Le 27 septembre seront publiées les propositions des groupes de travail du « Grenelle de l'environnement ». Ce « Grenelle de l'environnement » évoque les accords de Grenelle et véhicule, dans l'imaginaire collectif, la vision d'un progrès social négocié entre les partenaires sociaux et le gouvernement, sur fond de mai 68. La réalité de cet automne 2007 n'a pas grand-chose à voir avec l'image évocatrice du nom donné à cette consultation. Pourtant, certains participants voudraient bien qu'elle accouche d'un changement de société comme il y a 40 ans...
Dans la méthode, le « Grenelle de l’environnement » ne ressemble pas à son illustre devancier. Le Président de la République avait invité le 21 mai dernier les représentants de neuf ONG de défense de l’environnement à l’Elysée (Greenpeace, WWF, les Amis de la Terre, Fondation Nicolas Hulot, Ligue de Protection des Oiseaux, Réseau Action Climat, Ligue ROC, France Nature Environnement, Ecologie sans frontières). Jean-Louis Borloo a ensuite mis en chantier la consultation en invitant les représentants des collectivités territoriales, des employeurs, des syndicats et des ONG à débattre avec des personnalités qualifiées et des représentants de l’Etat au sein de six groupes de travail entre juillet et septembre. Au menu des discussions :
le climat et la maîtrise des énergies ;
la biodiversité et les ressources naturelles ;
la santé et l’environnement ;
l’agriculture, l’agroalimentaire et la ruralité ;
la démocratie écologique ;
la promotion de modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi.
Ces six groupes de travail, réunissant jusqu’à 50 personnes réparties en six collèges (Etat, collectivités, ONG, syndicats, employeurs et personnes morales associées), sont présidés par des personnalités choisies pour leur renommée. On y trouve le climatologue britannique Sir Nicholas Stern, la sénatrice (Verts) Marie-Christine Blandin, l’ancienne conseillère de Lionel Jospin Laurence Tubiana, l’écrivain corrézien Denis Tillinac ou l’ex-secrétaire générale de la CFDT et présidente de VIGEO Nicole Notat. Le choix de ces présidents relevait déjà d’un bel exercice d’équilibre, où le goût pour l’ouverture du gouvernement s’est une fois de plus révélé...
Trois mouvances dans les ONG
Mais la composition des groupes de travail n’a pas été aussi facile. Les ONG écologistes se répartissent en trois grandes tendances :
la Fondation Nicolas Hulot affiche une position d’indépendance.
Greenpeace, le WWF, les Amis de la Terre, le Réseau Action Climat et Ecologie sans frontières font partie de l’Alliance pour la planète, un collectif de 79 organisations qui s’est constitué en mars dernier pour interpeller les candidats à l’élection présidentielle.
la Fondation France Nature Environnement (FNE) est une fédération de 3000 associations de protection de la nature fondée en 1968, qui comprend entre autres la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Chaque mouvance a revendiqué un maximum de mandats dans les groupes de travail. La FNE en a récupéré 12 en nom propre et 8 au titre de ses membres (LPO et Ligue ROC). L’Alliance pour la planète, à travers 15 associations représentées, a envoyé 25 délégués. La Fondation Nicolas Hulot en a 4. Au total, 49 écologiste siègent dans les commissions du Grenelle de l’environnement.
Côté syndicats, les cinq organisations représentatives ont envoyé 45 représentants dans les divers groupes de travail, auxquels il convient d’ajouter deux représentants des associations de consommateurs de la CFDT (Asseco-CFDT) et de FO (AFOC) au sein du collège des personnes morales associées. Le choix des membres de ce collège a fait grincer des dents, puisque c’est le gouvernement qui a procédé aux désignations, offrant ainsi un poste d’observateur à la FSU dans le groupe de travail « démocratie écologique », et un autre à la Confédération paysanne, l’UNSA étant la grande absente... La CFDT arrive donc en tête des organisations syndicales en nombre de délégués et de mandats détenus (14 mandats, Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral de la CFDT, se partageant entre trois groupes de travail). Puis vient FO (11 mandats), la CGT (10 mandats), et enfin la CFTC et la CFE-CGC (7 mandats chacun).
Un processus de consultation publique
Les groupes de travail ont produit entre juillet et septembre plus de 1000 propositions, qui doivent faire l’objet d’une synthèse en une quinzaine de points. C’est le 27 septembre que doivent être publiées les propositions des groupes. Ces projets feront l’objet d’une consultation publique entre le 1er et le 15 octobre, au cours de 16 réunions locales dans des villes de province et d’un débat citoyen sur internet. Enfin, courant octobre, le ministre de l’environnement réunira l’ensemble de ses interlocuteurs pour le fameux « Grenelle » qui devrait déboucher sur des choix politiques, qui seront rendus publics après le 22 octobre. Jean-Louis Borloo annonce déjà comme résultat concret une loi sur les organismes génétiquement modifiés.
Cependant, cette méthode de travail est fortement contestée par les ONG, qui ont écrit au ministre pour exiger des clarifications sur le processus de consultation et surtout sur leurs modalités d’expression lors des décisions qui seront soumises au Grenelle de l’environnement. « Nous ne ferons pas le jeu de la communication du gouvernement, ni des entreprises qui reprennent les messages écologistes à leur compte. » affirme Yannick Jadot de Greenpeace (Novethic, 12 septembre 2007).
