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Krasucki, militant communiste

Photo du rédacteur: ISTIST

Décédé le 24 janvier dernier, Henri Krasucki fut secrétaire général de la CGT de 1982 à 1992. Avec lui, le Parti communiste contrôla efficacement la première confédération syndicale de France.


La coutume veut que, quand quelqu’un meurt, on fasse son éloge, rien que son éloge, du moins publiquement, et que l’on ne voie plus, de ce qu’il a fait tout au long de sa vie que ce qui mérite la louange, et, assurément, cette coutume-là est bonne. Elle tourne au grotesque et presque à l’insulte quand elle amène à présenter le défunt sous des couleurs qui sont au goût du jour et peuvent lui valoir des sympathies, mais que, de son vivant, il n’a jamais portées, qu’il a au contraire repoussées avec horreur.


Dire (comme on l’a entendu de bouches gouvernementales), que Krasucki fut un partisan du « dialogue social », c’est vraiment, sous prétexte de lui attirer des sympathies, déformer grossièrement sa pensée et son action de toujours, lui faire renier après sa mort les convictions de toute sa vie : communiste dès le plus jeune âge, et comme par héritage puisque son père et sa mère l’étaient eux aussi, c’est en tant que communiste qu’il doit être apprécié et jugé. Et ce fut un communiste exemplaire, un vrai bolchévik, eût-on dit en d’autres temps, dévoué corps et âme au Parti, un homme d’appareil qui d’ailleurs passé sa vingtième année n’eût d’autre ressources matérielles que celles que lui procuraient le Parti et la CGT. Pour user d’une expression qu’on se garde d’employer aujourd’hui, il fut « un révolutionnaire professionnel » et tant pis pour ceux qui ont toujours une vision romantique de la révolution si cette « profession-là » avait pris un caractère très bureaucratique.


- Révolutionnaire professionnel -


Les quelques mois qu’il passa chez Renault après son retour de déportation n’ont jamais fait de lui un ouvrier : ils lui permettaient seulement d’en arborer la qualité, et c’est d’ailleurs dans ce dessein que les instances du Parti qui l’avaient déjà pris en main lui avaient fait accomplir ce stage.


Homme du Parti, c’est à l’action syndicale que le Parti l’affecta, et, selon la règle, c’est parallèlement qu’il monta dans la hiérarchie du Parti et dans celle de la CGT, même si c’est la partie syndicale de ses activités que le public a le mieux connue, mais lui n’hésitait pas à reconnaître (au moins en ses belles années) que le plus important de son action, c’était sa partie politique. Au plus haut de son parcours, il cumule les fonctions de secrétaire général de la CGT et membre du bureau politique du Parti ’ un cumul interdit par l’article 10 des statuts de la CGT réunifiée en 1936, deux fonctions qui d’ailleurs, comme cela avait été le cas avec Frachon, avec Séguy, ses prédécesseurs, n’en faisaient qu’une : il était très exactement un dirigeant du Parti qui avait, dans ses attributions particulières, la direction de la CGT.


Communiste, disons « marxiste-léniniste » du plus profond du cœur, il ne croyait pas aux vertus de l’action syndicale ou, plus exactement, il les craignait. Bien entendu, il y prenait part, mais il y prenait part pour mettre au service du Parti la capacité de mobilisation des masses qu’avaient les mots d’ordre de l’action syndicale, tout en empêchant celle-ci de produire le meilleur de ses effets.


Il participait même à ce qui est le plus authentiquement syndical dans cette action : les négociations avec le patronat (car, contrairement à ce qu’en ont fait bien des gens de son Parti, le syndicat n’est pas une machine à faire des grèves, mais une machine à faire des contrats). Il se montrait d’une grande habileté dans ce genre de discussion, mais son objectif était d’empêcher tout accord en rejetant la responsabilité de l’échec sur la partie patronale. Et si, malgré ses efforts, accord il y avait, il refusait la signature de la CGT, prétextant que ce qui avait été obtenu n’en valait pas la peine.


Bien entendu, il savait bien que cet accord apportait des avantages (et souvent substantiels), mais pour autant le capitalisme ne s’en trouvait pas ébranlé. « Réduisez par la lutte, l’arbitraire, les inégalités, imposez davantage de droits pour les travailleurs, c’est évidemment important puisque c’est l’objet de l’action revendicative, mais vous avez toujours le capitalisme », écrivait-il en 1972 dans « Syndicats et socialisme »(p.14).


Le but de l’action syndicale n’est pas d’ améliorer la condition ouvrière dans le cadre de la société capitaliste au moyen de réformes successives accumulées, mais d’ abattre le capitalisme par la révolution qui ne pouvait être que violente.


