D'où vient le SMIC ? Comment a-t-il été mis en place ? L?actualité sociale - et l?imbroglio des 35 heures - nous invite à relire l?histoire mouvementée du SMIC.
L?histoire mouvementée du SMIC a déjà connu de nombreux avatars. Elle ne remonte pourtant pas à la nuit des temps. On ne retrouve pas la trace de la revendication d?un salaire minimum applicable sur tout le territoire national et pour toutes les professions. Pas un mot d?un tel salaire, ni dans le grand plan de rénovation économique élaboré par la CGT en 1933-1935, ni dans le programme du Front populaire. Tout ce qu?on demandait alors avec continuité, c?était des salaires minima professionnels et régionaux, fixés de préférence par convention collective. {{{- Du salaire minimum vital au SMIG -}}} C?est la Charte du travail promulguée le 4 octobre 1941 qui a ouvert la voie. Il y est parlé d?un salaire minimum vital et cette notion a nécessairement un caractère universel : le minimum vital est le même, pour tout le monde, quelle que soit la profession. Reste que le coût de la vie n?est pas partout le même ce qui était beaucoup plus sensible alors qu?aujourd?hui. On avait donc divisé le pays en une vingtaine de « zones de salaire », avec chacune un taux différent du salaire minimum, mais tous les salaires minima procédaient dégressivement de celui de la zone 0 (Paris) selon un pourcentage fixé : zone -2,5%, zone -4%, etc? ce qui permettait de maintenir l?unité tout en respectant la diversité. Ce système des zones ne devait disparaître qu?en mai 1968 : il n?y avait alors plus que deux zones. La loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives rendit aux partenaires sociaux la liberté de négocier les salaires, suspendue dès le début des hostilités en 1939, mais à la fois pour laisser au gouvernement une flexibilité d?intervention dans le domaine des salaires et pour rassurer les syndicats qui craignaient de ne pas être de force, du moins dans certains secteurs d?obtenir des salaires convenables, la loi créa un salaire minimum national interprofessionnel garanti, le SMIG (SMNIG aurait été imprononçable) que le gouvernement fixerait par décret à partir d?un budget type - celui des man?uvres célibataires dans la métallurgie parisienne - établie par une commission paritaire des partenaires sociaux. Ceux-ci n?ayant pu s?entendre, le gouvernement, le 23 août 1950, fixa autoritairement le SMIG à 78F pour la région parisienne, 64F pour la zone la plus basse. L?inflation alors demeurait forte, à deux chiffres selon l?expression consacrée, et les syndicats craignant que les salaires établis par convention ou accord collectifs ne fussent vite rattrapés par les prix : pour les rassurer, le gouvernement Pinay fit voter la loi du 18 juillet 1952 qui établissait l?échelle mobile du SMIG. Chaque fois que la hausse de l?indice des prix atteindrait 5%, le SMIG serait réévalué proportionnellement. Toutefois, entre deux réévaluations du SMIG, il devrait s?être écouler au moins quatre mois. 5% d?inflation en 4 mois ! Une loi du 29 juin 1957 devait ramener à 2% la hausse de l?indice des prix, afin d?atténuer l?effet inflationniste d?une hausse trop brutale du SMIG et ses répercussions sur l?ensemble de la masse salariale. En ces années de prospérité où une large partie des ouvriers a atteint le genre et le niveau de vie de la petite bourgeoisie, le niveau moyen du salaire a monté beaucoup plus vite que l?indice des prix, si bien que le SMIG se trouvait très loin au-dessous du salaire moyen. Pour que les Smigards de moins en moins nombreux bénéficient eux aussi du progrès économique général, les syndicats (FO en tête) réclamèrent la double échelle mobile du SMIG. Il serait indexé à la fois sur l?indice des prix et sur l?accroissement de la richesse nationale. {{{- 1970 : création du SMIC -}}} La loi du 2 janvier 1970, présentée par Chaban-Delmas, remplaça le SMIG par le salaire minimum de croissance (SMIC), indexé à la fois sur le prix et sur les salaires : l?accroissement annuel du pouvoir d?achat du SMIC ne peut être inférieur à la moitié de l?augmentation du pouvoir d?achat des salaires moyens enregistrés par l?enquête trimestrielle du ministère du travail. Ce système qui nous régit toujours a entraîné une hausse considérable du salaire minimum et par voie de conséquence une multiplication du nombre de smicards, non par paupérisation, mais par relèvement du niveau de vie de ceux qui gagnent le moins. Conséquence : un écrasement de la hiérarchie qui n?est certainement pas propice à l?