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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

L'évolution des relations CGT-PCF 1996-2003

La CGT tente de s'extraire de l'emprise du PCF. Cela n'est pas chose aisée, ni sans conséquence sur la cohésion de la confédération.


La dernière période a conduit à son terme ’ semble-t-il ’ le processus de découplage entre la CGT et le PCF. La « courroie de transmission » paraît effectivement rompue. Ce découplage a été facilité par le déclin du Parti communiste. Après la chute du bloc de l’Est, après les révélations du Livre noir du communisme, l’identité communiste est devenue trop lourde à porter. Tactiquement, la CGT doit également éviter d’être entraînée par la spirale de l’agonie du PCF. L’échec de Robert Hue à l’élection présidentielle de 2002 le montre bien rétrospectivement.

Ce découplage, entamé dans les années 1990, a suivi une évolution assez lente. Elle tient autant à des choix délibérés de la direction confédérale de la CGT ’ tour à tour H. Krasucki, L. Viannet et, depuis 1999, B. Thibault ’ qu’à l’effondrement du PCF, ce qui a sans doute pris de court jusqu’à ses plus fidèles soutiens. Du coup, s’il reste aujourd’hui des liens, s’il demeure certains réseaux, cela n’a évidemment plus du tout le même sens qu’à l’époque où le PCF fidélisait un quart de l’électorat. Aujourd’hui, le PCF n’est manifestement plus en capacité d’instrumentaliser la CGT, même s’il demeure des sympathies, une histoire, une culture, voire des pratiques communes, même si ce découplement n’exclut pas des ambiguïtés, des résistances, voire une certaine schizophrénie.


La chronique d’une séparation


Décembre 1996.

Louis Viannet quitte le bureau national (ex-bureau politique) du PCF. Mais il conserve son siège au conseil national du PCF, ex-comité central, ainsi que sept autres membres de la direction confédérale de la CGT, parmi lesquels Bernard Thibault qui intègre alors le comité central.


Janvier-février 1999.

46ème Congrès de la CGT à Strasbourg. Bernard Thibault est désigné secrétaire général. Le PCF a-t-il eu son mot à dire dans ce choix ? On peut douter que Robert Hue soit resté complètement neutre. D’ailleurs, le leader des cheminots et des grèves de 1995 semble devenu parfaitement légitime à la tête de la CGT dès lors qu’il a intégré le conseil national du PCF (1996). Il entre au bureau confédéral de la CGT ensuite (1997) et peut composer le futur bureau confédéral (qui sera mis en place en 1999). Cette composition n’est pas sans soulever quelques vagues. Lors des discussions préparatoires au sein du conseil confédéral national (CCN) ’ l’assemblée de tous les secrétaires fédéraux et départementaux de la CGT ’ Maurice Lecomte, du Livre, s’interroge sur « le respect des diversités ». Christian Larose, du Textile, craint qu’il ne soit pas tenu compte des « différences [qui font] la richesse de la CGT ». Plusieurs dirigeants, tels Gérard Alezard, souligne la nécessité de privilégier les compétences. En termes plus directs, Jeanine Marest, ex-dirigeante confédérale, regrette « le recul de la place des non-communistes et des chrétiens ». Gérard Gaumé, ex-dirigeant, déclare : « il ne faudrait pas que la diversification de la sensibilité historiquement la plus importante dans la CGT conduise à réduire la place des autres sensibilités ». La presse révélera finalement que 14 ou 15 membres du nouveau bureau confédéral (sur 17) sont adhérents du PCF (parmi lesquels tous les nouveaux entrants de la « génération » Thibault).


16 octobre 1999.

Le PCF programme une manifestation pour l’emploi. Quelques jours plus tôt, la CE de la CGT se démarque de cette initiative, tout en admettant « se retrouver dans [ses] objectifs sociaux ». Cependant, la centrale précise se déterminer dorénavant à partir de ses propres orientations tout en laissant ses adhérents se déterminer librement. Cette manifestation d’indépendance de la CGT vis-à-vis du PCF fait la « une » d’une partie de la presse nationale, notamment du Monde et des Echos. Or, finalement, Bernard Thibault participe à la manifestation. Dans un communiqué, il explique : « J’ai décidé de me rendre à cette manifestation à titre personnel en tant que citoyen comme vraisemblablement ce sera le cas d’autres camardes exerçant des responsabilités à la CGT ». De fait, il est suivi par bien d’autres cégétistes, et notamment par Maryse Dumas, n° 2 de la centrale. Quelques organisations apportent même un soutien officiel à la manifestation, notamment l’UD du Pas-de-Calais, la fédération de l’agro-alimentaire, de nombreux syndicats locaux, bien sûr le courant « Continuer la CGT »... Au total, de l’avis de certains témoins, cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu autant de drapeaux CGT dans une manifestation du PCF... En revanche, seuls quelques seconds couteaux de la CGT signeront l’appel de personnalités diverses et d’associations pour ne pas manifester aux côtés du PC, dans l’objectif de préserver l’autonomie du mouvement social.


