Xavier de Mazenod
EDF - GDF : un paysage syndical stable
Les résultats aux élections professionnelles du 29 novembre 2007 à EDF - GDF viennent d'être connus. Le système de représentation a changé : EDF et GDF ont désormais des instances de représentation distinctes. Les équilibres syndicaux, eux, n'ont pas beaucoup bougé, à l'exception d'une percée notable de la CFE-CGC.
Depuis 1946, EDF-GDF fonctionnaient avec des Institutions représentatives du personnel (IRP) spécifiques. La loi du 9 août 2004 et un décret d’application d’avril 2007 ont imposé aux deux nouvelles entreprises, EDF et GDF, d’adopter un système de représentativité conforme au droit commun des sociétés anonymes..
Les élections professionnelles du 29 novembre 2007 visaient donc à élire des délégués du personnel et à remplacer les anciens Comités mixtes à la production par des comités d’établissement. Un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a été créé et six Comités centraux d’entreprise (CCE) voient le jour chez EDF, GDF et leurs filiales, en remplacement de l’ancien Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production (CSCCMP).
Les œuvres sociales resteront indépendantes du CE et seront gérées par les représentants du personnel dans le cadre du CCAS. Des sections syndicales, avec des délégués syndicaux, sont également mises en place.
Les Commissions secondaires du personnel, organismes paritaires qui traitent de la situation des salariés (titularisation, discipline, aptitude,...) sont conservées. Ces dernières institutions sont une survivance du statut des professions des industries électriques et gazières. Il est à noter que l’organisation des élections du 29 novembre (processus électoral et articulation entre les anciennes institutions restantes et les nouvelles) a donné lieu à deux ans de négociations entre EDF-GDF et les cinq organisations syndicales représentatives (CGT, FO, CFDT, CFE-CGC et CFTC). Bien que ces dernières n’aient pas été demandeuses de l’évolution, elles ont toutes signé les protocoles électoraux.
- Un scrutin complexe -
La réforme des organisations d’EDF-GDF bouleverse les repères d’appartenance des salariés. Ce qui faisait craindre aux organisations syndicales une baisse de la participation.
La complexité du scrutin était également une source d’inquiétude pour les organisations syndicales.
Auparavant, les salariés votaient en une seule fois. Pour le scrutin du 29 novembre, ils ont voté quatre fois : pour les titulaires et les suppléants « délégués du personnel » et pour les titulaires et suppléants « comité d’entreprise ». Pour les votes par correspondance (en forte augmentation) il fallait en outre voter dans des enveloppes différentes avec des couleurs différentes.
Enfin, environ 10 000 agents se sont vus empêchés de participer au scrutin du 29 novembre à la suite d’un recours intentés par EDF-GDF contre SUD-Energie, à la suite de l’inscription « illégale » de ses candidats sur les listes électorales. L’action judiciaire est suspensive et la décision n’a pas encore été communiquée.
- Campagnes électorales -
L’enjeu de ces élections était important pour les cinq organisations syndicales représentatives qui avaient déposé une liste. Le scrutin devait représenter une photographie des forces en présence, sur l’ensemble du territoire et dans l’ensemble de la branche.
C’est pourquoi les syndicats n’envisageaient aucune alliance, même s’ils étaient encore unis quelques jours avant les élections dans les différentes manifestations en faveur du maintien du système des retraites.
SUD-Energie doit également avoir conscience de l’importance de la représentativité (dans la perspective du changement des règles de représentativité envisagé en 2008) puisqu’elle a présenté des candidats. Ces candidatures avaient immédiatement été attaquées en justice par EDF-GDF au nom de la non-représentativité du syndicat SUD dans l’entreprise.

Les stratégies électorales sont différentes suivant la taille des organisations syndicales. Les majoritaires comme la CGT, et dans une certaine mesure la CFDT ou FO jouaient plutôt l’inertie et ne donnaient pas l’impression de préparer le scrutin très activement. Il est probable que l’actualité sociale sur les régimes spéciaux faisait campagne pour elles.
