Notre pays a besoin de syndicats forts ; il n’a pas besoin de syndicats politisés.
Les exigences de redressement économique et de réduction de la dette publique vont s’imposer au prochain gouvernement. Comme l’ensemble de nos partenaires européens, notre pays s’apprête à connaître des jours difficiles, où les discours d’illusionnistes n’auront plus de crédit.
Pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, la France aura besoin de mobiliser plus fort encore les capacités des partenaires sociaux à négocier, à construire les nouvelles règles de fonctionnement du marché du travail, à concilier performance des entreprises et sécurité pour les salariés.
La concertation entre partenaires sociaux est élevée ailleurs en Europe ; elle est faible en France. Deux raisons à cela.
- Faible concertation sociale -
La première est ancienne, dans un pays où l’Etat a toujours été centralisateur. C’est la tendance qui pousse la puissance publique à privilégier la loi plutôt que le contrat collectif, à court-circuiter patronat et syndicats, à négliger le paritarisme, à gérer les relations sociales au lieu de les garantir.
La seconde raison tient à la culture d’affrontement qui prévaut encore très souvent dans les relations de travail. Pour certain, le progrès social est défini - et donc vécu - comme le résultat d’un « faire contre » systématique et non pas d’un « faire avec ».
Le mur de Berlin est tombé en 1989, l’Union soviétique a cessé d’exister en 1991. Mais, en France, le marxisme - léninisme inspire encore l’action de plusieurs partis politiques (de 3 des 10 candidats à l’élection présidentielle) et de nombreux syndicalistes.
La CGT vient d’en faire la démonstration en appelant « à battre Nicolas Sarkozy en élisant un nouveau président de la République » (déclaration de la Commission exécutive du 24 avril). Le 1er mai, Bernard Thibault poursuivait, en déclarant voter pour François Hollande au deuxième tour de l’élection présidentielle.
Le 1er mai, la CGT, la FSU, les syndicats Sud ont accueilli avec plaisir dans les défilés les militants politiques du Front de gauche. Jean-Luc Mélenchon visait l’objectif d’un « 1er mai stupéfiant d’unité et de puissance ».
- Distinguer action syndicale et action politique -
Stupéfiant surtout de confusion. Une démocratie fonctionne lorsque la distinction est établie entre le champ du politique et le champ du syndical. Elle devient trouble lorsqu’une force politique entend contrôler une force syndicale (ce qui s’est passé en 1947, quand la CGT est passée sous la direction du Parti communiste) ou lorsque le syndicalisme se définit comme un agent autonome de transformation radicale de la société.
Ce positionnement de la CGT est à contre-temps de l’intérêt des salariés français. Il tend à isoler le syndicalisme français dans l’espace syndical européen, dont l’action est si nécessaire pour organiser un marché du travail confronté à la dure concurrence internationale et où les réponses efficaces viendront non pas des grèves et des défilés mais des négociations et des régulations internationales.
Les autres syndicats français sont dans l’embarras. Jean-Claude Mailly (Force ouvrière) n’apprécie guère cette entrée de la CGT dans une campagne électorale politique : « On ne doit pas mélanger les choses si l’on veut pouvoir être libre ». La CFDT redoute aussi la confusion des genres. Un de ses dirigeants, Marcel Grignard, indique que la CFDT « fera tout pour que le 1er mai soit dans le cadre des revendications ». La CFTC et la CFE-CGC raisonnent de même.
Ce positionnement de la CGT vient aussi à contre-temps de ses propres intérêts et de ses propres évolutions. A court terme d’abord : cette posture politique produira chez elle au lendemain du 6 mai, soit une raideur considérable (face à Nicolas Sarkozy) soit une contorsion difficile (victoire de François Hollande). Comment, dans ce dernier cas, expliquer aux salariés que le soutien apporté au candidat n’aura pas créé un engagement à soutenir les mesures gouvernementales de rigueur à venir ?
A long terme aussi : depuis une dizaine d’années, la CGT cherche à conjuguer contestation et négociation, à devenir un interlocuteur et non pas un agitateur. C’est une condition pour rester en position centrale sur l’échiquier syndical. En renouant avec les vieux démons de la politisation, la CGT ne rend pas service au syndicalisme et pas davantage à elle-même. En temps de crise, notre pays a besoin d’une CGT plus mature encore.
Décidément, l’apprentissage de l’indépendance syndicale est une longue affaire.
Le drapeau cubain et le drapeau du Parti communiste français le 1er mai 2012 à Paris
Ecouter : Europe 1 Soir le 1er mai 2012 18h00, Bernard Vivier, avec Nicolas Poincaré Le 1er mai : son histoire, son actualité Voir : « La bataille des drapeaux » France 5, C’ dans l’air, 1er mai 2012
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