Avril 2001.

La tension apparaît de nouveau très vive entre les deux organisations. La direction du PC joue la carte du soutien aux licenciés de LU et manifeste à Calais le 21. La CGT apparaît déplorer que le parti empiète sur son terrain. D’une certaine manière, cela n’est pas sans rappeler l’affaire de la SKF en 1985.


9 juin 2001.

Suite de l’affaire LU. La CGT n’appelle pas à manifester contre « la dictature des actionnaires », aux côtés d’autres syndicats, du PCF, des Verts.... Quelques jours plus tôt, le 22 mai 2001, elle a organisé sa propre mobilisation contre le projet de loi de modernisation sociale. Mais ce mouvement a rencontré un succès mitigé (20 000 manifestants à Paris selon le syndicat).


17 juillet 2001.

Rencontre au sommet entre la CGT et le PCF (à la demande de la centrale syndicale). La CGT entend mettre les choses à plat, sortir de querelles latente. Si le PCF reste très discret sur la rencontre, le secrétaire général de la CGT publie une longue déclaration. Celle-ci démarre un peu comme un communiqué diplomatique de l’agence Tass : « Nous nous félicitons que les conditions aient pu être réunies pour un échange approfondi entre les directions de nos deux formations ». Puis, après une brève allusion aux « événements de ces derniers mois », B. Thibault entend « préciser notre conception des relations avec les partis politiques ». Il indique que « la majorité [des adhérents de la CGT] ne sont membres d’aucun parti et toutes les sensibilités y sont présentes ». Il précise encore que la CGT n’est pas une « composante de la majorité gouvernementale ». Il rappelle l’ « autonomie de réflexion et de prise de décision » de la CGT, comme l’a illustré le 16 octobre 1999.

B. Thibault en vient aux « relations plus particulières » avec le PCF. Il rappelle « l’histoire commune » remontant aux origines du mouvement ouvrier et cite, au passage, « le formidable espoir insufflé par la révolution russe de 1917, les grands moments de lutte ouvrière du Front populaire, de la Résistance et de la Libération, jusqu’à l’épisode difficile de la guerre froide, ayant abouti au cataclysme géopolitique de la fin du siècle qui a bouleversé l’Europe ». Cette histoire ’ développe toujours B. Thibault ’ a sédimenté « une culture qui continue à habiter nos deux organisations ». Il indique que la CGT et le PCF partageaient les mêmes « finalités », d’où « des générations de militants qui ont exercé des responsabilités de part et d’autre » (voir tableau ci-après).



Le taux de rotation (turn over) du personnel dirigeant de la CGT et du PCF (1945-2003 ; échelle en % des dirigeants entrants et sortants).Après l’évocation de l’histoire commune, la suite est un peu langue de bois : « tout ce qu’il y a d’expérience commune dans notre passé... ne doit pas être invoqué au service d’une simple reconduction, empreinte de nostalgie trompeuse ou d’une arrière pensée déplacée ». « Nous devons réévaluer les rapports que nous voulons entretenir ». Dans l’histoire récente de la CGT, cette déclaration est aujourd’hui considérée comme signant définitivement l’indépendance à l’égard du PC. Cela a conduit logiquement B. Thibault à ne pas se représenter au conseil national du PCF, lors du 31ème congrès du PCF, en octobre 2001. Dans un échange de courrier avec R. Hue, les deux dirigeants expliquent leur volonté de lever « les ambiguïtés sur ce que serait la nature des relations existant entre le parti et la CGT ». Rappellons que, cinq ans plus tôt, L. Viannet avait déjà annoncé son départ du bureau national du PCF pour un motif comparable.


10 avril 2002.

Le Peuple ’ le journal officiel de la CGT ’ publie un « mémorandum adressé... aux candidats » à l’élection présidentielle. Comme lors des échéances antérieures, la centrale se garde d’apporter son soutien à quiconque. Cependant, la centrale souhaite notamment des « avancées en matière de droits nouveaux pour les salariés et de financement transparent des organisations syndicales ». Un an plus tôt, le socialiste Henri Emmanuelli a déposé une proposition de loi instaurant un financement public des syndicats. Pour le second tour, la CGT appelle à voter Jacques Chirac.


