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  • Photo du rédacteur François Charpentier

Quelle protection sociale pour 2027 ?

Les réformes sociales engagées au début du quinquennat en 2017 ont été stoppées par la pandémie COVID-19 et par les exigences sanitaires, économiques, budgétaires qui en ont découlé.


Le quinquennat qui va s’ouvrir en avril 2022 verra inévitablement surgir à nouveau le besoin de penser la protection sociale des temps futurs.

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François Charpentier est un journaliste reconnu des questions sociales depuis plus de 45 ans. Il est un spécialiste incontesté de la protection sociale, rédacteur de plusieurs ouvrages de référence, depuis une « Encyclopédie de la protection sociale » en 1494 pages (pas moins) jusqu’au synthétique Que sais-je ? sur « Les retraites complémentaires », en 128 pages.


L’ouvrage « Quelle protection sociale en 2027 ? » (Economica, 2011, 168 pages, 23€) est une belle mise en perspective de ce qui attend le président de la République qui sera élu le 24 avril 2022. Il pose les données des problèmes à résoudre : retraites, assurance-chômage, branche autonomie, etc. Il aborde les sujets délicats tels ceux de la « grande Sécu » et des mutuelles, du coût de la protection sociale et de l’équilibre des comptes ou encore de la gouvernance du système français et du paritarisme.


Chacune des sept réformes examinées fait l’objet d’une approche très pédagogique, depuis l’historique du sujet traité jusqu’à la situation actuelle et les schémas d’évolution possibles.


On trouvera ici l’exposé des motifs que rédige l’auteur à notre attention. Car cet ouvrage ne s’adresse pas seulement aux candidats à l’élection présidentielle ; il intéresse aussi les acteurs et les observateurs de la vie sociale.

Bernard Vivier

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Le 24 avril 2022, à 20 heures, les Français auront élu un nouveau président de la République. De droite ou de gauche, peu importe. Après un quinquennat sérieusement perturbé en 2020 et 2021 par une pandémie dont il n’est pas certain que nous ayons vu tout à fait le bout, les questions qui se posaient en 2017 nécessitant des réformes qui, toutes n’ont pu être conduites à leur terme, se posent encore aujourd’hui. Elles devront donc être poursuivies et bouclées sur la durée du prochain quinquennat, d’ici à 2027. Dans les mêmes conditions ? Certainement pas (...)


La violence de la crise sanitaire a été telle que les pouvoirs publics s’en sont remis à une stratégie du « quoi qu’il en coûte », dont personne n’a contesté le bien-fondé, mais dont personne non plus n’a mesuré tous les effets en période de sortie de crise.


Il n’est pas certain que les prévisionnistes en charge de décrire notre environnement économique et social dans les prochains mois et de nous dire comment pourraient évoluer le marché du travail et les modes de vie de Français bousculés dans leurs certitudes et leurs habitudes en sachent beaucoup plus. Et nous-mêmes encore moins. Il faut donc faire preuve d’humilité et de prudence dans l’interprétation des données. Ce qui peut paraître vrai aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain. C’est la difficulté de l’exercice.


Pour répondre aux questions qui se posent autour de l’avenir de la protection sociale, nous avons retenu sept thèmes sur lesquels des réformes nous paraissent indispensables dans l’optique de préserver un « modèle social » qui a fait ses preuves.

1/ Rééquilibrer les comptes sociaux


Il ne s’agit pas de critiquer la politique du « quoi qu’il en coûte », mais d’en prendre une juste mesure et d’écouter ce que nous disent les experts sur les modalités d’un nécessaire redressement des comptes publics et sociaux. L’exercice est indispensable mais, nous le savons aussi, périlleux. Car si la conjoncture économique semble se redresser et termes d’emploi et de croissance, nul n’ignore la fragilité de scénarios qui ignoreraient la hausse du prix de l’énergie, le coup d’arrêt de la croissance en Chine et les goulets d’étranglement apparus dans les besoins de main-d’œuvre et dans la production des micro-processeurs – pour ne citer que ces deux exemples. La reprise de l’inflation dans la plupart des pays développés, qui pourrait résulter de ces différents facteurs, déboucherait alors sur une relance à la hausse des taux d’intérêt avec des incidences majeures sur un pays endetté.

