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Télétravail : le retour au bureau ?

  • Photo du rédacteur: Bernard Vivier
    Bernard Vivier
  • 11 juil.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 juil.

Entretien avec Bernard Vivier pour Le Figaro paru le 09/07/20525


79 % des cadres franciliens télétravaillent régulièrement, contre 56 % dans les autres régions. Jean-Christophe Marmara/JC MARMARA / LE FIGARO
79 % des cadres franciliens télétravaillent régulièrement, contre 56 % dans les autres régions. Jean-Christophe Marmara/JC MARMARA / LE FIGARO

Pendant la période COVID, le télétravail a montré son utilité. De 4% auparavant, il a été pratiqué par quelque 25% des salariés.


Depuis, il s’est largement développé. Il est aujourd’hui une pratique installée et appréciée par les salariés (autonomie et liberté, gain de temps de transport) et par les entreprises (gains de mètres carrés).


Mais il suscite aussi de solides interrogations :

  • comment manager des salariés en mesurant leur efficacité autrement que par le temps passé ? Les entreprises et, plus encore, les administrations sont-elles au point ?

  • comment ne pas générer une discrimination entre ceux qui peuvent travailler à distance (emplois de bureau, cadres, etc) et ceux qui ne le peuvent pas (ouvriers, livreurs, etc) ?

  • comment répondre aux attentes des générations montantes qui intègrent désormais le télétravail comme une composante naturelle de leur façon de vivre et travailler ?

  • comment l’entreprise peut-elle être une communauté en action, porteuse d’un projet collectif, quand les compétences sont dissociées dans un « chacun chez soi » ? Question qui interpelle les managers et pareillement les syndicats qui, eux aussi, développent des dynamiques d’action collective.


Un grand champ de réflexion et de négociations est en train de s’ouvrir.


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LE FIGARO. - Pourquoi les employeurs font-ils machine arrière sur le télétravail ?

BERNARD VIVIER. - Rappelons d’abord que le télétravail est désormais une réalité solidement ancrée dans notre société : près de 7 salariés sur 10, dès lors que leur poste le permet, y ont recours, au moins ponctuellement. C’est un acquis social sur lequel personne ne reculera, sur le principe, d’autant que les nouvelles technologies nous le permettent désormais. Après le pic de 25 % de salariés en télétravail atteint pendant la période Covid, on observe cependant un léger reflux aujourd’hui. Certaines grandes entreprises l’ont annoncé récemment. Ce rétropédalage concerne avant tout le volume d’heures travaillées à distance, plus que le nombre de salariés qui télétravaillent effectivement.

D’un point de vue managérial, l’un des bouleversements majeurs concerne la manière d’évaluer la performance. On ne peut plus, à l’ère de Teams et de Copilot, juger la performance d’un salarié au nombre d’heures qu’il passe à son poste de travail dans les bureaux. C’est un indicateur primaire, qui n’a plus beaucoup de pertinence, et dont on a du mal à se défaire en France. C’est particulièrement vrai dans la fonction publique, qui est très en retard. La mue est engagée dans les entreprises, mais ces dernières manquent encore d’outils efficaces pour estimer la performance d’un salarié. Les études suggèrent toutefois que cette dernière ne baisse pas lorsque l’on travaille à distance.


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B.V : La généralisation du télétravail a-t-elle modifié notre rapport au travail ?

La question du lien entre le salarié et son entreprise est centrale. Elle concerne autant les employeurs que les collaborateurs. Une entreprise, est-ce d’abord une communauté humaine en action ou est-ce une juxtaposition de talents qui travaillent ensemble mais sont indifférents les uns aux autres ? Le sentiment d’appartenance à un collectif humain a été bouleversé avec la généralisation du télétravail. Comme on le sait, les moments informels - ces discussions entre deux réunions ou autour de la machine à café - sont loin d’être anecdotiques. Ils nourrissent le lien social sur lequel se construisent, jour après jour, la cohésion et l’avenir de l’entreprise.

Lorsque Carlos Tavares, le patron de PSA (devenu Stellantis), a décidé en 2020 de placer ses cadres en télétravail et de fermer 30 % des bureaux du groupe, un syndicaliste avait eu cette formule très juste : le risque, c’est que demain le salarié ne dise plus « je travaille chez PSA » mais « je travaille pour PSA . Depuis, la direction a en partie fait machine arrière. Comment, en effet, assurer le développement d’un groupe dont les salariés ne sont plus prêts à s’investir sur le long terme ? Il y a, il me semble, une prise de conscience au niveau des directions des grands groupes français, qui tentent d’amorcer un mouvement de retour dans les bureaux. L’objectif est désormais de regagner en cohésion et de conjurer la dissolution du lien social.


« Les deux tiers des 25-34 ans envisageraient un changement d’emploi si leur employeur insistait pour qu’ils reviennent sur site à temps plein. Le phénomène de dilution des liens est-il accentué avec l’arrivée des nouvelles générations de salariés ? »

La génération montante, ou la Gen Z, entretient un rapport beaucoup plus individualiste au travail, c’est un fait. Lorsqu’un jeune arrive dans une entreprise, il n’aspire plus à y faire carrière pendant trente ans. Ce qui compte avant tout, pour lui, c’est la qualité et le confort de vie au travail. Ils ne renonceront donc pas à leur liberté de télétravailler, même si cela fragilise le collectif ! Les deux tiers des 25-34 ans envisageraient même un changement d’emploi si leur employeur insistait pour qu’ils reviennent sur site à temps plein. Pour les entreprises, l’enjeu n’est donc pas d’abolir le travail à distance, mais de l’encadrer.


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Le télétravail accentue-t-il certaines inégalités au sein des entreprises et dans la société ?

Le télétravail accentue les inégalités structurelles entre cadres et non-cadres. Les chiffres sont parlants : les cadres représentent 61 % des télétravailleurs, alors qu’ils ne constituent que 17 % de l’ensemble des salariés. C’est un privilège auquel n’a pas accès, par définition, un ouvrier, un chauffeur, un policier. Il y a aussi un clivage géographique : 79 % des cadres franciliens télétravaillent régulièrement, contre 56 % dans les autres régions. Mais le risque est surtout de voir se scinder le collectif de travail, de voir certaines catégories de métiers au sein d’une entreprise ne plus se rencontrer.




 
 
 
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