Mars 2003.

47ème congrès de la CGT à Montpellier. Dans le rapport d’ouverture, B. Thibault déclare : la CGT « peut entretenir, si nécessaire, des relations avec toutes les organisations démocratiques qui le souhaitent. Cela exclut, cependant, toute attitude de soutien ou de co-élaboration d’un projet politique quel qu’il soit ». La courroie de transmission est donc bien coupée. Une page d’un demi-siècle d’histoire est définitivement tournée. Bien des éléments attestent toutefois que cinquante ans de vie commune ne s’effacent pas comme cela. Même si cela ne remet pas en cause tout un processus de découplement. Des liens, des linéaments plutôt, demeurent.


Des linéaments qui demeurent.


Si la courroie de transmission est effectivement coupée, bien des éléments attestent toutefois que cinquante ans de vie commune ne s’effacent pas aussi facilement. Bien des liens ou linéaments, des sympathies croisées, persistent, sans parler d’une certaine sentimentalité révolutionnaire.


Les dirigeants croisés.

En premier lieu, jusqu’en 2003, les « dirigeants croisés » n’ont pas complètement disparus : ceux-ci siègent à la fois dans les instances dirigeantes du PC et dans celles de la CGT. Ainsi, en 2001, tandis que B. Thibault renonçait au conseil national du PCF, deux autres membres du bureau confédéral l’intégraient aux titres des « personnalités » : Jacqueline Lazarre et Christiane Puthod. La première vient d’être réélue à la commission exécutive de la CGT mais elle ne figure plus dans l’organigramme du PCF depuis son dernier congrès... Par contre, la seconde ne siège plus à la direction de la CGT depuis mars 2003 mais a été réélue au sein du conseil national du PCF en avril 2003. Jean-François Bolzinger et Christiane Canale, deux autres réélus de la CE en 2003, étaient toujours membres du conseil national du PCF, avant le dernier congrès du PCF. Mais seul le premier ’ représentant les métaux des Yvelines à la commission exécutive de la CGT ’ a été reconduit à la direction du PCF. Est-il le dernier mohican ? Le cas d’Eric Corbeaux, membre de la CE de la CGT jusqu’au congrès de Montpellier, mérite également d’être signalé. Si, désormais, il ne siège plus à la CE de la CGT, début mars, il a été élu à la tête de la fédération du PCF du Nord, laquelle passe pour relativement « orthodoxe ». En outre, Eric Corbeaux succède à Pascal Lenglet dont l’épouse était également membre de la CE de la CGT jusqu’en mars dernier.


Au niveau des dirigeants d’UD et de fédération, beaucoup ont encore la carte du PCF en poche. L’un d’eux confiait récemment que cela reste le cas de 80% des secrétaires d’UD et d’au moins 25 secrétaires généraux de fédération sur la petite trentaine que compte la CGT. Cependant il semble que, dans le cas des secrétaires généraux d’UD, ces derniers siègent moins souvent qu’autrefois dans les appareils des fédérations du PCF... Il est vrai que ces directions n’ont généralement plus grand rôle. Bien souvent les bureaux ne se réunissent que très épisodiquement et l’absentéisme est très important.


Le soutien public au PCF.

Dans un autre registre, on peut évoquer le soutien de cégétistes à la candidature de Robert Hue lors de l’élection présidentielle de 2002. Cela s’est effectué, notamment, autour de l’appel « Rassemblons-nous », signé par 4600 syndicalistes. Sans doute y avait-il beaucoup de cégétistes. Parmi eux, se trouvaient quelques anciens dirigeants confédéraux, tels Jacqueline Léonard, une quinzaine de membres en fonction de la CE, au moins un dirigeant de fédération, Denis Cohen, des Mines-Energie, le secrétaire de l’union régionale Languedoc-Roussillon, qui vient d’organiser le congrès de la CGT et d’intégrer la CE de la CGT, Alain Alphon-Layre...


Une double stratégie.

Enfin, certaines prises de position du PC et de la CGT demeurent parfois étonnemment proches. En 2000, le journal FO-Hebdo avait remarqué que lors de son congrès, à Martigues, le PC s’était prononcé pour « des droits et pouvoirs nouveaux d’intervention et de décision des salariés » dans les entreprises. Simultanément, dans un texte publié dans L’Humanité, B. Thibault écrivait que « les représentants des salariés doivent pouvoir intervenir... à l’intérieur des entreprises... Il s’agit d’influer sur les décisions stratégiques »...