Ce qui explique vraisemblablement la stratégie des grévistes chez EDF et GDF pendant le conflit sur les retraites, d’actions très ciblées, non spectaculaires mais connues du personnel : coupures d’électricité dans les préfectures ou les antennes du Medef, coupure d’éclairage public, baisse de pression de gaz dans les terminaux...
Du côté des deux organisations minoritaires, CFE-CGC et CFTC, la donne était différente. Les minoritaires se heurtaient à l’inertie du système et à la volonté de l’entreprise de favoriser les majoritaires. Selon un protocole négocié par les cinq organisations syndicales (mais non signé par la CFTC), les syndicats bénéficient d’heures de délégations mais aussi de « mesures bénévoles complémentaires » très nettement octroyées aux organisations majoritaires. La CFTC, qui a fait par le passé le constat de l’échec d’une stratégie revendicatrice tentait plutôt un retour sur ses valeurs réformistes constructives.
La CFE-CGC, elle aussi victime du phénomène majoritaire, avait choisi la pédagogie et une campagne électorale plus traditionnelle pour faire entendre sa différence. Ses militants, étaient mobilisés depuis neuf mois dans une campagne de communication avec beaucoup d’outils différents (tracts récurrents neuf semaines avant le scrutin, une bande dessinée pour expliquer l’évolution des IRP, ...).
Peu de changement de la représentation était attendu de ce scrutin du 29 novembre. La CGT s’attendait à engranger les bénéfices de son activisme sur le dossier des régimes spéciaux. Selon les autres syndicats, les oppositions entre les adhérents réformistes de la CGT, « le stylo en l’air » prêts à négocier et des opposants plus radicaux ne devaient pas se traduire en baisse des résultats électoraux.
- Résultats électoraux -
Peu de surprise donc avec le résultat du scrutin des élections professionnelle chez EDF et chez GDF, organisées pour la première fois de manière distincte dans les deux entreprises. Comme prévu, la CGT a confirmé sa première place parmi les organisations syndicales. La baisse relative de la participation (78 % de votants contre 84,9 % en 2003) semble avoir légèrement profité aux organisations minoritaires, en particulier à la CFE-CGC.
De ces élections naît donc une double représentativité, par entreprise et au niveau de la branche des Industries électriques et gazières.
ChezEDF, les résultats pour l’élection des CE laissent apparaître cette représentativité :
Les résultats des élections professionnelles àGDF, incluant le vote des agents du service de distribution apparaissent comme suit :
Toutefois, les résultats sont une moyenne nationale qui cache une grande disparité au niveau local. Ainsi, si la CGT obtient une moyenne de 55 % chez GDF, elle n’obtient que 30 % au siège social mais près de 80 % dans les « régions gazières » (transport gaz, métiers de la distribution).
La complexité du scrutin et la difficulté du système de vote liée à la nouvelle organisation des entreprises, dénoncées par les organisations syndicales, ont moins pesé que prévu.
Les chiffres communiqués le mardi 11 décembre 2007, portant sur l’ensemble des industries électriques et gazières, permettent des mises en perspective que le seul scrutin chez EDF et GDF n’offre pas à lui seul. En effet, les fédérations de l’énergie des organisations syndicales abordaient ces élections comme un « scrutin de représentativité » pour peser sur les débats d’ensemble du secteur : fusion Suez-GDF, mais aussi réforme des régimes spéciaux de retraite, adaptation des entreprises au nouveau contexte concurrentiel et avenir du service public.

Source :Secrétariat des groupements d’employeurs des industries électriques et gazières
Branche IEG - Elections professionnelles du 29/11/2007 (1er tour)
Source :Secrétariat des groupements d’employeurs des industries électriques et gazières
On peut tout d’abord observer que le faible taux de bulletin blancs ou nuls (3,8%) et la participation forte (77,1%) viennent contredire les arguments avancés par les syndicats sur la complexité du scrutin et son caractère démobilisateur pour les salariés.