émulation. Conséquence aussi : le rétrécissement du champ d?action de la négociation collective, les gains de productivité et autres améliorations qui permettaient de satisfaire les revendications étant absorbés chaque année par la hausse du SMIC. Ainsi le SMIC est devenu le principal moteur du mouvement des salaires au détriment des salaires négociés. Par crainte de leur propre faiblesse, les syndicats ont demandé à la loi de protéger fortement les salaires, mais ils ont ainsi réduit considérablement leurs possibilités d?intervention. Ils ont laissé retirer de dessous la meule une bonne partie du grain qu?ils auraient eu à moudre, selon la formule fameuse d?André Bergeron. {{{- L?imbroglio des 35 heures -}}} Les lois Aubry sur les 35 heures ont perturbé le fonctionnement de ce mécanisme qui, en dépit de ses inconvénients semblait tomber au rang de la routine, y compris les polémiques annuelles sur la nécessité ou non du fameux « coup de force ». En imposant les 35 heures, le gouvernement entendait bien que ces 35 heures fussent payées 39, y compris pour les salaires payés au SMIC. Or le SMIC était et reste un salaire horaire. Il aurait donc fallut l?accroître de 11,4% pour que la réduction du temps de travail n?entraîne pas de baisse de salaire hebdomadaire (ou mensuelle). C?était parfaitement impossible, d?autant plus que très sagement cette fois, on n?exigeait pas que toutes les entreprises passent en même temps au 35 heures - une simultanéité qui avait provoqué un véritable désastre économique en novembre 1936, lors du passage aux 40 heures. On imagina donc de doubler le SMIC par une garantie de rémunération mensuelle (GRM). La loi décréta que les salaires qui passeraient aux 35 heures conserveraient une rémunération mensuelle minimale égale à 169 fois (les 39 heures) le SMIC horaire à la date où serait effectué le passage, la différence entre 169 fois et 151,3 fois le Smic étant comblée par le versement d?un « complément différentiel de salaire ». Le ministre avait-il prévu où menait cette disposition ? Chaque année, du fait de sa double indexation (et des « coups de pouce ») le SMIC est relevé au 1er juillet et chaque année monte aussi la GRM (SMICx169) de ceux qui passent aux 35 heures après le 1er juillet, sans que soit relevées dans la même proportion les GRM des années précédentes. Il existe donc des GRM de valeur différente ; 1100,67 ?, pour ceux qui sont passés aux 35 heures avant le 30 juin 1999, 1114,35 avant le 30 juin 2000, 1147,52 après 2001 et désormais 1154,27 depuis le 1er juillet 2002. Ce qui donne en divisant par 152, des salaires minima de fait de 7,25-7,34-7,47-7,56 et 7,61 ?. Les salaires qui sont passés les premiers aux 35 heures, qui ont donc fait preuve de bonne volonté et essuyé les plâtres se voient -curieuse récompense- attribué la garantie mensuelle la plus faible. A ces cinq SMIC en quelque sorte informulés s?ajoutait bien entendu le SMIC officiel porté le 1° juillet 2002 à 6,83 ? applicable aux salaires demeurés à 39 heures. On avait en fait six taux différents du SMIC. La loi donnait cinq ans au gouvernement pour faire en sorte que le 1er juillet 2005, le SMIC horaire officiel ait rattrapé tous les autres, afin que la garantie de rémunération mensuelle ne soit plus nécessaire. C?est cet imbroglio que le gouvernement Raffarin avait à débrouiller.
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