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Aux origines du MEDEF : la CGPF

Photo du rédacteur: ISTIST

Créée en 1919, la Confédération générale de la production française (CGPF) est l'ancêtre du MEDEF. Sa naissance fut - en partie - la résultante d'une impulsion du gouvernement désireux de voir se créer une organisation représentative des employeurs.


Est-ce qu’en France le fait confédéral serait nécessairement d’origine étatique, gouvernementale ? En 1886, ce fut le ministre du commerce et de l’industrie, Edouard Lockroy, qui fournit les fonds nécessaires à la tenue à Lyon d’un congrès syndical dont l’objectif principal était la création d’une organisation syndicale ouvrière d’ampleur nationale et de caractère interprofessionnel. En avance sur son temps, Lockroy jugeait utile que le gouvernement pût recueillir l’avis des ouvriers sur certains projets de loi, lui-même en ayant soumis deux au jugement du Congrès de Lyon : une réforme des prud’hommes, la création d’un Conseil supérieur du travail. Ainsi naquit laFédération nationale des syndicats et groupes corporatifs, première esquisse et ancêtre direct de la CGT, créée, elle, en 1895.


Trente-trois ans plus tard, il fallut les efforts obstinés d’un autre ministre du commerce et de l’industrie - Clémentel - pour que voie le jour la première organisation nationale interprofessionnelle représentative du patronat français.


Les chambres syndicales patronales


En 1919, il existait en France de nombreux syndicats patronaux, le plus souvent dénommés Chambres syndicales. On peut même écrire que les patrons furent plus rapides que les ouvriers pour tirer profit de la loi du 25 mars 1864 qui avait aboli le délit de coalition et pour bénéficier en fait, grâce à cette loi, de ce régime de la “tolérance administrative” que Napoléon III étendit expressément aux chambres syndicales ouvrières en 1867.



Au cours des années, nombre de ces chambres syndicales patronales s’étaient groupées de façon assez empirique au gré des circonstances et des initiatives, invoquant tantôt la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, tantôt celle de 1901 sur les associations. On avait même vu se constituer des fédérations professionnelles à vocation nationale, commel’Union des industries textilesetl’Union des industries métallurgiques et minières, toutes deux officiellement constituées dans la première année du XXème siècle.


La guerre de 1914 entraîna indirectement le renforcement de ce mouvement de syndicalisation dans les milieux patronaux. Pour organiser la production plus efficacement en vue de l’effort de guerre, le gouvernement sollicita le concours des organisations professionnelles tant patronales qu’ouvrières et du coup leur conféra un surcroît d’autorité, ou, comme on allait bientôt dire, de “ représentativité ”. Il reconnaissait en elles des institutions naturelles et légitimes du corps social, des rouages indispensables de la grande machinerie économique et sociale.


Toutefois, on ne discerne pas vraiment ni durant les années de guerre, ni au lendemain de l’armistice, dans les milieux patronaux, même dans le patronat déjà organisé, de tendances très nettes et très fortes en vue d’établir une coopération autre qu’épisodique et en cas de besoin entre les différents groupements professionnels, de les réunir tous, de les fédérer de façon organique et permanente.


L’impulsion en ce sens vint d’ailleurs, du pouvoir politique.


Le traité de Versailles


Lors de l’élaboration du traité de paix, les négociateurs français, peu ferrés pour la plupart en matière d’économie, avaient été souvent gênés de ne pas disposer d’une source autorisée où puiser les informations et renseignements dont ils avaient besoin concernant la situation de l’industrie française, les besoins et les intentions des industriels - un manque d’autant plus sensible que le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, faisait partie de la délégation française : le mouvement ouvrier avait devancé le mouvement patronal dans la politique de la présence - il était clair d’autre part que l’on s’orientait vers la constitution d’organismes internationaux qui auraient à connaître des problèmes économiques et sociaux et où seraient représentés, pour chaque Etat adhérent, les grands intérêts concernés.


Effectivement, le traité de Versailles, définitivement signé le 24 juin 1919, créait, par son article 389, une Conférence générale des Etats membres de la Société des nations qui se réunirait chaque année pour examiner les problèmes du travail dans leurs aspects internationaux. A cette conférence, chaque Etat membre se ferait représenter par deux délégués du gouvernement et deux délégués qui “représenteront respectivement d’une part les employeurs, d’autre part les travailleurs” de leur pays, les Etats membres s’engageant “à désigner les délégués non gouvernementaux et leurs conseillers techniques d’accord avec les organisations professionnelles les plus représentatives soit des employeurs soit des travailleurs du pays considéré, sous la réserve que de telles organisations existent.”


Texte deux fois digne de mémoire, puisque, d’une part il introduisait dans le droit international et par suite dans notre droit national la notion, qui a fait et fera encore couler beaucoup d’encre, d’ “organisations professionnelles les plus représentatives”, puisque, d’autre part, en dépit de la réserve finale, il contraignait les Etats membres, s’ils voulaient tenir leur rang, à se doter d’organisations professionnelles vraiment représentatives.


En France, la CGT (qui, pendant la guerre, dans sa majorité, avait montré un souci certain de l’intérêt national) était toute désignée pour remplir ce rôle, d’autant plus qu’elle n’avait pas alors de concurrents et qu’elle avait, pour une très large part, inspiré la création de la nouvelle institution internationale.


