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Le travail, une valeur toujours centrale

  • Photo du rédacteur: Bernard Vivier
    Bernard Vivier
  • il y a 3 heures
  • 11 min de lecture

par Bernard Vivier


Les débats actuels sur le besoin de travailler davantage pour produire des richesses et pour maintenir la France en bonne place dans la compétition mondiale, se prolongent sur d’autres débats, touchant au travail lui-même. Objectif : organiser, humaniser le travail. Plusieurs ouvrages abordent le sujet.


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L’actualité économique et financière met à nouveau la question du travail sur le devant de la scène.

Pour renouer avec la croissance et la production de richesses nouvelles, pour sortir de la crise financière dans laquelle nous sommes plongés, pour garantir à notre économie nationale sa performance sur la scène internationale, le besoin de « travailler plus » est de nouveau mis en avant. Travailler chacun un peu plus ? Travailler tous ? Le débat est ouvert.

La question de la quantité de travail nécessaire au redressement de notre économie et de nos comptes nationaux est relayée par d’autres questions, relatives à la qualité et aux conditions de travail, à son organisation, à sa rémunération, à l’organisation des relations collectives.


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Pendant la période des « trente glorieuses » décrite par Jean Fourastié (les trente années de forte croissance économique qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale), la question ne se posait pas dans les mêmes termes. Le débat sur le travail se confondait fréquemment avec celui de l’emploi.

Ce n’est qu’au milieu des années 1990, bien après les crises économiques des années 1970 et suivantes, que la question du travail est revenue sur le devant de la scène.

Le travail collectif piloté par Jean Boissonnat dans le cadre d’un très solide rapport du Commissariat du Plan peut être considéré comme un tournant dans cette évolution de l’approche. « Le travail dans vingt ans » était le titre de ce rapport prospectif publié en 1995.


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Au même moment, un courant « anti-travail » se développait, jalonné de productions révélatrices de la méfiance des auteurs à l’encontre du travail, de la productivité, de la croissance. Citons certains de ces ouvrages au titre évocateur : « La fin du travail » de Jérémy Rifkin en 1995 (préface de Michel Rocard), « Le travail, une valeur en voie de disparition » de Dominique Méda en 1995, ou encore « L’horreur économique » de Viviane Forrester en 1996.

Dominique Méda écrit ainsi : « Hommes politiques, experts et économistes rivalisent aujourd'hui pour trouver les moyens d'augmenter le volume de travail. Tous semblent tenir pour acquis que l'homme a besoin de travail et que celui-ci non seulement a toujours été mais encore demeurera au fondement de notre organisation sociale. Et si cela était faux ? Si le travail n'était qu'une « invention » récente dont nos sociétés ont ressenti la nécessité dans un contexte historique particulier, une solution déjà datée dont nous pourrions désormais nous passer ? »


En 2025, trente années plus tard, la méfiance à l’encontre d’une croissance considérée comme meurtrière pour la planète ne s’est pas effacée. Les tenants de la décroissance trouvent même dans l’exigence écologique une légitimité nouvelle à leur combat.


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Pour autant, les réflexions actuelles sur le travail et le besoin de travail demeurent. Objectif : concilier l’exigence de produire et l’exigence de rendre le travail toujours mieux adapté aux hommes et aux femmes.

Les derniers mois ont ainsi vu la parution d’ouvrages sur le sujet. Citons-en quatre :

- « Sortir du travail qui ne paie plus », d’Antoine Foucher, août 2024 ;

- « La France doit travailler plus… » de Denis Olivennes, Albin Michel, janvier 2025 ;

- « Le travail est la solution », de Bertrand Martinot et Franck Morel, juin 2025 ;

- « Gagnez plus ! C’est maintenant. Votre travail mérite d’être bien payé », Pierre Gattaz et alii, Fayard, août 2025.