Les tendances qui se dessinent montrent :
un léger tassement de la CGT (50,1%) qui perd 2% des voix dans les IEG par rapport à 2003 à mais qui reste le syndicat majoritaire au sens de la Loi Fillon de 2004 un étiage atteint par la CFDT qui est passé de 19,11 à 18,82 % dans la même période une contre-performance de FO qui revient à 14,06 %, son score de 2000, après être monté à 15,87 % en 2003 une belle envolée de la CFE-CGC dans la population maîtrise et cadre, avec +4,5% par rapport à 2003 et 13,05 % des voix dans les IEG une incapacité de la CFTC à dépasser vraiment les 3% depuis 1997.
- Les perspectives stratégiques pour la CGT -
La CGT se réjouit de son score et estime que sa stratégie revendicatrice mais ouverte à la négociation était la bonne. Si elle n’envisage pas de changer de méthode d’action (grève, prise en main de l’outil de travail) ni de relâcher la pression (comme sur les retraites par exemple), la direction fédérale tente de trouver des pistes de négociation dans le domaine social (salaires et retraites) et industriel (emploi, sous-traitance, externalisation), et des pistes de revendication qui s’appliquent au niveau interprofessionnel (public et privé).
En conséquence, la CGT compte sur sa position de syndicat majoritaire pour peser sur les négociations à partir de la légitimité que lui confèrent ses résultats, plutôt que d’engager l’épreuve de force d’un conflit qui pourrait signer sa désunion.
- Force ouvrière en recul -
Si la CFDT a plus baissé que FO dans les résultats, par rapport aux élections de 2003, et que l’on compare la dynamique des deux organisations, il semble que la CFDT achève une période de déclin et que FO entame la sienne. Le radicalisme de son action, la surenchère sur les positions de la CGT n’ont pas réussi à convaincre les salariés d’EDF-GDF
Pas très bonne perdante, FO relativise la portée des mauvais résultats de son organisation en évoquant la complexité du scrutin, et souligne que le rapport de force interne chez EDF et GDF n’est pas fondamentalement changé si l’on additionne les voix de FO et de la CGT.
- La CFDT enraye sa chute -
La CFDT, qui a souffert de sa crise interne et du départ de militants ouvriers vers SUD et de cadres CFDT vers la CFE-CGC entre 1995 et 2004, semble avoir enrayé sa chute. Passée de la 1ère place des organisations syndicales chez les cadres en 1999 à la 2e place en 2003, elle est aujourd’hui arrivée 3e, probablement jugée trop « flottante » dans ses positions par rapport à la CFE-CGC, sa rivale chez les cadres.
La CFDT n’a pas été capable de constituer des listes partout pour le scrutin mais elle observe que, là où elle disposait d’équipes, elle obtenait des scores bien supérieurs à sa moyenne (30 % au Stockage par exemple).

Au vu des résultats du scrutin du 30 novembre, la CFDT souhaite accélérer la stratégie mise en place en 2007 : parier sur la formation des jeunes et sur la transmission des bonnes pratiques syndicales, comme par exemple ce qui lui a permis la conquête de 65% des voix chez les cadres dans le nucléaire dans la région de Grenoble.
La CFDT a l’ambition de former ses équipes pour bâtir une génération de véritables syndicalistes. La fédération de Mines et de l’énergie a même engagé une société de formation privée pour former ses militants au management.
- La CFE-CGC progresse -
La meilleure progression est celle de la CFE-CGC. Avec un « taux de représentativité » de 39,6 % sur le collège cadre, la CFE-CGC des IEG confirme sa position de 1ère OS du collège cadre au sein de la branche professionnelle.
Elle enregistre un accroissement de plus de 46 % des voix, sur un volume de suffrages exprimés comparable à celui de 2003. La fédération semble bien engranger les résultats du travail de terrain effectué depuis 2004.
- La CFTC stable -
La CFTC déplore que le paysage syndical soit figé dans la situation d’avant les élections, dans un « jeu entre la direction et la CGT ». Malgré un léger frémissement en sa faveur, la centrale est confirmée dans son rôle de syndicat marginal, et se console en rappelant que la direction d’EDF-GDF la créditait de 1 %.
Preuve à ses yeux qu’elle conserve une légitimité auprès des salariés, qui autrement auraient orienté leur vote vers un autre syndicat. Néanmoins, elle ne peut même pas servir de force d’appoint à une quelconque majorité de circonstance.