1er juillet 1919 : la CGPF


Il n’en allait pas de même du côté patronal et, dès avant la signature du Traité dont on connaissait déjà le contenu, Etienne Clémentel (1864-1936), ministre du commerce et de l’industrie à peu près sans interruption (sauf les changements de gouvernement) d’octobre 1916 à janvier 1920, s’était employé à combler cette lacune. Non sans peine, il obtint que les Chambres patronales existant sur le territoire national se réunissent par affinités professionnelles. Ainsi se constituèrent, entre février et avril 1919, vingt et un groupes professionnels, les réunions constitutives de ces groupes s’étant presque toutes tenues au ministère du commerce, avec l’arbitrage du ministre.



Restait à fédérer ces groupes. Une assemblée générale de leurs représentants, convoquée le 1er juillet, adopta les statuts d’une “union générale” (ainsi est-il écrit) qui prit le nom deConfédération générale de la production française.


Inconsciemment ou non, on s’était inspiré du titre de l’organisation ouvrière : laConfédération générale du travail.


Communiqué du ministère du commerce et de l’industrie

« En vue de donner à tous les groupements du commerce et de l’industrie, par l’intermédiaire de leurs présidents de Chambres syndicales, une représentation effective et permanente auprès des pouvoirs publics, et ceci en les groupant par catégories, le Ministère du commerce et de l’industrie a constitué officiellement le samedi 22 février les deux premiers des vingt groupements prévus. « A l’appel qui leur avait été adressé, les syndicats ont répondu avec une unanimité complète [...] » La Bataille, 24 février 1919.

(Les deux groupements ainsi constitués réunissaient l’un “ Travaux publics, Bâtiment, Habitation ”, l’autre “ Electricité, Eclairage public et Tramway ”)

Les statuts ne disaient pas sur quelle loi la nouvelle confédération fondait son existence juridique : la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels, laquelle autorisait les syndicats à se grouper en “ unions ” mais sans reconnaître encore à ces unions la personnalité civile (elle ne leur sera accordée qu’en 1921) ou la loi du 1er juillet 1901 concernant les associations en général, mais c’est vraisemblablement à celle-ci qu’il avait été fait appel, puisqu’à l’article 2 il était dit que “ne pouvaient faire partie de la Confédération que les syndicats patronaux ou associations ayant pour objet la défense d’intérêts économiques, industriels ou commerciaux, d’ordre professionnel”. Union de syndicats, non des associations, la Confédération devait donc être placée sous les auspices de la loi 1901.


L’objet de la Confédération était défini à l’article 4 :


“ La Confédération a pour objet essentiel d’étudier et de défendre les intérêts du travail national, de contribuer au développement de la puissance de production et d’exportation de la France, de coordonner les efforts des syndicats et associations professionnels. ”


Une vocation essentiellement économique


Comme le donnait à entendre le motproductioninscrit dans le titre, la vocation de la Confédération était essentiellement économique. Sans doute se préoccupe-t-elle de la défense du “travail national”, mais l’expression n’avait pas alors le sens qu’elle prendra une douzaine d’années plus tard, quand on parlera de protéger “le travail national”, c’est-à-dire ici la main-d’œuvre française, contre la concurrence excessive, non de la main-d’œuvre étrangère proprement dite, mais de lamain-d’œuvre immigrée. Peut-être, en usant de cette formule, s’était on souvenu de cetteAssociation pour la défense du travail national,fondée en 1846 par un filateur , Auguste Mimerel, pour lutter contre la propagande en faveur du libre échange et dont l’un des rares historiens des organisations patronales françaises a pu écrire, avec, peut-être, un peu d’excès, qu’elle était “aussi représentative de l’industrie de l’époque que le sera le CNPF un siècle plus tard”. (Roger Priouret. Origines du Patronat français, Paris, Grasset, 1963, p.83)


La CGPF fut en gros fidèle à ce programme et elle intervint surtout dans les questions économiques, notamment en matière de fiscalité, de monnaie, de droits de douane, etc. Mais elle ne put longtemps se retenir de faire connaître aussi son point de vue en matière sociale, d’abord parce qu’il n’est guère de questions économiques qui ne comportent pas d’implications sociales, ensuite parce que son délégué à la Conférence internationale du travail devait se prononcer au nom du patronat français sur différents sujets de législation sociale internationale, enfin parce que les institutions sociales qui se mettaient progressivement en place dans cette période, le Conseil national économique, le Conseil national de la main-d’œuvre, les Assurances sociales et les Allocations familiales appelaient le concours des organisations patronales.


C’est ainsi que, pour “rationaliser son action”, la CGPF créa en son sein, outre une Commission économique et une autre dite del’organisation scientifique du Travail, uneCommission des questions socialeset qu’elle fonda, à côté de ces commissions, “des organisations autonomes mais travaillant avec elle en contact intime » notamment un Comité central des Assurances sociales, unComité central des Allocations familiales, uneAssociation d’hygiène industrielle” (René P. Duchemin :Organisation syndicale patronale en France, Paris, 1940, p. 8-9).


Toutefois, sa vocation principale demeurait économique. Il fallut les événements de mai et juin 1936, pour qu’elle accordât désormais dans son action autant de place au “ social ” qu’à l’économique et aussi pour qu’elle attirât sur elle l’attention de l’opinion qui jusqu’alors ne la distinguait guère des chambres de commerce.

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