Côté syndicat, on se veut rassurant : « Nous pouvons contribuer à favoriser la négociation entre les ONG et le patronat. Nous mettons notre expérience du dialogue social au service du développement durable. Les ONG sont déjà bien conscientes qu’elles ne pourront tout gagner tout de suite. » explique Dominique Olivier, coordinateur des délégués CFDT (Novethic, 05 septembre 2007).
L’action des syndicats
En réalité, les syndicats font plus que cela : ils exercent une pression constante pour que le social ne soit pas oublié des débats. La CGT, par exemple, milite pour que des « transitions sociales » soient respectées en termes d’emploi, de formation, de financement, pour accompagner toutes les décisions prises. Pour elle, l’écologie doit devenir une politique créatrice d’emplois, et ne pas peser sur le pouvoir d’achat par de nouvelles taxes environnementales. Surtout, la gouvernance écologique doit être l’occasion d’instaurer des compétences nouvelles pour les instances représentatives du personnel dans les entreprises. La CGT réclame la transformation du CHSCT en CHSCTE avec l’adjonction de l’environnement dans ses prérogatives. La CFDT propose de modifier la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) qui a introduit l’obligation de publication des rapports de développement durable, afin d’en faire une obligation de dialogue entre l’entreprise et ses « parties prenantes » (syndicats, ONG, clients, actionnaires...). CGT et CFDT se rejoignent pour exiger une représentation des ONG écologistes au Conseil économique et social, à côté d’une représentation accrue pour les syndicats. FO n’est pas en reste : la fédération Force Ouvrière des cheminots a réussi une belle opération de communication lorsque la SNCF a annoncé cet été la fermeture de plus de 260 gares au trafic de marchandises. Mobilisant les ONG du groupe de travail « climat et maîtrise de l’énergie », le représentant de FO Rémi Aufrère, de la fédération des cheminots, a recueilli le soutien de la FNE, de la Fondation Nicolas Hulot, de Greenpeace, des Amis de la Terre et du WWF, mais aussi de la Fédération nationale des associations des usagers des transports, et ceux des confédérations CGT, CFDT, FO et CFE-CGC. Un vaste front syndicalo-écolo-consumériste qui milite pour la réduction du trafic routier et l’investissement dans le rail.
Divisions entre ONG
Toutefois, toutes les difficultés ne sont pas aplanies. Le réseau « Sortir du nucléaire », absent des invités au Grenelle, organise en octobre un « Contre-Grenelle de l’environnement » avec, entre autres, ATTAC et la Ligue communiste révolutionnaire. Et de fortes pressions s’exercent à l’intérieur de la mouvance écologiste pour exiger des associations présentes qu’elles quittent la table si un moratoire sur la construction du réacteur nucléaire EPR de La Hague n’est pas obtenu en préalable. Dans ces conditions, la lettre-programme adressée par Bernard Thibault à Jean-Louis Borloo le 11 septembre fait figure de provocation. Le secrétaire général de la CGT demande « le développement d’un bouquet énergétique à faible taux d’émission de CO2 (hydroélectricité, énergies renouvelables, nucléaire et charbon propre) ». Ainsi les divisions pourraient bien avoir raison de l’unité de façade des ONG écologistes.
Certains suggèrent que la question des OGM pourrait servir de prétexte à sortir du Grenelle. Cette question délicate a été imposée au ministre, qui n’avait pas initialement prévu d’en débattre explicitement. Un « intergroupe OGM », créé dans la précipitation cet été, symbolise cet impossible consensus des acteurs. Et le discours gouvernemental n’est pas fait pour rassurer les écologistes. Michel Barnier, ministre de l’agriculture expliquait sur RMC le 11 septembre dernier : « Les OGM ont une utilité et ils ont différentes dimensions : les OGM à vocation de nutrition, sanitaire pour la santé publique, ils peuvent augmenter la production de manière plus vertueuse. Ne jetons donc pas les OGM dans un discours irrationnel et regardons leur utilité. Je tiens absolument à ce qu’on préserve la recherche Française dans ce domaine, c’est une autre question que les cultures en plein champ à des fins commerciales. ». Dans ces conditions, le petit jeu du « restera ou partira ? » est ouvert. La perspective d’une place au CES pourrait-elle convaincre les ONG de rester finalement ? L’apprentissage du débat public est un long chemin...
De ce qui débouchera du Grenelle de l’environnement, une chose est déjà acquise : les problématiques environnementales sont d’ores et déjà un nouveau champ de compétences pour les syndicats, et toutes les stratégies d’alliance avec les ONG sont à présent ouvertes en ce domaine. A défaut de produire un changement de société, ce Grenelle conduira à une alliance entre le social et le sociétal. Aux entreprises de s’adapter, comme le MEDEF l’a compris en présentant le 18 septembre ses « 49 propositions pour le Grenelle de l’environnement ». Le patronat se félicite d’avoir ouvert à cette occasion de nouveaux sujets de discussions avec les syndicats et découvert des voies de concertation avec les ONG.
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