La mise en place des 35 heures de travail hebdomadaire pose la délicate question du SMIC. Comment le gouvernement va-t-il l'organiser ?
Le nouveau gouvernement tiendra-t-il ses promesses et celles du candidat élyséen ? Il faudra quelque temps pour le savoir, mais on sait déjà qu’il tient certaines des promesses qu’avaient faites ses prédécesseurs.
Ceux-ci avaient inscrit dans la loi du 19 janvier 2000, la « seconde loi Aubry », qu’avant le 31 décembre 2002, des mesures devraient être envisagées pour relever le SMIC de façon à rendre la garantie de rémunération mensuelle sans objet au plus tard le 1er juillet 2005 et qu’à cette date, devenue sans objet, elle cesse de produire effet.
Or, le gouvernement Raffarin a accepté, si l’on peut dire, de jouer le jeu. Il n’a pas cherché à casser le dispositif calamiteux mis en place par les lois Aubry, il s’est engagé dans l’harmonisation des SMIC et il a gardé la date butoir de 2005, sans se donner, comme on le lui suggérait du côté patronal, un délai supplémentaire.
Les socialistes, dans leur loi, n’avaient fourni aucune indication -et ils ne l’ont pas fait depuis- concernant les mesures qu’il conviendrait de prendre pour réussir la « réunification » des SMIC, sauf qu’elle devait se faire en tenant compte de l’évolution du salaire mensuel de base et de la progression du SMIC.
C’était un bien maigre viatique pour une route aussi périlleuse.
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A la vérité, la situation créée par la pluralité des SMIC qu’engendrait la création de la garantie de rémunération mensuelle n’était pas tout à fait sans précédent.
La loi du 2 janvier 1970, qui changea le SMIG en SMIC, avait interdit ’une interdiction qui dure encore- d’inscrire dans les conventions ou les accords de salaires des clauses comportant des indexations sur le SMIC , cela pour empêcher que les hausses des SMIC aient un effet inflationniste en se répercutant sur l’ensemble des salaires, mais, comme nombre d’allocations ou d’indemnités étaient déjà indexées sur le SMIG, la même loi décida que dans toutes les dispositions législatives ou réglementaires comportant une référence au SMIG, ce dernier est remplacé [...] par un minimum garanti qui, comme l’était le SMIG, serait indexé uniquement sur les prix, et non, comme le SMIC également sur l’évolution des salaires.
Outre son objet propre, défini dans la loi, le calcul du minimum garanti offre cet avantage de montrer que le pouvoir d’achat du SMIC s’est accru considérablement, le SMIC montant beaucoup plus vite que les prix. En vingt ans, du 1er janvier 1970 au 1er janvier 1990, le SMIC est passé de 3,27 F à 32,66F , le minimum garanti de 3,27 F à 16,39 F, l’un multiplié en gros par dix, l’autre par cinq.
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Autre précédent, plus proche de la situation présente : l’ordonnance du 16 janvier 1982 abaissant de 40 à 39 heures la durée hebdomadaire du travail stipulait que les salariés bénéficiant de cette réduction ne pourraient recevoir une rémunération mensuelle inférieure au SMIC multiplié par 173,33 : c’était la première forme de l’actuelle GRM.
Ainsi, était en fait créé un SMIC à deux vitesses , comme on l’a dit à l’époque, le SMIC officiel défini par décret, et un SMIC de fait résultant de la formule les 39 heures payées 40 (ou les 169 payées 173).
La loi du 3 janvier 1985 a permis le rattrapage en autorisant le gouvernement à majorer exceptionnellement le SMIC : de 2,56 % le 1er mai 1985.
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Il n’est pas impossible que les auteurs des lois Aubry aient pensé qu’ils avaient mis en place un mécanisme de rattrapage automatique du SMIC.
En effet, alors que le SMIC évolue en fonction de l’indice des prix et de l’indice du pouvoir d’achat des salaires moyens, la garantie de rémunération mensuelle croît en fonction de l’indice des prix et en fonction, non plus de l’indice du pouvoir d’achat des salaires moyens, mais en fonction de celui du pouvoir d’achat du salaire mensuel de base ouvrier.
