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Photo du rédacteurBernard Vivier

1er mai : la CGT contestée

Le 1er mai 2021, en fin de manifestation à Paris, la CGT et son service d’ordre ont été violemment pris à partie par des manifestants.


La violence sociale grandit en France et les organisations syndicales ont du mal à la contenir.

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Depuis de longues années, les manifestations du 1er mai ont pris l’allure de défilés paisibles organisés par la CGT et les organisations syndicales alliées, défilés où se trouvaient aussi différentes formations politiques, essentiellement de la gauche communiste ou d’extrême-gauche ainsi que des associations et mouvements militants divers.


Le 1er mai 2021 ne devait pas échapper à cette tradition, en dépit de l’incertitude liée à la présence de Gilets jaunes et de celle de groupes black-blocs.


Si l’essentiel des défilés s’est déroulé sans incident notable, il n’en a rien été à la fin du défilé à Paris. Aux alentours de 18h00, place de la Nation, le service d’ordre de la CGT a été violemment pris à partie par des manifestants. La CGT a indiqué avoir eu dans ses rangs 21 blessés dont 4 ont dû se rendre à l’hôpital.

Du matériel et des camionnettes de la CGT ont été abimés, l’une d’elles ayant été taguée d’un très violent « CGT collabos ».



« CGT collabos »

Que dire de cet évènement ? Tout d’abord, il est utile de rappeler que les défilés du 1er mai ont eu, à leur origine, une vocation révolutionnaire.

- 1er mai 1906 -

Depuis 1889, année du premier 1er mai en France, les premiers mais ont été déployés pour revendiquer la journée de huit heures (sur 6 jours, soit la semaine de 48 heures). Ils ont été aussi -et surtout- l’occasion pour les premiers syndicalistes CGT (la confédération elle-même a été créée en 1895) d’en découdre avec le gouvernement de la République.


Jusqu’en 1906, les premiers mais avaient une vocation insurrectionnelle, nourrie des conceptions anarcho-syndicalistes d’une composante très importante de la CGT. Le rêve de la grève générale prit fin alors, le ministre de l’intérieur de l’époque, Georges Clémenceau, ayant sévèrement réprimé les mouvements de 1906.



-Le 1er mai 1906-


Le ralliement de la CGT à l’Union sacrée en 1914 puis le développement en son sein de la tendance réformiste et celui de la tendance moscoutaire ont considérablement réduit la conception libertaire et anarcho-syndicaliste.


En 2021, cette conception anarcho-syndicaliste demeure, quoique réduite, dans le paysage syndical. Elle se trouve portée par la CNT, dont les drapeaux rouge et noir fleurissent dans les défilés. La CNT (Confédération nationale du travail) relie volontiers son action, en France et dans le monde, à divers mouvements de l’ultra-gauche ou anti-capitalistes (exemple : les activistes de l’aéroport Notre Dame des Landes).


On peut trouver des éléments anarcho-syndicalistes, en nombre réduit, dans d’autres organisations (FO par exemple), pas à la CGT.

- La chasse aux gauchistes -

Lorsque la CGT fut contrôlée par le Parti communiste en 1947, les courants anarcho-syndicalistes et gauchistes furent systématiquement combattus. Lénine avait désigné le gauchisme, dans son livre publié en 1920, comme « La maladie infantile du communisme ».


En France, le service d’ordre de la CGT a souvent fait « la chasse aux gauchistes », par exemple dans la sidérurgie, dans les années 1970-1980.


Les partis trotskistes sont, pour leur part, eux aussi opposés aux gauchistes et aux « autonomes », lesquels se situent à la gauche de l’extrême gauche.


On le voit : l’histoire sociale du XXe siècle est lourde d’une relation contentieuse entre le syndicalisme marxiste de lutte de classe et le mouvement libertaire et autonome.



Les années récentes apportent des données nouvelles dans la revendication collective.

La CGT voit son audience électorale et sa capacité d’organisation se réduire.


Conséquence directe : elle n’est plus, aux yeux des autres composantes du syndicalisme de contestation, une organisation intouchable.


Le 1er mai 2021, le service d’ordre a été lui-même agressé. Il est loin le temps où les dockers CGT de Marseille et les ouvriers CGT du livre parisien déployaient des effectifs imposants et redoutés des gauchistes. Pas question, il y a encore 20 ans, de s’approcher d’une camionnette CGT pour la vandaliser, même à 100 mètres.