De ces ouvrages, nous avons retenu celui de Bertrand Martinot et Franck Morel pour en présenter ici quelques « bonnes feuilles ». Les auteurs passent en revue les différents leviers d'action à notre disposition pour réconcilier le travail et les travailleurs : SMIC, retraites, formation, droit du travail, santé, dialogue social, ...

On trouvera ci-après les propos consacrés au dialogue social. Les auteurs soulignent notamment la nécessité d'affirmer le légitimité de la négociation collective, notamment dans sa relation avec la loi et avec les décisions et justice. Élargir et sécuriser le champ du dialogue social : vaste programme !

 

~Bernard Vivier



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ÉLARGIR ET SÉCURISER LE CHAMP DU DIALOGUE SOCIAL

par Bertrand Martinot et Franck Morel


Depuis l’après-guerre, la place du dialogue social dans l’élaboration des règles qui régissent les relations de travail n'a cessé de s'étendre. Dans un contexte de ralentissement de la productivité et donc de diminution des « fruits de la croissance », un dialogue social loyal et équilibré est un moyen d'éviter la radicalisation des mouvements sociaux. En outre, en permettant de trouver parfois l'équilibre optimal pour l'organisation du travail à la croisée des besoins de l'employeur et des salariés, avec des souplesses et des garanties, des contraintes et des contreparties, ii peut apporter une contribution décisive à la résolution des crises du travail.

C'est pourquoi on ne peut que saluer la forte augmentation du nombre d'accords collectifs d'entreprise et de branche signés chaque année qui témoignent de la vigueur du dialogue social, du moins sur le plan quantitatif. Pour autant, la situation pourrait être grandement améliorée grâce à trois types de réformes.


- Agrandir le terrain de jeu -


Le code du travail a été utilement organisé en distinguant trois catégories de normes : les dispositions d'ordre public auxquelles il ne peut en aucun cas être dérogé, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives qui s'appliquent à défaut d'accord collectif. II reste encore des domaines dans lesquels toutes les normes sont d'ordre public. Or, dans certains cas, ii n'y a aucune raison pour interdire au dialogue social de s'y investir.

La première catégorie de sujets vise des règles parfois très techniques et détaillées en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs qui, de plus, résultent souvent de la transposition de directives européennes. L'intervention de la négociation collective devrait donc s'inscrire dans ce cadre. Qui dit norme détaillée peut dire aussi obligation d'un processus de certification qui peut permettre également d'aider entreprises et négociateurs. Traitement du bruit, protection des machines, utilisation des écrans, suppression et réduction du risque chimique renvoient tous par exemple à des processus techniques précis qui s'appuient sur les principes généraux de prévention des risques professionnels mais qui déclinent ceux-ci de manière pratique. Ces principes généraux pourraient donner lieu à une mise en application concrète adaptée par la négociation collective aidée de certificateurs, de préventeurs le cas échéant.

Le contrat de travail et la formation professionnelle sont d'autres domaines que la négociation collective pourrait investir plus largement. II en va ainsi, par exemple, de la forme des contrats, des cas de rupture, des clauses de dédit-formation ou encore de l'adaptation du contenu et de la fréquence des entretiens professionnels.


La branche professionnelle est le niveau de négociation pertinent des lors qu'il s'agit de mutualiser certains moyens de formation professionnelle ou de protection sociale complémentaire ou encore d'organiser la concurrence via la fixation de salaires minima ou de classifications. Pour que !'extension du domaine du dialogue social soit réellement suivie d'effet à ce niveau, il est indispensable que les branches professionnelles aient une masse critique suffisante, y compris financière, ce qui n'est généralement pas le cas aujourd'hui. Dans ce contexte, la reprise du mouvement de restructuration des branches, qui sont aujourd'hui environ 220, est nécessaire. Se fixer un objectif d'un regroupement en une centaine de branches apparaît réaliste.