Or, le salaire mensuel de base ouvrier croît moins vite que les salaires moyens, si bien que le SMIC officiel pouvait ainsi croître un peu plus vite que les GRM et les différents SMIC qui en résultent et, finalement rattraper ceux-ci l’un après l’autre. Avec du temps.
Mais c’était sans compter avec les sauts de carpe du SMIC chaque 1er juillet, et la création à cette date d’une nouvelle garantie mensuelle, et donc un nouveau SMIC de fait, qui creusait encore la distance entre lui et le SMIC officiel.
Le dispositif conçu par le gouvernement Raffarin comporte quatre mesures essentielles :
1. 1. Après celle qui est intervenue le 1er juillet dernier, il n’y aura plus calcul de nouvelle garantie de rémunération mensuelle. Cette garantie restera à son taux actuel, du moins en fait de pouvoir d’achat.
2. 2. Comme c’était le cas précédemment, les GRM ainsi figées seront revalorisées chaque 1er juillet, mais seulement en fonction de l’indice des prix, sans tenir compte du mouvement de l’ensemble des salaires, ni des salaires moyens, ni des salaires de base.
3. 3. Le gouvernement paraît avoir voulu faire d’une pierre deux coups et démanteler le SMIC dont les effets pervers (la « smicardisation » d’un nombre toujours plus élevé de salariés) sont de plus en plus sensibles. La double indexation du SMIC aurait permis au SMIC officiel de progresser plus vite que les SMIC-GRM indexés seulement sur les prix. Le gouvernement a préféré ramener le SMIC au SMIG : comme lui, il ne variera plus automatiquement qu’en fonction de l’indice des prix.
4. 4. Cette uniformisation de l’indexation, jointe à l’interdiction de fixer de nouvelles GRM, empêchera les SMIC-GRM de monter plus vite que le SMIC officiel, mais croissant au même rythme, ils conserveraient leur distance. Des coups de pouce successifs permettront de porter le SMIC officiel au niveau du plus élevé des SMIC-GRM.
Les taux actuels du SMIC officiel et du SMIC-GRM le plus élevé sont de 6,83 F et 7,61 F, soit 0,78 F d’écart, c’est-à-dire 11,42 %. C’est donc d’une hausse de 11,42 % qu’il faudra affecter le SMIC en trois ans, ce qui ne peut manquer de peser sur les coûts.
Peut-être toutefois l’effet inflationniste sera-t-il moins grand qu’on ne peut le penser de prime abord, à la fois parce que cette hausse ne se répercutera pas entièrement sur l’ensemble de la hiérarchie et parce qu’ un très grand nombre de salariés, passés aux 35 heures bénéficient déjà, directement ou non, d’un SMIC de fait plus élevé que le SMIC officiel : une partie du chemin a déjà été parcourue.
Quant aux entreprises qui sont toujours aux 39 heures, ce qui est le cas du plus grand nombre de celles qui emploient vingt personnes et moins, des exonérations de charges viendront compenser largement l’effet de la hausse des salaires sur les prix de revient.
La solution est loin d’être sans reproche, et c’est le moins que l’on puisse dire, mais elle est couramment admise.
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Souhaitons que cet expédient provisoire ne durera pas trop longtemps. Sans doute cela exigera-t-il une révision substantielle des modes de financement de notre régime de prévoyance sociale.
Le plus grave est ailleurs : il est dans l’inévitable écrasement de la hiérarchie que va entraîner cette élévation brutale du SMIC. Autrement dit, elle va accentuer ce qu’on a appelé la « smicardisation », l’accroissement continu du nombre des salariés payés au SMIC. Répétons-le : ce n’est pas la marque d’un appauvrissement, mais celle au contraire d’un enrichissement. Le pouvoir d’achat des « smicards » a rattrapé celui des salaires qui, naguère encore, gagnaient cinq, dix, quinze pour cent de plus que le SMIC.
Les partisans affichés de l’égalité des salaires ne sont guère nombreux, mais beaucoup cultivent encore la vieille utopie au fond de leur cœur. C’est là évidemment un phénomène désastreux, matériellement et moralement. Il brise l’émulation, décourage les efforts personnels pour accroître ses capacités professionnelles, pour se perfectionner. Et puis, l’âme humaine étant ce qu’elle est, c’est pour beaucoup un motif de satisfaction, de considération de soi-même que de savoir qu’il y a des gens qui gagnent moins que vous.
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