Les conflits « bonbonnes de gaz » auront défrayé la chronique depuis près d'un an. La rentrée sociale est davantage marquée par le défaitisme et le repli sur soi que par la mobilisation et les actions collectives. Il n'empêche : les violences, les séquestrations, les menaces de détruire l'outil de production ont mis en scène des acteurs aux comportements et aux intérêts souvent très différents.
Derrière les conflits sociaux fortement médiatisés de New Fabris, Nortel, SKF ou JLG se cache une fracture entre acteurs sociaux. On peut schématiquement les classer en quatre catégories : les desperados, les Zorro, les Don Quichotte et les zombies.
- Les desperados -
Les desperados : ce sont les salariés des entreprises en liquidation qui menacent de saboter leur usine pour obtenir un meilleur traitement que les seules indemnités légales. Dans les entreprises qui conduisent un plan de sauvegarde de l’emploi, les conditions de départ peuvent être substantielles : jusqu’à 50.000 euros chez Continental ou Faurecia. Il n’en va pas de même pour les salariés d’un sous-traitant placé en liquidation judiciaire. Dans ce cas, les indemnités de licenciement ne sont que d’un cinquième de mois par année d’ancienneté. Alors, la bonbonne de gaz pour faire sauter l’usine devient le parachute doré du prolétaire. Un double désespoir s’exprime dans ce combat : d’une part, il signifie de façon tragique le deuil de son entreprise, d’autre part il exprime une désillusion définitive à l’égard du travail. Ces conflits ne sont pas destinés à obtenir le maintien de l’emploi sur le site, mais un « chèque à la valise » qui ressemble à un abandon de toute perspective d’emploi. Quel investisseur, en effet, proposera la reprise d’une usine piégée à la bonbonne de gaz par ses salariés ? Les desperados ne luttent pas pour maintenir l’emploi mais de « gagner plus pour ne plus travailler du tout ».
- Les Zorro -
Les Zorro sont les ministres du gouvernement qui multiplient les effets d’annonce. Pour Christian Estrosi, ministre de l’industrie, la baisse du chômage en juin a été un signe d’espoir. Pour Patrick Devedjian, ministre de la relance, le plan français est le meilleur d’Europe. De concert avec le président de la République, ils expriment une certitude politique : la meilleure façon de lutter contre la crise est dans l’investissement. Le gouvernement a mis en place à cet effet un plan de relance de 26 milliards d’euros, dont onze milliards sont directement consacrés aux investissements publics. Le 2 février, mille projets d’investissements avaient été annoncés, provoquant des accusations de saupoudrage de la part de quelques uns. Six mois plus tard, cinq cent projets ont été démarrés. Mais ces 26 milliards ne représentent que la moitié des 54 milliards d’euros d’investissements programmés cette année par les collectivités locales.
Christian Estrosi, ministre de l’industrie
Les réponses territoriales à la crise économique et sociale sont souvent novatrices tout autant qu’ignorées. Pourtant, dans les régions, les élus, les employeurs et les organisations syndicales travaillent concrètement avec les préfets pour anticiper les risques de défaillance et trouver des solutions de revitalisation ou de préservation de l’emploi local. Les Zorros leur raflent la vedette, multipliant les rencontres de terrain, parfois au cœur même d’un conflit, introduisant une quasi-concurrence entre ministre et porte-parole du NPA pour se montrer à la télévision au milieu des grévistes. Mais la politique d’investissement demeure, et pourrait commencer à porter ses fruits.
- Les Don Quichotte -
Les Don Quichotte se prénomment Bernard, François, Jean-Claude, Jacques, Alain ou Annick. Les leaders syndicaux français se donnent la main depuis janvier dernier au sein d’une entente intersyndicale d’une longueur que notre pays n’a pas connu depuis longtemps. Ils tiennent les deux bouts d’une chaîne improbable. D’un côté, ils donnent raison aux desperados dans leur revendication d’indemnités financières, et, plus largement, réclament en faveur de tous les salariés plus de pouvoir d’achat. De l’autre côté, ils négocient en faveur de l’emploi avec le gouvernement et le patronat. Le Fonds d’intervention sociale (FISO) est une de leurs inventions. Doté de 1,3 milliards d’euros, il ne sert pas à indemniser davantage des salariés licenciés mais à maintenir plus longtemps dans l’emploi des salariés menacés de licenciement. Les fonds de la formation professionnelle ont été mobilisés dans ce sens : plutôt en formation qu’au chômage, et plutôt en chômage partiel sous contrat de travail qu’en chômage complet inscrit à Pôle emploi... Les Don Quichotte tentent de faire oublier leurs exigences contradictoires en temps de crise : à la fois plus de revenu et plus d’emploi. Mais leur position n’est en réalité pas très éloignée de celle du gouvernement.
- Les Zombies -
Les Zombies semblent réduits à n’être que l’ombre d’eux-mêmes : ce sont les employeurs. Les vraies victimes de la crise sont les patrons : elle les prive de toute marge de manœuvre. Les dirigeants de grands groupes nationaux utilisent toute la palette des mesures aidées pour préserver leur potentiel productif : plans de départs volontaires, chômage partiel, prêt de main d’œuvre d’un site à l’autre, etc. Les dirigeants locaux des multinationales n’ont pas cette opportunité : ils appliquent, souvent malgré eux, des plans de restructuration décidés à des milliers de kilomètres, dans un isolement de plus en plus marqué des centres de décision. Les patrons de PME, sous-traitants ou fournisseurs des deux catégories précédentes, doivent se débrouiller seuls, avec en cas d’échec l’issue fatale de la liquidation et son chapelet de bonbonnes de gaz pour piéger leur usine. Enfin, la voix du MEDEF se fait discrète, même si les organisations syndicales ont pu aboutir avec lui à un projet d’accord national interprofessionnel sur les conséquences de la crise, qui devrait être signé à l’automne. En attendant, les zombies semblent se cacher, tant on dit qu’ils craignent la lumière du jour.
- Table commune -
La table commune à laquelle se rencontrent les membres de ces quatre familles est le système français de protection sociale. Pour les desperados, ce système doit avant tout garantir leur protection au-delà de la perte d’emploi. Mais le système ne suffira bientôt plus à assurer ce service. Les effets de la crise conjugués avec le chômage des jeunes, le coût des pensions de retraite, et peut-être une pandémie grippale dès cet automne rendent indispensable la réforme du système. C’est pourquoi la politique de relance par l’investissement reste pour les trois autres familles la seule solution réaliste. Encore faut-il s’accorder sur l’adaptation du système social à cette politique. La réforme de la formation professionnelle votée en juillet, avec son volet « jeunes », n’est qu’une étape. La question des retraites ne pourra qu’être liée à celle de l’emploi des seniors. Quant au financement du chômage et de l’assurance maladie, ils devront affronter dans quelques mois le drame humain des allocataires en fin de droit qui viendront émarger au RSA. Tant que la reprise ne sera pas là, la protection sociale ne suffira pas. C’est bien par l’investissement, et donc par l’emploi, que les quatre familles retrouveront leur cohésion.
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