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Photo du rédacteurMichèle Millot

L'entreprise a-t-elle encore besoin de syndicats ?

D'un point de vue strictement managérial, l'entreprise peut-elle tirer profit de l'action des syndicalistes ou est-elle condamnée à les supporter, plus ou moins facilement ?


Le syndicalisme, aujourd’hui encore, suscite des réactions passionnelles. Sans toujours l’avouer, des dirigeants et de nombreux cadres estiment qu’il s’agit là d’une survivance archaïque, voire néfaste, qu’il convient de neutraliser, à défaut de pouvoir la faire disparaître. Les directions, assurent-ils, savent désormais qu’il faut gérer intelligemment les « ressources humaines ». Elles envoient leurs cadres et agents de maîtrise suivre des sessions de formation pour faire vivre dans leurs services un management participatif. Ceux-ci savent donc respecter leur personnel, l’écouter, prendre en compte leurs questions, résoudre leurs problèmes, et créer les conditions de leur motivation. Chaque année, au cours de l’entretien individuel d’appréciation, ils font le point avec chacun, commentant les progrès, apportant leurs conseils pour corriger les points faibles, l’aidant à se construire une carrière professionnelle en proposant les formations appropriées qu’offre l’entreprise.


La gestion des entreprises, c’est vrai, s’est profondément modifiée, on y a désormais le souci des hommes. La lucidité oblige cependant à reconnaître que l’image d’Epinal esquissée ci-dessus relève plus du voeu que de la réalité. L’entreprise reste le lieu où s’affrontent des logiques d’intérêts qui s’opposent. C’est pourquoi des PDG, reconnus comme d’excellents managers, n’hésitent pas à déclarer que les syndicalistes peuvent être utiles dans le management de l’entreprise. Les arguments qu’ils avancent méritent l’analyse.


Les deux logiques


Il y a d’abord le constat que la finalité de l’entreprise c’est de « sortir des résultats ». Pour cela, il faut mobiliser toutes les ressources, mettre en place une organisation efficace, donc contraignante pour les salariés. Mais où placer la frontière entre la volonté, légitime, de transformer le temps de présence en temps de travail, et des incitations hiérarchiques irritantes, des cadences épuisantes ? De même, entre la nécessité de tenir un prix de revient « compétitif » en resserrant les dépenses dont la masse salariale, et l’imposition de salaires minima, où trouver l’équilibre ?


Doit-on rappeler que l’entreprise n’est pas un milieu naturel où des personnes se rassemblent pour agir librement, dans la joie, et partager équitablement des résultats forcément importants ! Le droit du travail rappelle que le contrat de travail est un contrat de subordination.


L’entreprise est un lieu où s’exercent de multiples pouvoirs. Comme dirait FO, il y a les gouvernants et les gouvernés. Ceux-ci ne choisissent pas leur patron ni leurs cadres. Ils n’ont pas toujours l’impression d’être entendus. Est-ce qu’un cadre fait spontanément remonter à sa direction que les conditions de travail de son atelier sont particulièrement éprouvantes, que la chaleur, la poussière y sont excessives, que les salariés se plaignent ? N’a-t-il pas plutôt vocation, et propension à tenir un langage ferme, minimisant les difficultés, incitant les salariés « à se défoncer un peu pour atteindre les objectifs »


Le syndicaliste, lui, n’a pas les mêmes contraintes. Son rôle consiste à écouter puis faire remonter ce qui ne va pas. Il prévient alors la direction « qu’il y a des problèmes », que si l’on ne fait rien pour y remédier, on va au devant de graves difficultés pour l’entreprise. II y a déjà beaucoup d’absentéisme, demain, ce sera encore pire, car les gens y perdent leur santé.


Sans forcer la caricature, les syndicalistes jouent souvent auprès des dirigeants le rôle de clignotant d’alerte. « Ils me sensibilisent sur des aspects que mes cadres se gardent bien d’évoquer » remarque un grand PDG.


La crainte des coordinations


En France, le droit de grève est un droit individuel. Une équipe qui estime ne pas être entendue dans ses doléances peut cesser le travail, même sans incitation ni présence syndicale. De ce fait, peut-être, une évolution surprenante s’est produite chez nombre de managers : le souhait d’avoir, dans les établissements de leur Groupe, des syndicats forts. Ni masochisme ni gauchisme, plutôt lucidité. L’anecdote suivante explique cette conversion.


Un directeur d’une usine de 600 personnes raconte à ses collègues ce qui venait de lui arriver. Alors que ses cadres n’avaient pas évoqué de difficultés particulières, un mardi matin, l’usine s’arrête. Un attroupement se crée dans la cour. Très vite, son bureau est envahi par « une délégation ». Il n’y reconnaît aucun délégué. Le débat est très confus. Les représentants des salariés se coupent la parole, parlent en même temps. Difficile de comprendre ce qui se passe, quelles sont les revendications. Devant l’assurance que le directeur va réfléchir à leurs problèmes, la délégation se retire. La grève continue. Le lendemain, le même cérémonial se renouvelle mais certains participants ne sont plus les mêmes. Le conflit dure ainsi une grande semaine avant que le directeur ait devant lui de véritables interlocuteurs capables de se faire entendre de leur base. C’était une expression du type des coordinations. Celles-ci se constituent de plus en plus fréquemment à l’insu des syndicats.