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Des fusions autoritaires faisant peu de cas des différences de métiers et d'historique des relations sociales seraient toutefois contre-productives car, clans ce domaine, c'est la reconnaissance mutuelle et volontaire des négociateurs qui fondent l'existence d'un tel ensemble. Mais là encore, une évolution de la législation dans un sens plus incitatif pourrait faciliter les choses. Ainsi, plutôt que d'imposer au forceps une uniformisation des textes conventionnels, ce qui est souvent un obstacle à l'opération car générateurs de surcoûts pour les entreprises ou de crainte de régression pour les syndicats, i1 vaudrait mieux laisser une plus grande latitude aux négociateurs pour maintenir des différences entre les anciennes branches fusionnées. En revanche, mesurer l'audience et la représentativité des organisations patronales et syndicales dans un champ plus large regroupant plusieurs branches en une seule est un vrai gage d'efficacité, car cela oblige à unifier l'appréhension des enjeux et à disposer d'organisations suffisamment robustes pour négocier efficacement sur l'ensemble du nouveau champ.


- Mieux organiser les relations juge/négociation collective -


Encourager le dialogue social et privilégier la nonne négociée sur la norme étatique est une chose. Faire en sorte que les accords, une fois signes, ne soient pas suspendus aux décisions de justice en est une autre. II faut que la posture du juge, en cas de contentieux, tienne compte de la légitimité particulière de cette norme. II y va de la solidité des normes conventionnelles et de la crédibilité du dialogue social. De ce point de vue, une inscription de l'accord collectif dans la Constitution, non pas pour lui conférer un quelconque domaine réservé par rapport à la loi mais pour lui conférer une légitimité plus forte, le rendrait plus aisément opposable au juge et serait donc un pas dans la bonne direction.


Un exemple concret permet d'illustrer l'enjeu de cette opération. Si le juge a bien accepté que l'accord collectif soit présumé conforme aux prescriptions légales lorsqu'il opère une différence de traitement entre salaries, il n'a pas eu la même démarche, malgré une prescription légale, en matière de recours au travail de nuit. Un principe général de présomption de conformité de l'accord collectif aux prescriptions légales doit pouvoir aboutir ace qu'un contentieux juridique soit traité de manière distincte selon que la norme en cause repose sur une source relevant du seul pouvoir de décision de l'employeur, d'un contrat de travail ou d'un accord collectif. Ainsi, des différences de traitement entre salaries prévues par un accord collectif, donc accepté par des syndicats majoritaires dans l'entreprise ou la branche, devraient être présumées légales si l'accord est valide.


D'une manière plus générale, il est encore trop fréquent que des décisions de justice puissent remettre en cause !'application de normes conventionnelles au grand dam des signataires des accords, sans qu'on ait le sentiment que le juge ait bien mesuré la portée de sa position. Alors même que le gouvernement doit produire une étude d'impact lorsqu'il envisage de modifier la loi, rien de tel n'est exigé de la jurisprudence. Or, combien d'accords permettant par exemple la conclusion de convention de forfaits en jours ont pu être annulés par le juge concernant des milliers d'entreprises et des centaines de milliers de salariés ? II ne serait donc pas illégitime que les juridictions de cassation produisent et publient une étude d'impact économique et social, lorsqu'elles opèrent un revirement de jurisprudence ou traitent une question de droit nouvelle. Ces juridictions pourraient s'appuyer sur les services de l'Etat ou encore sur la Cour des comptes afin de procéder à une telle étude.


- Conforter un syndicalisme constructif et responsable -


Notre démocratie sociale est aujourd'hui mise en péril par le manque de négociateurs. On peut avoir une croissance exponentielle de sujets à négocier et de souplesses possibles... mais être en réalité dans l'incapacité de le faire faute de pouvoir s'adresser à des interlocuteurs qui peuvent légitimement signer des accords. Le vieillissement des cadres syndicaux, le faible taux de syndicalisation et le risque de « giletjaunisation » des relations sociales via la contestation de tout système de représentation sont une menace qui guette l'ensemble de notre édifice de relations collectives. Une négociation constitue un processus itératif avec des allers et retours, des concessions et des compromis, des échanges réguliers et loyaux permettant de comprendre les contraintes et la logique de l'autre partie. Cela s'accommode mal d'une vision manichéenne et « jusqu'auboutiste » des relations sociales. Par conséquent, et quoi que l'on pense des prises de position irritantes de certains d’entre eux, il est dans l'intérêt général de conforter ces corps intermédiaires essentiels que sont les syndicats.