- Black-blocs et Gilets jaunes –

Ces dernières années, des évènements ont été observés, proches de ceux vécus le 1er mai 2021 :

  • Le 1er mai 2018, alors que le cortège CGT franchissait à Paris le pont d’Austerlitz, des black-blocs infiltraient la tête de cortège et, arrivés rive gauche, cassaient les vitrines des magasins, y mettaient le feu et privaient ainsi la CGT d’un 1er mai paisible.

  • Le 1er mai 2019, un an après, les violences montaient d’un cran. A Paris, le défilé du 1er mai était, lui aussi, composé de militants CGT mais aussi de Gilets jaunes et, une fois de plus, de black-blocs qui empêchaient le secrétaire général de la CGT de conduire le « carré de tête » du défilé. La CGT était à nouveau privée de son 1er mai.



Le 1er mai 2021 aura marqué une étape de plus dans la critique de la CGT, par la violence directement ciblée à son encontre et par l’affrontement avec son service d’ordre.


Là est probablement l’enseignement majeur de ce 1er mai 2021 : l’expression grandissante d’une violence sociale qui se structure hors organisations syndicales et qui s’exprime même désormais contre elles.

Ces révoltes sociales, au goût d’émeutes, empruntent de nouveaux chemins :

  • celui des Gilets jaunes qui, partis en 2018 d’une désespérance sociale, d’un sentiment d’abandon, ont occupé les ronds-points des routes et ont défilé sur les belles avenues des grandes villes ;

  • celui des Black-blocs qui prônent « l’insurrection qui vient » et qui pratiquent la violence selon un mode opératoire très efficace précisément parce que non structuré et a-hiérarchique (pas besoin de carte d’adhérent).

- « CGT collabos » -

Par qui le service d’ordre de la CGT a-t’il été attaqué ? Par des militants d’extrême droite, comme la CGT l’affirmait le 5 mai dans une conférence de presse ? Par des Gilets jaunes comme elle l’indiquait dans son communiqué du 1er mai au soir ? Par des Black-blocs et des autonomes ? Par une conjonction de tous ces courants de la violence sociale et politique?


L’enquête sera difficile à mener, la CGT accusant même la police de l’avoir abandonnée au moment des violences en laissant fermées les issues du cortège et en ne permettant pas à ses militants de fuir le théâtre des affrontements.


L’inscription « CGT collabos », taguée sur une camionnette du service d’ordre, est d’une grande gravité. Elle est une référence explicite aux année 1940-1944 ; elle indique que la CGT coopère avec les forces de la répression et s’inscrit dans une logique de destruction des droits de l’homme.


C’est évidemment faux et injuste. Faut-il voir dans cette inscription la signature d’un groupe d’extrême droite ? Evidemment pas. On voit mal des nostalgiques de l’Etat français traiter leurs opposants de « collabos ». Pour autant, l’extrême droite est-elle exonérée de tout activisme chez les Gilets jaunes ? Evidemment pas non plus, même si l’ultra-gauche y est toute aussi active.


Les Black-blocs et militants autonomes en sont-ils les auteurs, parce que se situant eux-mêmes dans une radicalité politique opposée à toute forme d’ordre et de hiérarchie, fut-elle syndicale ? Difficile à certifier.

L’expression « collabo » est souvent utilisée dans les relations sociales… y compris par des militants CGT pour dénigrer et culpabiliser d’autres syndicalistes. Exemple parmi bien d’autres : un tract CGT Unilever le 2 mai 2020 sur lequel on lit « Laurent Berger collabo du patronat. Le 1er mai la CFDT signe avec le MEDEF pour imposer la reprise aux travailleurs ».


A ce compte-là, tout social-démocrate ou tout chrétien-démocrate se trouve vite suspecté, par ce procédé dialectique insidieux de la suggestion, de connivence avec les inspirateurs du STO, le Service du Travail Obligatoire.


Dans les entreprises, l’affaiblissement des organisations syndicales devient préoccupant. Car les syndicats ne sont pas seulement des appareils à monter des grèves ; ils sont aussi là pour capter les lourdeurs sociales, les inquiétudes individuelles et collectives et pour les conduire. Faute de quoi, l’action collective désordonnée peut provoquer des violences dangereuses. Les centaines de blessés et les dizaines de morts « en marge des évènements » lors des manifestations de Gilets jaunes en 2018-2019 illustrent le besoin d’un syndicalisme proche des salariés et composé de militants formés.


Dans les entreprises comme dans la société, les temps actuels du déconfinement sanitaire peuvent donner naissance à des manifestations festives (les « années folles ») comme à l’expression, chez certains, d’une envie d’émeute et de violence.

La régulation sociale demeure une grande exigence.



A regarder également :

Journal télévisé 20h00, 02/05/2021

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