2/ Prendre en compte la transformation du marché du travail.


Les Français ne sortiront pas indemnes d’un confine- ment qui a conduit à accélérer, voire à amplifier les changements que l’on pressentait avant la crise sanitaire sur le marché du travail

Que sait-on de la place demain du télétravail dans les entreprises et dans les administrations ? De nombreux jeunes, pour les uns très éloignés de l’emploi et d’autres qui le sont moins, aspirent tous à une autre organisation de leur mode de vie et s’accommodent de contrats de travail plus souples. Ne faut-il pas réfléchir à une consolidation de ces nouvelles formes d’emploi, au besoin en imaginant une autre articulation entre CDI, CDD et contrats courts de moins d’un mois ? Quelle protection sociale leur accorder ? Plus largement, faut-il envisager de nouvelles règles d’attribution des prestations familiales dans le but de préserver un système de protection sociale reposant sur le principe de la répartition ? Et comment assister financièrement les plus de 18 ans qui sont dans le besoin, tout en les incitant à se porter sur le marché du travail ?



Il est d’autant plus urgent de répondre à ces questions que notre système de protection sociale repose sur un équilibre entre des actifs qui cotisent et des inactifs qui reçoivent. Or, il bute aujourd’hui, et sans doute encore plus demain, sur le vieillissement de la population, avec pour conséquence un glissement de la cotisation vers l’impôt. Avec quels effets sur la gouvernance et la générosité des régimes ?

3/ Réformer l’assurance chômage.


Son périmètre s’est élargi depuis 2017 à de nouvelles catégories d’assurés : démissionnaires et indépendants. Ses modalités de financement aussi. Pour autant, les déficits à répétition apparus au milieu des années 1970 demeurent. Ils se sont lourdement aggravés ces deux dernières années du fait d’un large recours au chômage partiel visant à soutenir les salariés et les entreprises. Comment faire évoluer ce système pour qu’il favorise le retour à l’emploi, tout en tenant compte des aspirations nouvelles des jeunes par rapport au travail ? Comment mieux articuler les dispositifs existants avec ceux de la formation professionnelle et de l’apprentissage qui rencontrent aujourd’hui un franc succès ? Ce sont, là aussi, des réflexions à conduire sans délai.

4/ Continuer à réformer le système de soins.


Plus personne ne croit à la fable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), reprise en boucle depuis l’année 2000, d’une France disposant du meilleur système de santé du monde. La vérité oblige à dire aujourd’hui qu’on serait bien en peine d’établir un palmarès dans la mesure où la crise sanitaire des dix-huit derniers mois a pris au dépourvu la plupart des pays de la planète. Avec le recul, on serait donc tenté de dire que la France n’a pas fait plus mal que ses voisins. Bien au contraire. Pour autant, des insuffisances criantes sont apparues, nécessitant une nouvelle réflexion sur l’organisation de notre système de soins. Ce travail a été amorcé avec l’adoption définitive par le Sénat du plan « Ma santé 2022 », en juillet 2019. Le « Ségur de la santé », approuvé dans l’urgence à l’été 2020, a adapté ce premier dispositif aux circonstances : revalorisations salariales, financement de lits supplémentaires dans les hôpitaux, réduction de la part du financement à l’activité (T2A), investissement de 6 Md€ dans les Ehpad. Le 29 septembre 2021 un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) pose la question délicate de l’articulation entre assurance maladie obligatoire (AMO) et les assurances maladie complémentaire (les AMC). Enfin, le projet de loi de finances pour la sécurité sociale (PLFSS 2022) a encore ajouté quelques pierres aux réformes en cours. Beaucoup a donc été fait, mais beaucoup reste à faire, nous disent les professionnels, pour faciliter l’accès aux soins, désenclaver les « déserts médicaux », réformer les services d’urgence des hôpitaux, revoir la place des ARS (agences régionales de santé) et redéfinir le rôle des assureurs complémentaire dans le système de soins.