     Face à la crise de vocation des représentants syndicaux, les partenaires sociaux ont souhaité, en novembre 2024, que soit supprimée la limitation à trois mandats de suite pour les représentants élus du personnel que les ordonnances de septembre 2017 avaient instituée. Ce changement n'est évidemment qu'un pis-aller et ne permet pas d'inverser la tendance à la désaffection des travailleurs à l'égard des organisations syndicales. II serait plus pertinent de donner intérêt à adhérer à un syndicat. La première condition est donc de maintenir le monopole syndical dans les négociations sauf, comme la législation le prévoit aujourd'hui dans les entreprises ou aucune organisation n'est présente et où il faut d'autres moyens pour organiser la conclusion d'accords collectifs, par exemple via un referendum. Pour les mêmes raisons, il est indispensable de continuer à réserver le premier tour des élections professionnelles aux candidatures syndicales. Ce tour sert à mesurer la représentativité de ceux-ci et l'ouvrir parcelliserait dangereusement la représentation syndicale.


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   Quelles sont alors les autres voies à explorer ? La valorisation des parcours syndicaux que certaines entreprises pratiquent permet de prendre en considération dans la carrière d'un salarié ce qu'il a appris dans le cadre de ses engagements syndicaux. Cela favorise les allers-retours entre mandats syndicaux et exercice d'une activité professionnelle. Cela crée un cercle vertueux qui élève le niveau du dialogue social et la connaissance par les négociateurs de l'environnement de l'entreprise et qui attire des talents. Et surtout, cela évite la situation inverse où une chasse aux syndiqués conduirait des personnes qui échouent dans leur vie professionnelle à s'engager dans l'action syndicale uniquement pour bénéficier des mécanismes légaux de protection contre le licenciement. Un tel cercle vicieux entraîne une baisse de niveau du dialogue social et incite encore plus l'entreprise à tout faire pour en réduire la place. La valorisation des parcours syndicaux doit donner lieu à des négociations dans chaque branche et entreprise pour passer d'une spirale de l'échec à une spirale du succès du dialogue social.


Faut-il aller plus loin et encourager le développement d'un syndicalisme de service ? C'est une question que les syndicats doivent se poser. On sait que les pays nordiques conditionnent l'accès à certaines garanties sociales conventionnelles à l'adhésion à un syndicat signataire, par exemple en matière de protection sociale complémentaire ou d'assurance chômage. Certes, notre culture sociale est très éloignée de celle des pays où le taux de syndicalisation dépasse de beaucoup les 50 %. II serait de plus inconstitutionnel et contraire à la liberté syndicale de transposer en France de manière large et autoritaire de telles règles. En revanche, pourquoi ne pas permettre à des négociateurs d'accords collectifs de décider de réserver certains avantages qu'ils instituent dans leur accord aux seuls membres des syndicats qui ont signé l'accord ? L'intervention d'une personne indépendante tierce, distincte de l'employeur et des syndicats dans la gestion des avantages en question, pour­rait permettre de respecter la confidentialité de l'identité des adhérents vis-à-vis de l'employeur. Essayer un tel mécanisme de manière expérimentale permettrait de mesurer son impact sur le taux de syndicalisation et plus largement sur le dialogue social. Ne nous en privons pas.


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En devanture d'une librairie parisienne en octobre 2025. Travail et temps libre doivent s'accorder. La paresse et l'oisiveté relèvent d'une autre logique. B.V


  • Le travail est la solution. Réconcilier les Français avec le travail, Bertrand Martinot et Franck Morel, Editions Hermann, 334 pages, 19€




À lire aussi dans Les Études sociales et syndicales :


20 août 2009  Proverbes sur le travail                                

 
 
 

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