Il faudrait encore mentionner encore certains congrès fédéraux qui ont vu s’opposer orthodoxes et modernistes, les premiers accusant souvent les seconds de s’aligner sur la ligne de Robert Hue... Par exemple, le congrès des Métaux, en 2000, a vu notamment une des personnalités de la fédération, Pascale Dubois déclarer à l’intention de B. Thibault : « Ce n’est pas parce qu’on est copain avec Robert [Hue] que cela doit avoir des répercussions sur notre comportement syndical ». Autre exemple : la fédération de la Santé, en 2000, a poussé à la démission son secrétaire général, Jean-Luc Gibelin, membre du conseil national du PCF, qui voulait signer le protocole d’accord sur les 35 h dans les hôpitaux. En fait, comme on le voit dans ce dernier cas, les communistes ne sont pas nécessairement les moins ouverts. Cela vaut aussi pour Denis Cohen, dont on vient de rappeler plus haut le soutien à Robert Hue et qui figura sur la liste « Bouge l’Europe », conduite par le secrétaire national du PCF lors des élections européennes de 1999, six mois après le congrès CGT de Strasbourg.


L’émancipation des sympathisants.

Mais, si des linéaments perdurent au niveau des appareils militants, au niveau des adhérents et des sympathisants, les distances se creusent indiscutablement. D’ailleurs c’est sans doute la raison fondamentale pour laquelle B. Thibault a poussé la séparation. A la CGT, comme dans d’autres organisations, les résultats des enquêtes commandées aux instituts de sondage (en l’occurrence le CSA) expliquent pour beaucoup les évolutions de la stratégie. L’évolution du comportement électoral des sympathisants de la CGT traduit bien ce désalignement politique :


Présidentielle 2002.

Les sympathisants de la CGT privilégient le vote Jospin (24%) et extrême gauche (20%). Le candidat du PCF se classe en troisième position (18%) et J.-M. Le Pen (FN) en quatrième position (13%). Déjà en 1995, L. Jospin devançait R. Hue (39% contre 35%). R. Hue se classait alors en second position. En 2002, l’irruption de l’extrême gauche a réduit le score communiste de moitié.


Législatives 1997.

Ces élections traduisaient déjà le déclin du vote communiste par rapport à 1993 alors que, paradoxalement la conjoncture était plus favorable au PCF. En 1997, 39% des sympathisants de la CGT ont voté PCF contre 51% en 1993. Malgré tout, le PCF conservait son leadership auprès des sympathisants de la CGT. Avec 34%, le PS se classait en seconde position. Lors des législatives de 2002, ce type d’enquête n’a pas été réitéré.


La question de l’indépendance.

En dépit de ces évolutions dans les comportements électoraux, seulement 40% des salariés déclarait la CGT « indépendante » à l’automne 2002 (enquête CSA). De même, les salariés estiment que pour gagner de l’influence, la CGT devrait en priorité « se couper de toute influence politique » mais aussi « être plus réaliste dans les négociations ».


Les sympathisants communistes et la CGT.

De leur côté les sympathisants communistes restent très attachés à la CGT : 67% d’entre eux se déclarent sympathisants de la CGT en 2000 (enquête SOFRES). Une enquête du CEVIPOF de 1998 concernant les adhérents du PCF conclut dans le même sens. Elle indique que 72% des communistes adhérent à un syndicat. La CGT arrive largement en tête, en accueillant 82% des syndiqués du PCF, c’est-à-dire plus de la moitié des adhérents du PC. Ces derniers mois, cette polarisation syndicale se vérifie lors des forums organisés à l’initiative de Marie-George Buffet. Parmi les adhérents du PCF participant à ces rencontres, deux groupes peuvent se distinguer : d’une part les retraités, d’autre part les syndiqués de services publics, notamment d’EDF-GDF et des PTT, tous encartés à la CGT. Pour la comparaison, une autre enquête du CEVIPOF, datée de 1997, sur les adhérents du PS, montre que seuls 6% de ces derniers sont syndiqués à la CGT (contre 24% à la CFDT).


Sur la base des résultats de l’enquête du CEVIPOF, concernant les préférences syndicales des communistes, on peut estimer ’ en postulant que la proportion de cégétistes n’a guère évolué depuis 1998 ’ que le PCF compterait quelque 75 000 cégétistes dans ses effectifs, dont le nombre officiel est de 133 000 selon les affirmations de la direction du parti en février 2003 (il est probable que la réalité est inférieure à 100 000 mais cela fait encore 50 à 60 000 cégétistes dans ses rangs). Côté syndical, cela signifie donc qu’environ 10% des adhérents de la CGT seraient encartés au PCF. Cela peut apparaître relativement faible. Cependant, il s’agit traditionnellement de militants, de cadres syndicaux, de dirigeants. En outre, 10% d’adhérents d’une organisation syndicale qui sont membres d’un parti, c’est nettement supérieur à ce qu’on observe dans la population en général. En effet, moins de 1% des électeurs adhèrent aujourd’hui à un parti.