5/ Muscler la « cinquième branche autonomie »


La prise en compte de la dépendance fait désormais partie de la sécurité sociale. Elle a sa branche. Elle a sa caisse avec la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie). Et, partant de là, elle a ses financements. L’approche globale retenue par les pouvoirs publics, en conformité avec les principales orientations tracées dans le rapport Libault de mars 2019, en fait un sujet de débat à part entière. Est-elle annonciatrice d’une nouvelle forme de gouvernance pour les quatre autres branches de la sécurité sociale, faisant davantage intervenir les territoires et les professionnels ?

6/ Assurer le financement des retraites.


Ce n’est évidemment pas parce que les réformes prévues et pour partie engagées, et même votées en première lecture, ont été différées que les problèmes qui justifiaient une réforme ont disparu. Les partenaires sociaux qui participent à la gestion des régimes, notamment des systèmes complémentaires, sont reconnus pour leur compétence. Ils sont parfaitement au courant de l’état des prévisions. Ils savent aussi, pour les avoir eux-mêmes pilotés, que depuis des années des orientations ont été prises visant à simplifier, à mieux faire fonctionner et à rendre plus juste un système sans équivalent dans le monde par sa générosité. Comment le maintenir à son niveau d’efficience dans une société vieillissante ? Au-delà des jalousies catégorielles soigneusement entretenues depuis des lustres par ceux qui croient encore avoir des intérêts de boutiquiers à défendre, c’est la seule question qui vaille. Il faut donc la poser clairement et y répondre dans les meilleurs délais. Toute année gagnée dans la mise en œuvre d’une réforme permet de diluer dans le temps l’effort à consentir. Là encore, c’est une évidence.

7/ Ajuster la gouvernance de la protection sociale ?


Depuis la mise en place de la sécurité sociale en 1945, des régimes complémentaires de retraite Agirc en 1947 et Arrco en 1961 et de l’assurance chômage en 1958, la primeur a été officiellement donnée aux syndicats et aux organisations patronales dans la gestion des régimes. Cette option, confirmée en 1967 par les ordonnances Jeanneney, bute cependant sur une triple réalité.



11 décembre 2019 : le projet de réforme des retraites

D’abord, la tentation a toujours été grande pour les gouvernements, de gauche ou de droite, de s’immiscer dans la gestion paritaire. Ce fut vrai à l’assurance maladie où, dès le début des années 1970, les gouvernements ont commencé à mettre en place des plans de redressement ; puis, à l’assurance chômage en 1984 quand Pierre Bérégovoy a confié à l’État la prise en charge des dépenses de solidarité ; enfin, dans les régimes Agirc Arrco quand l’État perturbait la gestion paritaire par d’incessants relèvements du plafond de la sécurité sociale.



Deuxième réalité ensuite, le poids de la protection sociale est tel – 790 Md€ de dépenses publiques et privées en 2018, selon la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques (DREES), soit un tiers de la richesse produite chaque année – que l’État ne peut objectivement s’en désintéresser.


Une troisième réalité s’impose enfin au fil des années. Conformément aux intentions initiales, la sécurité sociale étend son périmètre et s’universalise. En conséquence, elle est de moins en moins financée par des cotisations assises sur les seuls salaires. Elle l’est de plus en plus par l’impôt, via la CSG (contribution sociale généralisée). C’est vrai à l’assurance maladie depuis 1996, à l’assurance chômage depuis 2018 et cela le sera, en 2024, pour « la cinquième branche autonomie ». La tendance est-elle irréversible ? En tout cas, un retour en arrière ne semble pas aller dans le sens de l’histoire. Partant de là, peut-on imaginer un mode de gouvernance plus respectueux des partenaires sociaux, en sachant qu’en dehors des interventions de l’État il faut aussi compter sur celles de l’Europe, sans oublier les contraintes d’une mondialisation galopante ?


Les candidats qui se pressent pour faire leur entrée à l’Élysée sauront- ils et voudront-ils s’emparer de ces sept thèmes pour en discuter avec les Français ?



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