. L’alternance politique de 2012 a permis de prolonger encore un peu l’espoir que la France allait trouver en elle-même les recettes lui permettant à la fois de conserver un haut niveau de protection sociale et de gagner en compétitivité pour faire repartir son économie. Les organisations syndicales ont accompagné cet espoir. Après avoir conduit en intersyndicale un long combat contre les effets de la crise (2008-2010), elles ont poursuivi leur mouvement contre la réforme des retraites (2010), avant de se séparer fin 2012 sur la question de la « sécurisation de l’emploi », ce nouveau nom donné à la question récurrente de la compétitivité.



Et en même temps, pendant toute cette période, tantôt dans la rue, tantôt dans la négociation, les partenaires sociaux n’ont pas ménagé leurs efforts pour adapter le modèle social français aux exigences de la flexibilité. On doit à ces efforts l’invention de la rupture conventionnelle, la portabilité du droit individuel à la formation (DIF), la négociation des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou encore l’extension à tous les salariés de la complémentaire santé, parmi tant d’autres innovations sociales.


Pourtant, ces efforts n’ont pas suffi à prévenir une grogne fiscale qui a pris la forme d’une jacquerie, lorsque la crise a fait voler en morceaux la dernière des protections sociales : l’emploi. L’accumulation soudaine de plans sociaux qui éclatent maintenant révèle qu’il ne peut y avoir de garanties collectives en dehors de la compétitivité économique. Pour l’avoir négligé, les Ateliers nationaux d’Auguste Blanqui ont sombré dans la faillite en 1848. Le risque existe aujourd’hui que le modèle social français ne suive le même chemin si la France n’adopte pas des mesures propres à lui faire retrouver le chemin de la croissance.


- Remise à plat de la fiscalité -


Dans ce contexte, la remise à plat de la fiscalité à laquelle le Premier ministre vient de s’attaquer, en invitant les partenaires sociaux à œuvrer avec lui, est une arme à double tranchant. Le sujet met en cause trois équilibres : la capacité de l’Etat à maîtriser son propre budget ; la part fiscale du financement de la protection sociale ; la compétitivité du travail en France par rapport aux autres pays européens.


Sur le budget de l’Etat, les organisations syndicales ont jusqu’à présent plutôt été un frein qu’un levier économique. Il ne faut sans doute pas attendre beaucoup de prise de risque de Force Ouvrière, première organisation syndicale représentative chez les fonctionnaires, ni de la CGT, très attachée à la défense des services publics, ni encore de la FSU et de Solidaires, qui tirent tous une grande part de leur puissance des positions détenues dans la fonction publique. Une réforme fiscale qui poserait la question du poids de l’Etat dans la dette de la France ne pourra pas se faire d’un commun accord avec les syndicats de fonctionnaires.


Sur la question du financement de la protection sociale, les organisations syndicales tiennent des positions ancrées dans leur histoire. A la fois fondatrices et gestionnaires du paritarisme depuis 1945, les organisations représentatives en tirent trop de prestige moral et aussi de ressources financières pour pouvoir engager dans l’urgence une réforme fiscale qui inclurait la remise en cause du « salaire socialisé » que représentent les prestations sociales. Il n’est pas impossible que des aménagements à la marge soient consentis. Les prestations familiales, par exemple, pourraient sortir des charges sociales et être transférées sur l’impôt. Mais une telle solution, si elle peut avoir pour effet de faire baisser le coût du travail, n’est pas immédiatement synonyme de baisse des impôts pour les Français.


Enfin, la question de la compétitivité reste aujourd’hui une donnée centrale. Comment rendre aux entreprises françaises les marges de manœuvre dont elles ont besoin pour gagner en profitabilité, investir, relancer les embauches et contribuer ainsi à ramener les comptes sociaux à l’équilibre ? Faut-il diminuer leurs impôts ? Sortir des 35 heures ? Taxer le capital ? Il n’existe aujourd’hui aucune convergence entre les partenaires sociaux sur ces thèmes.



Le ministère de l’économie et des finances, à Paris-Bercy


La réforme fiscale engagée par le gouvernement touche donc aux équilibres profonds du système social français, dont on attend par ailleurs qu’il joue sans défaillir son rôle d’amortisseur des effets de la crise, jusqu’à un hypothétique retour à bonne fortune. Telle quelle, l’équation à résoudre nécessiterait de la part du pouvoir politique une force de persuasion que sa dégringolade dans les sondages ne lui offre plus guère.


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