- « Qui peut envoyer les CRS au secours d’un patron ? » -


Le « dialogue social », c’est dans le plus pur esprit de la lutte des classes qu’il la concevait, tentait de le pratiquer.


Ecoutons-le parler au CCN de la CGT, le 20 janvier 1982, alors que depuis six mois, les socialistes exerçaient le pouvoir avec l’aide de plusieurs ministres communistes :


« Les patrons sont durablement affaiblis par le changement politique intervenu au printemps dernier. Un certain nombre de réformes s’engagent [...] et, par elles-mêmes, créent des situations nouvelles ou vont les créer. La répression est aujourd’hui impossible ou peut être rendue impossible. « Qui peut envoyer les CRS au secours d’un patron ? Contre les travailleurs qui mettent en avant des revendications qui ne soient pas extravagantes ? Que peut-on faire pour empêcher de faire respecter les droits ? Comment peut-on nous empêcher de prendre des droits ? « Nous n’avons pas l’intention de faire des choses qui ne soient pas raisonnables, mais est-ce qu’il faut vraiment attendre que la loi soit votée pour prendre les libertés que nous voulons y voir inscrites ? Qu’est-ce qui peut arriver si on les prend avec l’appui des travailleurs et s’ils sont décidés à ne pas se laisser intimider ? Nous avons été capables de le faire avec les travailleurs quand il y avait des risques, et aujourd’hui, il n’y en a pas. » (Le Peuple, 26-31 janvier 1982, p.26).


Ceux qui se souviennent comprendront mieux les grèves tumultueuses qui se produisirent à quelque temps de là chez Talbot et chez Citroën : « on » espérait qu’elles forceraient les socialistes à nationaliser toute l’industrie automobile (nationalisation que Mitterrand avait expressément empêché d’inscrire dans le programme commun de la gauche). Et cela n’aurait été qu’un commencement ?


- 1982 : la reprise en main de la CGT par le PC -


C’est d’ailleurs à la même époque que le Parti avait décidé de retirer à Séguy la direction de la CGT et de la confier à un homme plus sûr : Henri Krasucki.


Au congrès de Grenoble, en 1978, Séguy avait critiqué, en termes voilés, mais fort lisibles, la tutelle que le Parti faisait peser sur l’ensemble des structures syndicales. Il ne paraissait donc plus capable d’enrayer le mouvement vers des réformes social-démocrates de l’action ouvrière qu’avait encouragé la victoire électorale de la gauche.


Brusquement, le 6 octobre 1981, Séguy faisait savoir (il en avait reçu l’ordre) qu’il ne demanderait pas le renouvellement de son mandat et qu’il conseillait de nommer à sa place le camarade Krasucki, sans attendre le prochain congrès.


Krasucki prit immédiatement les rênes et ce fut lui qui prépara le 41ème congrès , qui se tint à Lille en juin 1982, le dernier des grands congrès staliniens, un congrès de la reprise en main et de la remise en ordre. La CGT ne mènerait pas plus avant la politique d’ouverture timidement inaugurée au congrès de Grenoble ; au contraire, elle reviendrait à ses pratiques de toujours.


Les communistes le nièrent à l’époque, mais voici ce qu’on lit dans le petit volume : « Qu’est-ce que la CGT », paru il y a quelques mois, sous la signature de Bernard Thibault lui-même (Editions de l’Archipel, septembre 2002,128 pages) :.


« En juin 1982, lors du 41ème congrès confédéral, Henri Krasucki succède à Georges Séguy. Ce passage du témoin s’opère dans un climat difficile, générant des tensions au sein de la direction confédérale. Des approches différentes, voire des divergences qui s’y étaient exprimées avant le Congrès, plus particulièrement sur une évolution de la conception du rapport de la CGT à la politique et avec le PCF, sont tues au nom d’un unanimisme de façade. L’appareil de la centrale connaît un important renouvellement et voit la marginalisation de la plupart de ceux qui, avec Georges Séguy, incarnaient une ligne d’ouverture » (p.57)


Marginalisation, renouvellement ? Traduisez : épuration.


Sauf dans les toutes dernières années de son mandat, le stalinien Krasucki n’avait jamais été homme d’ouverture.


Ce n’est vraiment pas de sa faute, ni de celle d’autres communistes comme lui, si, malgré tous leurs efforts, la France n’a pas été dotée d’un régime à la manière des démocraties populaires de l’Union Soviétique.


Si on doit leur savoir gré de quelque chose, c’est de n’avoir pas réussi.


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