Le véritable délégué syndical agit en responsable. S’il sait faire monter la pression, il sait aussi jusqu’où ne pas aller trop loin. Une fois obtenue une revendication, même partiellement, il aura le courage de défendre sa signature. Il ira dans les ateliers expliquer qu’il n’est pas possible de tout obtenir, qu’il faut reprendre le travail. C’est, de l’avis même des dirigeants, un relais, souvent le seul, pour mettre fin à un conflit, faciliter la reprise du travail. Même la CGT assume ce rôle. Seuls quelques groupes gauchistes refusent cette responsabilité.


Les syndicats restent encore, pour la plupart, mais pour combien de temps, un rempart contre une menace grandissante dans les entreprises : la montée des corporatismes catégoriels. Des usines entières sont parfois arrêtées, du fait d’un groupe limité, mais homogène, de salariés qui profitent de leur spécialisation pour obtenir des avantages supplémentaires, sans se soucier des répercussions sur les autres catégories, parfois condamnées au chômage technique du fait de leur mouvement. Lorsque les pilotes d’Air France, aux salaires confortables, cessent le travail, ce n’est jamais pour les salariés des services d’entretien ou pour les hôtesses. Le syndicalisme, lorsqu’il reste fidèle à ses traditions, met au contraire en avant la solidarité, le besoin d’avancer « tous ensemble », sachant obtenir des mieux nantis, de penser aux collègues plus mal lotis et non d’agir à leur détriment.



Un compétiteur


Des managers considèrent que les syndicalistes, par leur simple présence, les poussent à mieux intégrer les hommes dans leur stratégie globale. Ils jouent le rôle de stimulant, de compétiteurs sociaux. Les entreprises ont alors un plus vif souci de développer une politique d’information régulière, d’impliquer le maximum de personnel, d’offrir aux salariés des programmes de formation qui dépassent les besoins immédiats de l’entreprise, mais peuvent contribuer à l’épanouissement professionnel et personnel. Certaines ont le souci non seulement d’afficher des « valeurs » mais aussi de veiller au respect de celles-ci par les cadres et les entreprises partenaires, sachant que les syndicalistes seront vigilants pour dénoncer les manquements, et porter ainsi atteinte à leur image.


Les syndicalistes peuvent être des partenaires très utiles pour construire des accords d’entreprises innovants, permettant de trouver des situations « gagnant-gagnant ». La prise en compte dans les projets proposés par la direction des inconvénients pour le personnel permet souvent d’imaginer des solutions efficaces, et donc bénéfiques tant pour l’entreprise que pour les salariés.


Une obligation légale


L’entreprise a aussi besoin de syndicats pour respecter ses obligations légales. Deux sources possibles existent dans l’entreprise pour donner une légitimité aux représentants du personnel : l’élection, c’est le cas pour les DP et le CE, la désignation, par l’organisation syndicale de ses délégués. Le législateur, pour la politique contractuelle, a donné la préférence au canal syndical. Pour beaucoup de dirigeants, il s’agit là d’un privilège exorbitant. Eux, donneraient la préférence aux membres du CE élus par leurs collègues.


Le choix fait par le législateur s’explique sans doute par sa crainte de voir les dirigeants d’entreprise, surtout dans les PME, être en mesure d’influencer les élus. D’autant que dans certains domaines la signature déclenche les aides de l’Etat. Ce fut le cas pour les accords 35 heures, comme pour les accords d’intéressement, de participation ou de plan d’épargne salariale. Pour encourager les entreprises à s’engager dans cette voie, l’Etat, en effet, accorde des exonérations fiscales ou de charges sociales. II a donc intérêt à s’assurer que l’esprit de ces accords ne soit pas détourné et que les salariés en soient réellement bénéficiaires. En donnant aux seules organisations syndicales représentatives le monopole de la signature, le législateur pense que ces militants, puisqu’ils engagent l’image de leur confédération, seront prudents et même plus exigeants.


La loi accorde aussi aux organisations syndicales le « monopole » de la constitution des listes de candidats pour les élections des DP et du CE. Toujours pour éviter que les dirigeants ne sollicitent des salariés qu’ils espèrent pouvoir influencer ensuite. II est vrai que pour un salarié, réclamer ou s’opposer à son patron n’est pas chose aisée.


Ce monopole est néanmoins relatif. La loi prévoit que si le nombre des votants au premier tour n’atteint pas 50% des électeurs, un deuxième tour doit être organisé. Toutes les candidatures « indépendantes » sont alors possibles. Si les salariés ne souhaitent pas élire les candidats présentés par les syndicats il leur suffit donc de s’abstenir au premier tour.



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