On notera encore, qu’après les communistes, ce sont les sympathisants du Front national qui sont le plus attachés à la CGT : 48% d’entre eux se déclarent sympathisants de la CGT (enquête SOFRES, 2000). C’est l’ouvriero-lepénisme qui transparaît ici... Il convient de rappeler, en effet, que depuis l’élection présidentielle de 1995, l’électorat de Jean-Marie Le Pen est le plus ouvrier de France.


Problèmes de cohésion confédérale


Depuis 1999, certains débats au sein du CCN de la CGT témoignent de déceptions des « modernistes » concernant la stratégie confédérale. En juin 1999, par exemple, Christian Larose s’interroge sur la capacité d’animation de la direction confédérale. En 2000, le même pose la question de l’allégeance de la CGT à l’égard du gouvernement voire de tel ministre en particulier. En janvier 2000, Jean-Pierre Grenon, membre de la CE, s’interroge sur la double question de l’organisation et de l’allocation des ressources au sein de la CGT... A travers cette interrogation se profile celle de l’unité de la CGT et de son adaptation au salariat. Cela conduit à se demander si ce n’est pas la dilution de l’identité communiste, qui donnait sa cohérence à l’attelage constitué par la CGT, qui expliquerait une balkanisation relative des organisations de la CGT.


Fin 2000, Jean-Marie Chaumeron, responsable aux Finances, regrette que ce qui a été décidé à Strasbourg ne soit pas mis en œuvre, notamment pour ce qui concerne le développement d’un « syndicalisme de proximité, ouvert et attractif ».


Fin 2001, une déclaration de la commission exécutive se fait l’écho de difficultés internes. Ce texte pose la question : « construire une position dans la CGT : est-ce une entreprise commune ou est-ce un affrontement de camp ? » Il poursuit : « Notre culture de l’unanimisme freine notre évolution ». Il indique encore : « une certaine absence ou une faiblesse d’impulsion est reprochée au bureau confédéral ». « L’absentéisme » lors des réunions des CCN est également déploré, ainsi qu’une « façon de travailler administrative, bureaucratique », des « débats codés »...


Tout cela traduit manifestement des difficultés politiques qui ne peuvent donc pas se résumer à la seule question des relations CGT-PCF. La place accordée par B. Thibault à la réforme de l’organisation et, en particulier, à celle du système des cotisations, lors de son rapport d’ouverture à Montpellier, montre sans doute où se trouve l’un des enjeux importants d’aujourd’hui et pour l’avenir. Sur cet aspect, Bernard Thibault s’est fait assez précis dans son rapport d’ouverture, alors que, pour le reste, il a tenu des propos relativement vagues et généraux. Il a aussi soigneusement évité de dresser un bilan de son premier mandat. Sous couvert de technicité, les questions tenant à l’organisation de la CGT, à la répartition des cotisations, sont assurément très politiques.


Manifestement, l’échec de la réforme du système de cotisation ’ qui était la résolution n° 4 présentée lors du congrès ’ témoigne de la résistance des organisations face à la confédération. Cela confirme l’impression d’un certain éclatement de la CGT. Aujourd’hui, il n’y a pas une CGT mais des CGT.


Un terme utilisé par le secrétaire général à Montpellier confirme cette autonomie croissante des organisations, voire un changement implicite de raison sociale. B. Thibault a parlé en l’occurrence d’un « label CGT », et même d’un « label CGT à promouvoir dans chacun de nos syndicats ». Faut-il en conclure que des syndicats CGT ne pourraient donc pas ’ en l’état actuel ’ se prévaloir de ce label ?


Le terme « label » n’est pas révélateur d’un changement de sens profond de la nature du syndicalisme. Dès lors, les questions de la ligne, du projet, des alliances, des effectifs n’auraient plus guère de signification. Il s’agit de promouvoir une « marque », de préserver des « parts de marché », de fidéliser une « clientèle », c’est-à-dire des électeurs-acheteurs... Il s’agit aussi de rationaliser l’organisation, d’homogénéiser ses ressources... Tout cela nous éclaire sans doute sur le sens des changements en cours, sur la manière dont la direction confédérale conçoit son rôle, sur ses marges de manœuvres qui semblent assez étroites.

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